e nouvelles propositions de simplification administrative viennent d’être annoncées par le ministère de l’Agriculture. Y croyez-vous pour simplifier le quotidien vigneron ?
Hervé Bizeul : Bien sûr, restons positifs. Un petit pas pour l’administration, un… petit pas pour les agriculteurs. Mais c’est clairement le signe d’un changement et il faut s’en réjouir et l’encourager. Mais bon, j’ai dit ici ce que beaucoup pensent tout bas, nous avons atteint le point de non-retour avec la digitalisation et l’anonymisation des agents. À mon sens c’est par là qu’il faudrait commencer : une véritable formation au collectif au lieu de l’opposition entre deux mondes, celui de l’entreprise et celui de l’administration. Cette dernière devrait être avant tout au service de ceux qui créent de la valeur, aménagent le territoire, l’entretiennent, l’embellissent : à quoi ressemblerait la France sans l’agriculture ? À rien. Ceux qui tirent et/ou poussent devraient déjà le faire dans la même direction (le négoce, la coopération et les caves particulières sont encore souvent adversaires), ceux qui soient autour doivent comprendront que leur rôle est avant tout « d’encadrer » avant de contrôler, lequel contrôle devrait être clairement différencié de la répression qui doit être réservée à ceux qui fraudent en conscience et donc affaiblissent le collectif lui-même. Le fait que la police de l’environnement trouve normal d’être armée me semble signifiant de l’époque.
Mais tout cela n’est pas le plus grand danger qui est celui du repli sur nous-même et de l’oubli par les vignerons de la force du collectif. L’AOP est désormais considérée comme un acquis, on ne comprend plus que c’est une marque collective, un trésor. Chacun devrait s’occuper de sa protection, de son développement comme le faisait les hommes préhistoriques du feu… On l’ignore, dans le meilleur des cas, on la foule au pied, on la méprise parfois. Qui connait le nom du président de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) ? Il est pourtant à la tête de 23 milliards d’euros de chiffre d’affaires sous signes de qualité. Quelle est sa vision ? Quand m’a-t-il envoyé un mail pour m’expliquer, par exemple, le SIQO [NDLR : signes d'identification de la qualité et de l'origine], nouvel acronyme dont personne n’a entendu parler. Vers où conduit-il notre navire ? Je voudrais bien le savoir…
Les Organismes de Défense et de Gestion (ODG) ne font en réalité pas leur travail : il faudrait un véritable « rite d’entrée» dans l’AOP, un vrai consentement enthousiaste, après un rappel des droits et des devoirs quand on l’utilise, l’exigence de connaitre son histoire, ses règles, ses héros. On est très très loin. Pourtant le monde du vin tout entier doit sa prospérité à l’AOC. Depuis la réforme voulue par René Renou, tout par en brioche : les ODG ne communiquent pas, les vignerons leaders ne se sentent pas concernées, beaucoup choisissent la case « Vin de France », sans contrainte et moins coûteuse. On les appelait quand même Vins de Table. Quel hold-up ! Elles ne parlent pas à leurs membres, ignorent toute pédagogie orientée vignerons. Il n’y a que contrôles idiots, comme si la vigne était une culasse d’automobile qui devrait être « conforme » à la décision d’un pied à coulisse. Sans pluie, comment mes sarments pourraient il être conforme à la « norme » du cahier des charges ? Avec des trombes d’eau ailleurs, comment l’herbe pourrait-elle « obéir » et rester discrète ? Pourquoi les petits qui utilisent le même nom d’AOP que les gros passent ils toujours entre les mailles du filet ? Tout cela et bien d’autres évènements font que les vignerons eux même n’aiment plus nos AOP. Ou en tout cas ne lui prouvent plus leur amour. Du coup, ça enlève magie et force.
Pour en revenir à la simplification, une vraie évolution serait donc de transformer le contrôle en mesure pédagogique d’amélioration et non d’outil de sanction ? Si cela est souhaitable, est-ce réellement envisageable ?
Je le pense sincèrement. L’on devrait par exemple développer des mesures d’audit avant des mesures de contrôles. J’ai testé pendant plusieurs années l’audit Carrefour sur les produits "Reflets de France". Il n’est franchement pas bienveillant et souvent plus strict que les normes en vigueur, mais il est pédagogique et, à la fin, me dit : voilà ce que vous devez changer, améliorer pour être dans les clous. Et on progresse ensemble vers l’excellence. Ou en tout cas le respect des normes, même si l’on n’en pense pas moins. Rappeler aux contrôleurs que nous sommes en fait leurs « vaches à lait » et qu’ils sont là pour nous faire produire plus et mieux… de taxes. Ce serait assez facile, non ? Et bien sûr assurer ensemble la transition écologique, la protection du consommateur, l’excellence de la marque France. Fixer à un enfant ou à un sportif un objectif qu’il ne peut atteindre, c’est la meilleure voie vers l’échec. Parlons concrètement : si l’agent qui me contrôle pouvait avoir un label ou un badge montrant qu’il a eu une formation dans ce sens, il serait je crois mieux accueillit, le contrôle plus rapide et moins stressant. On attend toujours un site complet à l’usage par exemple du nouvel installé en viticulture : une liste claire de ses obligations, les liens vers les formulaires, les portails. Bon, ça ferait peur tant la liste est grande. Mais il faut lister nos obligations si l’on veut qu’on les remplisse. Une autre mesure simple : faire que tous les CERFA soient des PDF remplissables sur un ordinateur. Incroyable quand même que cela ne soit toujours pas le cas...
