nnée de fête pour la biodynamie, qui marque le « centenaire du “Cours aux agriculteurs” de Rudolf Steiner, qui a impulsé le début de ce mode de production […] elle s’est notamment développée dans le milieu viticole (particulièrement en France !) grâce à ses effets bénéfiques sur les vignes et, in fine, sur le vin » pose un communiqué commun de l’organisme de certification Demeter et l’association Loire Vin Bio qui organisent un salon commun réunissant 100 vignerons certifiés en biodynamie à Paris (11-12 février 2024, en off du salon Wine Paris & Vinexpo Paris). Avec en clou de l’évènement « une soirée pour remonter jusqu’en 1924 ! » Le paradoxe étant qu’à l’époque, il est peu probable que l’anthroposophe Rudolf Steiner aurait porté un toast au futur développement des vins en biodynamie. Il aurait plutôt pris des pincettes face à un sujet explosif. Des pincettes comme celles qui parsèment les notes du fameux Cours aux agriculteurs (éditions Novalis, 27 € pour 250 pages, traduction de l'allemand par Ilse Démarest-Oelschläger).
Indiquant à ses élèves qu’il était possible d’appliquer ses principes à la viticulture (voir encadré), Rudolf Steiner doit répondre frontalement à la question : « avons-nous, en tant qu'anthroposophes, le droit d'encourager la viticulture ? » La réponse du maître tient de la circonvolution, partant d’exemples témoignant d’anthroposophes liés à l’économie du vin (notamment un propriétaire de vignobles finançant des campagnes hygiénistes), pour arriver par assumer une position individuelle hygiéniste prônant l’abstinence, mais ne pouvant pas être affirmée haut et fort (en visant le grand soir, mais par petits pas évitant une confrontation avec une société à contre-courant).
« Voyez-vous, dans beaucoup de cas, l'anthroposophie ne peut être là aujourd'hui que pour dire ce qui est. La question de savoir ce qui doit être sera aujourd'hui encore bien difficile dans les domaines les plus divers » indique Rudolf Steiner, qui précise plus clairement : « on ne peut pas tout imposer aujourd'hui. C'est pourquoi j'ai dit : les cornes de vaches sont certes celles que nous prenons aux vaches et que nous mettons en terre. Mais prendre des cornes de taureau pour les mettre sur nos têtes et lutter contre tout à la manière d'un taureau pourrait, le cas échéant, causer un grand tort à l'anthroposophie. » Cent ans plus tard, la société semble avoir évolué dans son sens, entre débats sur le Dry January en particulier et la dénormalisation de la consommation de vin.


En cent ans, la question de l’application d’un précepte hérité de l’anthroposophie, la biodynamie, à la production de vin va désormais de soi : plus d’hésitation, au contraire ! Le Mouvement pour l'Agriculture BioDynamique (MABD) répond à Vitisphere sur ce sujet que « Steiner était un homme pragmatique pour qui la liberté humaine, surtout dans la dernière partie de sa vie, était au-dessus de tout. Donc, à l'époque où il donne le cours aux agriculteurs*, il ne donne plus aucun obligation ou interdiction alimentaire ou de boisson à personne, ni même contre le tabac. Il en a donné à l'époque où il fréquentait la société théosophique. » Le MABD ajoutant qu' « au delà des polémiques faciles, nous sommes heureux de promouvoir une pratique agricole qui permettent de produire des vins mais aussi des carottes, du pain etc. de grande qualité , dans le respect du vivant, des producteurs et des consommateurs ».
Rappelant que « la certification Demeter s'appuie sur les principes de la biodynamie, mais n'a aucunement été développée par Rudolf Steiner », la certification Demeter indique à Vitisphere que « ce sont les agriculteurs, vignerons et entreprises de transformation qui façonnent notre label depuis des décennies pour en faire aujourd'hui l'une des certifications les plus exigeantes au monde » L'organisme certificateur ajoute que « Rudolf Steiner a posé les bases de la biodynamie en 1924, et incita les agriculteurs à expérimenter ces préconisations et réflexions. 1924 est donc un point de départ et c'est ce point de départ que nous mettons en avant cette année. La biodynamie est aujourd'hui une approche de l'agriculture tout à fait applicable à la viticulture, le nombre croissant de vignerons qui la pratique en est la meilleure démonstration. » Ainsi que la littérature spécialisée.
Prenez le Calendrier biodynamique 2024, calendrier lunaire et planétaire d’après Maria Thun (édition du Mouvement de l’Agriculture Bio-Dynamique, 12 € les 136 pages), le sujet de la viticulture y figure sans distinction parmi les cultures céréalières et potagères. « Pour tous les travaux en cave et jusqu'à la mise en bouteille, les règles indiquées dans les paragraphes précédents peuvent également être respectées » indique l’ouvrage, estimant que « les périodes fleur et fruit sont donc à privilégier, les périodes-feuille et défavorables sont à éviter ». Et d’avancer que « selon les observations de certains vignerons et œnologues, les levures seraient influencées par la valeur des coefficients de marée […] les moments de forts coefficients de marée favorisent la multiplication des levures, les moments de faibles coefficients affaiblissent ces micro-organismes. » Ou que « pour le travail avec les rythmes cosmiques, nous supposons que les êtres vivants "inférieurs" (plantes, levures, bactéries….) sont sensibles à des influences subtiles transmises par la Lune et l'ensemble des planètes, plus qu'à des phénomènes gravimétriques issus uniquement de la Lune et du Soleil. »
Pour la perception de l’application de la biodynamie au vin, c’est le jour et la nuit en 100 ans.
* : Le MABD précise que Rudolf Steiner « explique précisément l'action des différentes substances, en particulier celle de l'alcool du café, du tabac, de la pomme de terre, etc. sur notre organisme humain. A ce titre il indique que l'alcool peut être néfaste pour les personnes souhaitant suivre un cheminement spirituel. Mais il dit aussi dans le cours aux agriculteurs qu'il ne faut pas mener campagne contre le vin et que cela pourrait nuire au développement de l'anthroposophie. (réponse aux questions après la 6° conférence). »
Après la présentation des outils de la biodynamie, à la question « peut-on employer le moyen de lutte contre les maladies des plantes pour la vigne aussi ? », Rudolf Steiner réplique que « bien que cela n'ait pas été expérimenté - pas non plus par moi-même -, bien qu'on n'ait pas non plus fait grand-chose à ce sujet du point de vue occulte, je dois tout de même exprimer ma conviction dans ce sens qu'il aurait été possible, comme je l'ai déjà indiqué de protéger la vigne si on avait procédé de la façon que j'ai mentionnée. »
Autre évocation de la vigne dans le Cours aux agriculteurs avec la crise phylloxérique expliquée par Rudolf Steiner : « de nombreuses régions du monde civilisé [ont] payé l'ignorance de l’influence cosmique, autant dans la mesure où celle-ci agit à travers l’air en passant par ce qui se trouve au-dessus du niveau du sol que dans la mesure où elle agit d'en bas par l’intermédiaire de la Terre; on a dû payer la rançon de cette méconnaissance […] et ainsi le phylloxéra s'est abattu sur de grandes étendues de vignobles. Face au phylloxéra, on se trouvait bien impuissant. […] Ces choses ne peuvent pas, de toute évidence, être traitées efficacement par cette science que l'on a aujourd’hui ; on ne peut les traiter que si l'on peut réellement s'ouvrir à ce qu'on peut trouver sur les chemins que nous avons évoqués. »