omment voyez-vous cet accueil des 100 ans de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin dans votre ville ? Quittant Paris pour Dijon, l’inauguration du nouveau siège de l’OIV à l’hôtel Bouchu dit d’Esterno sera-t-elle la cérémonie d’ouverture des JO du vin ?
François Rebsamen : Nous espérons d’abord que votre belle image de l’ouverture des JO du vin ne nous amènera pas la pluie. Car la cérémonie inaugurale de l’hôtel Bouchu d’Esterno, si elle se déroule en partie à couvert au fil des 2 000 mètres carrés de salons et caves d’un des plus prestigieux hôtels particuliers édifiés au 17e siècle, prévoit aussi de faire déambuler nos invités – des ministres, ambassadeurs et délégations venus du monde entier – entre cour et jardin d’un ensemble entièrement réhabilité par la Ville pour un montant total de 14,5 millions d’euros HT. Montant, je le précise d’emblée, qui sera quasi intégralement compensé par les loyers que la France, Etat hôte de l’OIV en vertu d’un traité international, versera à la ville sur 50 ans.
Comment avez-vous réussi à obtenir l’accueil du siège de l’OIV en 2022 face aux candidatures de Bordeaux et Reims ? Était-ce une décision teintée de politique à l’époque des élections présidentielles de 2022 ?
Le président de la République s’est en effet intéressé personnellement à ce dossier sur un thème qui fait l’attractivité et le rayonnement de la France à travers le monde depuis, j’allais dire, qu’a été maîtrisée la fermentation du raisin. Mais sur des enjeux aussi sensibles, il est certain qu’il a pris sa décision en étant persuadé de détenir le meilleur dossier.
Parce que notre ville, née dans l’Antiquité, est non seulement au cœur d’un patrimoine urbain pluricentenaire, mais marque désormais aussi sa différence à la croisée du patrimoine immatériel de la gastronomie française, incarné par la Cité internationale de la gastronomie et du vin, et du patrimoine paysager et des savoir-faire des Climats du vignoble de Bourgogne, inscrits au patrimoine mondial depuis 2015.
A aussi pesé la mobilisation collective des partenaires académiques et scientifiques – chaire Unesco Culture et traditions vitivinicoles en tête -, à laquelle se sont joints tous les professionnels en Bourgogne de la vigne et du vin, dont Aubert de Villaine, l’emblématique co-gérant de la Romanée-Conti. C’est un fait incontestable : la notoriété et le rayonnement international de Dijon dans le domaine de la vigne et du vin, en particulier en matière de recherche, se sont considérablement renforcés ces dernières années.
Dans votre dossier de candidature, l’hôtel Bouchu d’Esterno était-il la cerise sur le gâteau ?
Dijon s’est en effet immédiatement distinguée par sa capacité à apporter en un temps record une réponse immobilière sur mesure à un impérieux besoin immobilier. En m’impliquant sans hésiter dans ce dossier dès qu’il s’est présenté à nous, en proposant la mise à disposition d’un de nos plus beaux hôtels particuliers, je savais que nous étions en train d’aligner les bons atouts : un joyau rare classé Monument Historique, un site proche de la gare TGV et de la porte sur la route des grands crus, avec un potentiel foncier et de la modularité répondant aux besoins exprimés, libre de toute occupation avec une capacité à entamer de lourds travaux instantanément.
Toutes les parties se félicitent d’une opération triplement gagnante à la vérité : pour l’Etat, soucieux de proposer un siège plus vaste et prestigieux et à un coût inférieur aux loyers qu’il versait à Paris ; pour l’OIV bien installée dans un ensemble en phase avec son image et son avenir ; pour la ville de Dijon qui trouve là une destination d’intérêt général à son bien immobilier magnifiquement restauré, qui s’ouvrira d’ailleurs aux Dijonnais et aux touristes chaque année lors des Journées du Patrimoine et à travers un principe mensuel de visites guidées.
Alors que la filière vin est marquée par la déconsommation et les perspectives d’arrachage, ce congrès de l’OIV est-il également un évènement symbolique et politique pour soutenir la culture du vin ?