Le droit à l’erreur a été à mon sens la plus formidable mesure du quinquennat. Bon, elle est peu appliquée mais je pense qu’elle a réellement changé en profondeurs les rapports entre les entrepreneurs et l’administration. Une mesure, une seule, un peu bête, primaire, mais efficace. On a tous soufflé, expiré, on s’est comme détendu, car il y avait la possibilité d’une communication positive, constructive et plus seulement la peur du gendarme et l’angoisse de la sanction malgré les efforts. C’est formidablement rassurant.
Des mesures de simplification sont également annoncées par FranceAgriMer (allégement des sanctions pour sous-réalisation de plantation et simplification de l’arrachage viticole) et d’autres sont prévues par les Douanes (suppression de formulaires redondants, harmonisation du calcul des surfaces viticoles, simplification de l’application Mouvements Vitivinicoles, création d’un guichet unique, alternative à la CRD, révision de l’obligation d’épalement des cuves…). Est-ce que cela va alléger la surcharge administrative et le stress qu’il génère ?
Ce qu’il faut c’est un objectif clair suivi d’une stratégie réaliste qui puissent être appliquée sur le terrain. C’est ce que j’ai l’impression que nous commençons à vivre. Dans les faits, cela ne me touche pas jusqu’à présent. Mais psychologiquement, cela m’a fait du bien et je ne suis pas le seul. C’est la première fois que je reçois un courrier de « moins » d’obligation et non de « plus ». Pourvu que ça dure. Vous le listez bien dans la question, ça parle beaucoup de douane et de droits indirects : c’est l’administration qui a de mon point de vue le mieux géré la dématérialisation. Vraiment, ça fonctionne bien, et, même si c’est lourd, on peut faire toutes les démarches en ligne. Cela permet une adaptation plus rapide au changement et le dépoussiérage, comme l’épalage des cuves, qui n’avait plus de sens.
Tout allègement est le bienvenu. Mais bon, c’est comme les vacances, l’effet de savoir qu’elles arrivent est parait-il le plus efficace psychologiquement sur notre bonheur. Je reste prudent. Mais, en vérité, on enlève peut-être un peu de ce qui faisait définir de « chicanière » l’administration : perdre une aide pour quelques ares de plus ou de moins, quelques centimètres dans une mesure, une mauvaise image satellite. C’était très énervant et cela nous faisait ressentir parfois une forme d’injustice, une impression de revenir à un système féodal. Le soulagement est palpable.
Quelles seraient les simplifications d’urgence à adopter pour que le vigneron puisse se concentrer sur la production et la commercialisation de ses vins ?
Le précédent article m’a emmené à recueillir de nombreuses confidences. Numéro un : FranceAgriMer. Les rapports sont compliqués, les promesses non tenues, la mauvaise fois courante, le retour sur décision fréquent. La France, tout du moins son administration a toujours tendance à "sur-appliquer" des règles européennes qui fixent les directions mais laissent libre l’application. Les fonctionnaires européens eux-mêmes sont stupéfait, souvent, de voir comment d’une mesure légère, voire d’une direction, les français s’applique à créer un chemin de croix. Peut-être faudrait-il un « monsieur administration » qui soit spécialisé par secteur ? Formaté par l’école mais aussi humaniste et pragmatique, amoureux de la France et soucieux de son avenir comme le sont tous les vignerons. Quel autre métier envoie en permanence des moines soldats prêcher pour la France dans le monde entier, échantillons sur le dos dans les rues d’une ville étrangère ou à coup de Winemaker diner dans des langues inconnues ? Nous méritons d’être mieux considérés. Sully, revient ! Ou du moins les valeurs que véhiculent ce nom.
Vous évoquiez au début de notre échange la sécheresse. Alors que le changement climatique pèse sur l’avenir du vignoble catalan, comment croire en l’avenir ?
Il pleut, alors je n’arrête pas de sourire. Une pluie fine, depuis 24 heures [NDLR : l’interview date du lundi 29 avril], timing parfait pour accompagner la pousse et la fleur. J’ai envie de chanter avec les oiseaux, même s’il y a loin avant que les rivières se remettent à couler. Le Tao est une source de sagesse permanente : si je peux changer les choses, je le fais ; si ne peux pas, autant les accepter. J’ai beaucoup appris de cette période, qui est loin d’être terminée. Mais je sors d’une journée géologique où, à l’évidence, la qualité de mes vins vient de changements ayant démarré il y a cinquante millions d’années. Nous ne produisons que du vin, nous ne sommes pas indispensables. Mais sans nous, la vie serait bien triste.