ignée avec la filière des vins et spiritueux*, votre lettre d’engagement (voir encadré) annonce sept simplifications concrètes attendues par les opérateurs : comment seront-elles mises en application et quel en sera le calendrier ?
Thomas Cazenave : Avec les douanes dont j’ai la tutelle avec Bruno Le Maire, et la filière vitivinicole, dont j’ai la chance de bien connaître les enjeux, à la fois comme député de la Gironde et à travers mes racines Bordelaises, nous nous sommes mis d’accord pour signer cette lettre d’engagement qui ouvre sept chantiers de simplification. Ce n’est pas une lettre d’intention, c’est un engagement que nous prenons ensemble, sur des chantiers définis ensemble et attendus de longue date par la filière. Je crois vraiment au dialogue et c’était important de pouvoir signer cet engagement collectif au moment du salon de l’Agriculture. Je considère que la réaction de la filière est très positive.
Entendez-vous la crainte qu’il y ait, comme par le passé, une simplification par et pour l’administration et non pour les usagers de la filière vin ?
La crainte est immédiatement levée car nous faisons cet exercice à plusieurs. Les sept sujets mis sur la table ne sont pas choisis par l’administration ou le Gouvernement, seul dans son coin. Ils sont issus de discussions préalables avec les acteurs de la filière et correspondent à des préoccupations partagées, c’est la première garantie. La deuxième garantie, c’est la méthode trouvée ensemble : on s’est laissé plusieurs semaines pour aller au bout de ces sept sujets. J’ai fixé un rendez-vous, à Bercy, dans deux mois, qui nous permettra de garantir que nous avançons dans le sens qui correspond à nos attentes communes. Il ne s’agit pas d’un plan de simplification générale remontée par la douane, c’est une impulsion que nous donnons sur des sujets qui parlent aux représentants de la filière, qui leur semblent importants et sur lesquels ils demandent des avancées.
Les sept sujets sont en effet très concrets, d’un guichet unique à l’arrêt des déclarations en doublon, en passant par la gestion des alambics…
C’est très large et très concret. C’est ce qui me plaît et je l’assume. Il y a par exemple le sujet de l’épalement des cuves. C’est un sujet qui est remonté à plusieurs reprises, nous devons le traiter. De manière plus générale, les points soulevés par les professionnels renvoient parfois à une réglementation qui a mal vieilli, à la différence du bon vin. On voit parfois que des informations demandées sont redondantes, que des démarches n’ont pas été revues depuis des années… Je pense que c’était le bon moment pour ouvrir ce sujet.
Parmi les sept sujets, il y a celui de la suppression de la Capsule Représentative des Droits (CRD, la Marianne), qui montre qu’une volonté de simplification peut être difficile à mettre en œuvre.
Ce n’est pas un sujet nouveau, j’avais déjà été interpelé là-dessus comme parlementaire. Je considère qu’il faut avancer sur ce chantier. Ainsi, j’ai demandé à la douane et à la filière de continuer à travailler pour que dans deux mois nous puissions prendre des décisions très concrètes pour la filière sur ces sept sujets. J’ai été interpelé par des présidents de fédération sur d’autres questions, on regardera celles que l’on identifiera une fois que l’on aura réalisé les travaux commencés. Je suis ouvert à avancer sur d’autres sujets, mais pour la crédibilité de la démarche je veux d’abord des avancées concrètes et des réussites collectives, pas de théorie !
Ce samedi 24 février, le président de la République a annoncé une simplification du droit à l’erreur administrative pour que les contrôles ne soient plus à charge. Portez-vous ce changement de logiciel dans les administrations que vous avez en charge ?
Absolument. Ce droit à l’erreur, absolument fondamental, est déployé depuis des années dans l’ensemble du réseau du ministère des Finances et en particulier de la DGFiP, c’est notamment le cas pour la déclaration d’impôts. Il faut reconnaître les difficultés objectives de certains, les erreurs de compréhension et celles de bonne foi. L’administration doit conseiller et accompagner, comme elle doit être intransigeante quand il y a une volonté de contourner et de frauder. On est bien sur ces deux jambes.
En parlant de deux jambes, est-il compatible d’être élu de Gironde et ministre aux comptes publics alors que le vignoble demande des aides de crise (fonds d’urgence, stockage privé, arrachage temporaire…) et que l’on ne parle à Bercy que de réduction des dépenses publiques ?
Je pense que l’on a montré depuis l’an dernier la mobilisation du gouvernement au côté de la filière. Quand je regarde les aides mises en place autour de la distillation, du plan d’arrachage, du mildiou encore récemment, je considère que le gouvernement et le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, ont toujours répondu présent, tout comme je le suis. Mais mon rôle en tant que ministre du Budget, c’est de faire attention aux finances publiques, aussi, c’est d’autant plus intéressant d’ouvrir des chantiers de simplification. Cela ne coûte rien aux contribuables et c’est beaucoup de temps gagné, parfois retrouvé, pour les exploitants, les viticulteurs.
