Hervé Bizeul : Se battre contre des moulins à vent est une vision romanesque qui ne m’anime plus. La réalité est qu’aujourd’hui, le vrai pouvoir mondial est aux mains de l’administration, et pas qu’en France. Son objectif, louable, organiser les sociétés est mis au second plan : elle cherche surtout à justifier son existence, à créer des normes et des règlements pour augmenter son pouvoir, justifier plus d’embauches, plus de moyens. C’est une hydre. Je ne pense pas que l’on puisse revenir en arrière. Il y a toujours moins d’agriculteurs et toujours plus de fonctionnaires, alors même que la dématérialisation du monde est terminée et que c’est l’usager qui fait désormais le boulot. Et pire, il est désormais impossible de croiser un humain [on est face à] des robots téléphoniques, des portails informatiques inhumains.
Comment améliorer, à défaut d’alléger, la pression administrative ?
La première chose à faire serait de remettre l’église au milieu du village : l’administration doit être à notre service, nous considérer comme des clients et non comme des délinquants en puissance ou des enfants de maternelle, nous aider à faire ce qu’elle exige de nous. Et chaque demande devrait être explicitée pour que l’on revienne à la raison pour laquelle la norme a été mise en place. Quand la police des airs et frontières arrive pour un contrôle de saisonniers, le policier met la main sur la crosse… Je l’ai vécu ! Ne parlons pas des contrôles approfondis des douanes ou de la DGCCRF. Nous pourrions aussi être considérés en fonction de notre apport à la société : combien d’emploi créés ? De taxes versées ? D’impôts payés ? De contributions pratiques à la révolution environnementale ou à la balance commerciale ? Au bien-être animal ? Recevoir une note, comme celle de la banque de France, commencer par un « merci » et un « bravo » de la part du fonctionnaire, suivi d'un « je suis là pour vous aider » au lieu de nous prendre pour cible, de chercher à nous enfoncer, à nous punir, à tout prix, pour une broutille souvent. Le droit à l’erreur a été une vraie avancée, mais en pratique, il n’est pas appliqué.
Si je vous entends bien, deux mondes s’opposent alors qu’ils devraient s’entraider ?
Nous devrions nous entraider. A la base, il y a toujours une bonne idée : la protection des salariés pour éviter des accidents, la commercialisation d’un vin sain pour éviter les fraudes… Commençons par poser que lors d’un contrôle on ne peut pas tout bien faire : il est impossible de tout savoir d’autant que systématiquement l’administration se réfugie derrière un « nul n’est censé ignorer la Loi » honteux… C’est une grande injustice : il n’existe aucune information qui descend, pas de portail qui récapitulerai mes obligations, pas d’agenda pour mes déclarations. Mais je dois tout savoir, tout connaître, tout appliquer. Sinon, on me gronde ou on me puni. Ça créé un sentiment insupportable : on se lève en se disant « qu’est-ce que je vais oublier de faire aujourd’hui ? » On se couche en pensant « qu’est-ce que j’ai mal fait ? » La charge mentale est invivable. J’ai renoncé à la plupart des aides, à l’export par exemple.
Pourquoi ?
Deux exemples parmi tant d'autres. J’ai sollicité des aides de la région Occitanie pour la relance post-covid pour mettre en avant mes cuvées dans le monopole canadien du Québec (la SAQ). J’ai acheté des emplacements dans des succursales, respecté les logos et j’ai réglé des factures d’un monopole d'état : on m’a ensuite demandé des photos de chaque étalage acheté. Les agents commerciaux ont fait leur possible, roulant jusqu’à 800 km pour faire une photo au fin fond du grand Nord, mais on m’a rétorqué que la preuve n’est pas suffisante et j’ai été retoqué de 70 % de l’aide… On m’a répondu qu’il y avait des règles à respecter. Que je pouvais frauder. Franchement… C’est un manque d’humanité. Ces contrôleurs deviennent les garde-chiourmes de l’Europe en faisant pire que ce qui leur est demandé.
Pareil pour FranceAgriMer, qui contrôle, ce qui est légitime, et drôlement sérieusement, à l’ampoule prêt. Un an plus tard, nouveau contrôle... du contrôle. Bercy, deux énarques, qui vous jouent la sympathie et pour un obscur règlement qui a changé B27 aliéna 3, section D remettent en cause tout le montage alors que même France Agrimer tombe des nues. Et on peut perdre une subvention, couler une société, détruire de l’emploi. Le fonctionnaire, inhumain, s’en moque. Il part avec un sourire carnassier aux lèvres, il aura de l’avancement. Ecœurant. Alors que c’est de l’argent européen qui devra être rendu avec pénalités. Honteux et stupide.
Vous ne ressentez donc aucun relâchement de la pression administrative ?
La dématérialisation de la Douane s’est bien passée, il faut saluer ce qui simplifie la vie. La contrainte est là, légitime (je produis de l’alcool donc de la drogue, pour certains) mais plus simple et ça marche. Mais un vigneron se retrouve par exemple à gérer quatre fichiers séparés de son parcellaire : aux Douanes, à l’ODG (Organisme de Défense et de Gestion), à la MSA (Mutualité Sociale Agricole) et pour les aides PAC (Politique Agricole Commune). Quand on a 200 micro-parcelles d’un vignoble qui évolue, c’est de la folie.
Vous ne croyez pas du tout à la simplification administrative promise par le gouvernement face à la fronde agricole ?
On me parle de simplifier, et au même moment, on me met un QR Code sur la bouteille… C’est là le pire, on fait le contraire de ce que l’on dit et on nous prend pour des idiots. L’administration française marche sur deux critères : la responsabilité du déclarant, qui augmente avec la dématérialisation, et la peur du gendarme. Si demain il y a une guerre et que je dois partir, je veux le faire dans une compagnie avec des vignerons ou des agriculteurs en polyculture élevage : ce sera ma seule chance de survie, ce sont des surhommes ! Je mets au défi un énarque de prendre en main une exploitation viticole ou agricole aujourd'hui ! Mais si l’un d'eux a le courage de le tenter, ce dont je doute, qu'on le filme, surtout. Il sera enfin dans la réalité d’un monde où deux agriculteurs se suicident tous les jours. La pression de l’administration fait partie de ces tragédies de la vie agricole.