Le vin est un élément à part entière de notre civilisation, il se déguste et se partage, il fait pleinement partie de notre culture. J’ai déjà eu l’occasion de me prononcer contre toute tentation de créer une nouvelle taxe sur le vin car les statistiques sont claires : la consommation de vin ne cesse de baisser dans notre pays – divisée par 2 en 20 ans et le mouvement vers le bas s’accélère ! Et vos lecteurs savent que les professionnels du secteur, particulièrement dans le sud de la France, sont à nouveau confrontés à des crises majeures qui pèsent lourd sur les exploitations les plus fragiles. Il ne faut pas laisser penser que le vin est un produit mauvais pour la santé ou une cause de l’alcoolisme chez les jeunes alors que ce sont les autres familles d’alcool qui font les plus gros ravages.
Le vin, dans le cadre d’une consommation modérée, est un bien culturel national, que nous devons valoriser, y compris à l’international. C’est tout le sens de la candidature que j’avais initiée en 2006 et que nous avons portée localement pour faire inscrire le 4 juillet 2015 les Climats du vignoble de Bourgogne sur la prestigieuse liste du Patrimoine mondial de l’Unesco. C’est également tout le sens de notre grand projet de Cité internationale de la gastronomie et du vin, qui sublime les accords mets-vins comme une des grandes originalités du repas gastronomique des Français tel que le patrimoine immatériel de l’Humanité l’a reconnu depuis 2010.
Vous-même, quel est votre rapport au vin, sa culture et son art de vivre alors que Dijon accueille déjà la cité internationale de la gastronomie et du vin ?
Avant d’être politique, le vin est une histoire personnelle. Au départ, outre les premiers souvenirs liés au vin assez amer que mon grand-père maternel faisait lui-même dans le pressoir de la cour de sa maison à Dijon, le vin a surtout impacté mon frère restaurateur Guy Rebsamen, figure de Gevrey-Chambertin. Après une école hôtelière à Lausanne, il est rentré dans le vin tandis que je rentrais en politique. Au moins partageait-on la même couleur, le rouge-rosé… Mais malice mise à part, je dois avouer que si mon goût pour le vin s’est développé relativement tardivement, je suis devenu un grand amateur de pinot noir, avec une préférence pour ceux qui sont élevés en Côte de Nuits.
Vous faites également revenir le vignoble dans la métropole même de Dijon.
Avant d’accéder à la mairie [NDLA : en 2001], j’étais curieux dans l’opposition municipale de savoir pourquoi il n’y avait plus de vignes et de vin à Dijon, qui comptait encore plus de 800 hectares de vignoble au mitan du 19e siècle. La métropole mène aujourd’hui la reconquête de ce vignoble disparu, avec déjà plus de 60 hectares plantés depuis 2013 sous l’impulsion de la collectivité que je préside qui identifie, rachète, remembre et confie à des viticulteurs des terres en AOC non plantés ou dédiées jusque-là à d’autres cultures que la vigne.
Ce qu’on appelait "le Dijonnois" redevient cette terre historique de vins fins, qui est pour le territoire un levier majeur de développement mais aussi de lutte contre l’étalement urbain. L’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) a bien pris en compte le souhait du collectif de vignerons qui incarne cette renaissance du vignoble de Dijon métropole d’obtenir, au sein de l’appellation générique AOC Bourgogne, une Dénomination Géographique Complémentaire (DGC), le Bourgogne-Dijon. Un dossier je l’espère bientôt à maturité.
Qu’attendez-vous et espérez-vous des rencontres avec les ministres de l’Agriculture et des administrations vitivinicoles du monde entier qui viennent à Dijon ?
Que soit porté haut l’esprit de concorde, de consensus propre à l’adoption de toutes les résolutions de l’OIV depuis sa création en 1924, dans le contexte post-première guerre mondiale de crise générale de la filière – surproduction et mévente, l’histoire se répète, mais pas en Bourgogne -, crise mondiale exacerbée par le désastre du phylloxera.
J’espère dans cette perspective que la résolution qui sera adoptée au sortir de la conférence interministérielle provoquée par la France ce dimanche 13 octobre prochain sera à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui jusqu’au siècle prochain, afin que par le monde on puisse continuer à produire des vins de qualité dans un scénario modifié d'un point de vue climatique, dans le respect de l'environnement et des consommateurs.