Pour apporter de nouvelles aides et faciliter la transmission intergénérationnelle, un appui fiscal à destination du vignoble est-il envisageable prochainement ? Je pense notamment aux demandes des vins AOC d’application du pacte Dutreil pour les cessions intrafamiliales, l’exonération de 75 % des droits de succession quand un vignoble est repris avec un bail d’au moins 18 ans...
Le renouvellement des générations est un enjeu majeur. Le Premier ministre a annoncé la semaine dernière qu’une mission avait été lancée pour établir des mesures fiscales et sociales pouvant favoriser la transmission d’exploitations aux jeunes agriculteurs.
Pour se projeter vers l’avenir, peut-il y avoir des investissements renforcés pour la conquête à l’export des vins français alors que l’on entend parler de réduction des budgets de Business France?
Il est nécessaire de faire des économies. Pourquoi ? Parce que l’on a beaucoup protégé les Français, les artisans, les entreprises dans les périodes de crises successives que nous avons connues ces dernières années. Nous sommes dans une période où il est important de retrouver des marges de manœuvre. Toutefois, nous ne remettons pas en question les grandes politiques publiques, dont le soutien à l’export. Nous considérons que nos opérateurs peuvent tout à fait faire des économies sur le fonctionnement, l’organisation, sans remettre en question les grandes politiques publiques. La filière vitivinicole a une force de frappe très importante à l’export, c’est une véritable réussite à l’international que l’on doit continuer à soutenir et encourager.
Après le recul gouvernemental de 2023, auquel vous avez participé comme député, y a-t-il un nouveau projet d’augmentation des taxes et accises sur la vente de vins pour 2024 ou après ? Ou la fiscalité comportementale est-elle enterrée en France pour le gouvernement ?
Je reste sur la position que j’ai défendue lors du dernier budget. Je ne suis pas favorable à une augmentation des taxes et accises sur l’alcool. Je considère que les sujets autour des addictions et consommations excessives d’alcool doivent être réglés grâce à des politiques de prévention, d’information, de lutte contre les addictions. Chaque problème ne peut pas trouver sa traduction dans de nouveaux impôts ou augmentations d’impôts. La fiscalité ne peut pas tout !
Par rapport aux difficultés économiques de la filière vin, la balle est-elle désormais dans le camp des banques alors que s’est ouvert ce mardi 27 février une réunion pour le plan d’urgence trésorerie ?
Le ministre des Finances, Bruno Le Maire, a réuni les banques autour de l’enjeu de leur mobilisation aux côtés de la filière agricole en général et de celle viticole en particulier. Il y a des débats devant nous. Par exemple la bonne mobilisation des assureurs dans le cadre des assurances climat. Il faut mobiliser les acteurs qui ont un rôle à jouer à côté de l’État dans le soutien aux filières.
Dans l’effet ciseau touchant les trésoreries de la filière vin, on entend souvent l’effet de l’augmentation sans commune mesure du tarif des bouteilles de verre, dont les prix ne diminuent pas suffisamment. Êtes-vous partisan d’une enquête anticoncurrentielle sur les verriers comme celle lancée en Italie ? En avez-vous diligenté une ?
C’est une préoccupation sur laquelle s’exprime régulièrement la filière. Nous aurons l’occasion de faire un point sur le sujet prochainement.
* : La lettre a été signée par le Comité National des Interprofessions des Vins à appellation d’origine et indication géographique (CNIV), la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d’Origine Contrôlées (CNAOC), l’Association nationale interprofessionnelle des vins (Anivins de France), la Confédération des vins IGP de France (Vin IGP), la Fédération des Exportateurs de Vins et Spiritueux (FEVS), la Fédération Française des Vins d’Apéritif (FFVA), la Fédération nationale des spiritueux (FFS), l’Union des Maisons et Marques de Vin (UMVIN), les Vignerons Coopérateurs de France et les Vignerons Indépendants de France.
Les signataires de la lettre d'engagement ce lundi 26 février au salon de l'Agriculture, à Paris. Photo : Bercy.
Le secteur des vins et spiritueux constitue le deuxième poste excédentaire à l’export de notre balance commerciale. Symbole de l’excellence française, il est également porteur d’enjeux de société et d’aménagement du territoire, tant sa place dans notre culture et dans nos régions est essentielle.
Contrepartie de cette histoire, ces métiers sont encadrés par des règles anciennes, d’origine nationale ou européenne, dont l’accumulation conduit à une charge administrative importante pour les opérateurs. Dans un contexte d’évolutions structurelles et de forte concurrence internationale, l’accompagnement de ces entreprises constitue une priorité du Gouvernement.
Dans le cadre de la démarche de simplification qu’il a engagée, des avancées spécifiques doivent concerner ce secteur, sans préjudice en matière de niveau de régulation, d’application des règles européennes et de respect des normes fiscales.
C’est pour traduire et structurer cette ambition conjointe que la présente lettre fixe les sept chantiers majeurs sur lesquels l’administration et les représentants des opérateurs s’engagent à travailler de concert.
Axe n° 1 : réexaminer le corpus déclaratif à l’aune du principe « dites-le nous une fois »
Dans le cadre du suivi spécifique lié à la profession viticole, les opérateurs sont parfois amenés à communiquer les mêmes données à plusieurs reprises à une ou plusieurs administrations ainsi qu’aux interprofessions et aux organismes de défense et de gestion.
Afin d’éviter ces redondances, l’administration et les opérateurs s’engagent à partager un diagnostic quant au nombre et à la nature des informations demandées. Sur cette base, des propositions de simplification seront listées pour réduire la charge pesant sur les professionnels, en veillant à ce que l’administration dispose toujours d’un accès immédiat aux données nécessaires à l’exercice de ses missions. Elles devront également garantir aux interprofessions et aux organismes de défense et de gestion un niveau d’information inchangé, indispensable à leurs activités.
Dans ce cadre, l’interopérabilité des systèmes d’information sera recherchée, sur le modèle des interconnexions d’ores-et-déjà existantes entre certains applicatifs de FranceAgriMer et de la douane.
Axe n° 2 : harmoniser les modalités de calcul du parcellaire en matière de viticulture
La définition de la superficie des parcelles viticoles diffère selon qu’elle concerne la politique agricole commune, la gestion du casier viticole informatisé ou les dispositifs d’aides suivis par FranceAgrimer. Ces différentes méthodes de mesurage peuvent avoir une incidence sur la quantification des aides et la valorisation des patrimoines. Elles sont sources d’incompréhension pour les opérateurs et de complexités inutiles.
L’administration s’engage à faire converger les calculs des superficies vitivinicoles pour les exploitants.
Axe n° 3 : simplifier les obligations requises par l’application « Mouvements Vitivinicoles »
Les entreprises vitivinicoles expédient ou reçoivent des produits non soumis à accise. Conformément à la réglementation européenne, un document électronique doit tracer les mouvements de ces marchandises. Toutefois, l’applicatif actuel « MVV » s’avère complexe et chronophage, a fortiori pendant la période des vendanges, en raison du grand nombre de transports de produits vitivinicoles entre viticulteurs et négociants. Afin d’y pallier, l’applicatif « MVV » actuel sera remplacé par un nouveau module au sein de l’applicatif GAMMA.
Les opérateurs seront associés à ces développements avant la fin du premier semestre 2024.
Axe n° 4 : arrêter les contours d’un compte vitivinicole unique
La dématérialisation des procédures est presque intégralement réalisée et la création du portail Prodouane constitue une première étape en vue de faciliter l’accès aux applicatifs. La création d’un compte unique permettant aux professionnels de réaliser un maximum de leurs démarches sur un seul espace informatique accessible avec un identifiant unique constitue la prochaine étape de simplification à mettre en œuvre.
L’administration va consulter les opérateurs en vue d’arrêter le périmètre d’une telle démarche, d’évaluer les gains générés par cette simplification et d’engager les démarches pour y parvenir.
Axe n° 5 : assouplir le dispositif de circulation des vins en droits acquittés
Depuis 2019, les opérateurs peuvent opter soit pour l’apposition d’une capsule représentative de droits (CRD) pour les livraisons de vins en droits acquittés sur le territoire national, soit pour le recours à un titre de mouvement validé au moyen de l’applicatif européen. Le recours à cette seconde option génère toutefois des coûts en termes de démarches administratives et de développements informatiques. De surcroît, les schémas logistiques de la grande distribution imposent à de nombreux viticulteurs le maintien de la CRD.
Les signataires s’engagent à mener un travail conjoint afin de définir les pistes de simplification pour la circulation de ces produits sur le territoire national.
Axe n° 6 : évaluer le système d’épalement des cuves en vue d’alléger la réglementation
Le jaugeage des cuves est une obligation coûteuse pour les entreprises, tant pour la réalisation
de la prestation proprement dite que du fait de l’immobilisation des cuves qu’elle induit. En
2016, l’obligation fiscale de jaugeage des cuves pour les vins, les cidres et les bières tant pour
les récoltants que pour les négociants a été supprimée. Toutefois, cette obligation est maintenue pour les produits intermédiaires et les alcools.
L’administration et les opérateurs objectiveront les impacts du dispositif actuel et dégageront les pistes de simplification permettant d’y remédier, sans préjudice en matière de garantie de la loyauté des transactions commerciales.
Axe n° 7 : actualiser le régime de gestion des alambics
La réglementation relative à la détention, la réparation et l’utilisation des alambics ainsi qu’à l’installation de compteurs à alcools est très ancienne. Elle génère aujourd’hui des lourdeurs administratives de suivi, tant pour les opérateurs que pour l’administration.
L’administration proposera aux opérateurs un programme de simplification portant sur le scellement et le descellement concernant les productions non soumises à des règles interprofessionnelles, le régime de l’autorisation préalable de réparation d’alambic et l’installation des compteurs à alcools.