ilence et médaille d’or. N’ayant pas souhaité répondre aux sollicitations des journalistes de Complément d’enquête, la société Gilbert & Gaillard n’a pu défendre son concours de dégustation de vin "International Challenge" dans l’émission diffusée ce jeudi 14 décembre sur France 2. Alors que les reprises des éléments de cette émission dans la presse généraliste sont multiples, généralement peu élogieuses pour le concours, Gilbert & Gaillard a envoyé dans la soirée du vendredi 15 décembre une demande de droit de réponse au site Vitisphere suite au compte-rendu paru le matin même. Le décret du 24 octobre 2007 indiquant qu'un droit de réponse peut être exercé directement dans la section des commentaires d'un article publié en ligne, proposition a été faite par Vitisphere, ce lundi 18 décembre en milieu d'après-midi, de publier ces réactions directement en commentaire de l'article en question. Proposition refusée par G&G dans la nuit du 21 décembre, avec l'envoi d'un deuxième texte de droit de réponse en prime. Le concours tenant aussi visiblement que vivement à informer la filière vin de sa vision du reportage de Complément d’enquête, ces deux commentaires sont désormais publiés à la suite de l’article original pour que chacun puisse y avoir accès in extenso.
Sortant de son silence habituel (des demandes de réaction par Vitisphere étant restées lettres mortes après un précédent reportage belge ce printemps) le concours reproche paradoxalement à notre site de donner écho à des informations que son organisation n'a pas souhaité commenter lorsqu’il leur en a été donné l’occasion par France 2. Pour Gilbert & Gaillard, dans son premier message du 15 décembre, « on ne s’étonnera pas cette fois encore des procédés utilisés par l’équipe de Complément d’Enquête pour étayer un procès d’intention. En revanche, il n’est pas admissible qu’un media comme le vôtre se contente de reproduire sans vérification, sans recoupement de source, les allégations d’une émission de télévision dont la volonté de nuire saute aux yeux de chacun. » Et d’ajouter ce 21 décembre que « ces informations dénigrant le Gilbert et Gaillard International Challenge sont d’autant plus graves qu’elles participent à nourrir à dessein, de manière directe ou insidieuse selon le cas, une entreprise de décrédibilisation de notre travail […] ce qui s’apparente à une tentative de lynchage prémédité » Si le contradictoire n’a pu être assuré faute de retour des principaux concernés dans l'émission mise en cause, voici ici développés les arguments de G&G.
Premier point pour Gilbert & Gaillard dans son message du 15 décembre, « vous sous-entendez que le Gilbert & Gaillard International Challenge a décerné en 2022 une médaille d’or à une cuvée de champagne Didier Chopin issue d’un lot frauduleux composé d’un mélange de vin blanc d’Espagne et de gaz carbonique, ne faisant ainsi que répéter sans aucune vérification les allégations de l’émission Complément d’Enquête. Il ne fait pour nous aucun doute que l’échantillon en question ne pouvait provenir que d’un lot de champagne parfaitement légal et que les Champagnes Didier Chopin ont utilisé frauduleusement cette médaille régulièrement obtenue sur le lot incriminé. » Précision ce 21 décembre : « il ne fait donc aucun doute que l’échantillon présenté, provenait d’un lot de champagne parfaitement légal.Pourquoi sous-entendre le contraire ? Pourquoi éluder l’hypothèse évidente que les champagnes Didier Chopin ont pu sans difficulté utiliser frauduleusement cette médaille, régulièrement obtenue, sur le lot trafiqué ? » Et d’ajouter dans les deux cas « nous réservons bien sûr le droit d’attaquer en justice les champagnes Didier Chopin pour utilisation frauduleuse de notre médaille ».
Pour G&G, la faute de la médaille à des lots de vin reviendrait donc à la société Didier Chopin, actuellement en redressement judiciaire, dont l’avocat n’a pas donné suite aux sollicitations de Vitisphere. Il faut rappeler que comme l’indique l’article 7 du règlement intérieur de l’International Challenge Gilbert & Gaillard, le contrôle par le concours des lots médaillés n’est pas obligatoire, mais facultatif : « la Société organisatrice pourra procéder, de manière aléatoire, à des prélèvements sur le lieu de vente de "produits" primés porteurs des médailles et effectuer des dégustations de contrôle afin de vérifier que le profil organoleptique est conforme à celui de l’échantillon primé. » Coup de chance pour les flacons défectueux de Didier Chopin : passés entre les mailles du filet, ils n’ont pas été contrôlés et leur médaille aura tenu du blanc-seing. Combien de médailles pour cette cuvée et combien de contrôles réalisés en moyenne ? Le concours n'a pas donné suite aux demandes de précision, semblant plus goûter aux droits qu'aux devoirs de réponse.
Autre critique de Gilbert & Gaillard ce 15 décembre : la « même légèreté concernant la dégustation réalisée par la jeune sommelière Laura Vidal à la fin de l’émission. Comment pouvez-vous prêter foi sans aucun recul critique ou précaution d’usage à une dégustation organisée dans de telles conditions et la comparer à la dégustation à l’aveugle d’une douzaine d’échantillons différents réalisée par l’équipe du GG International Challenge ? » Répondant aux remises en question par des accusations, le concours estime aussi qu’il peut y avoir une triche dans la séquence sur l'envoi de vins languedociens mis dans des bouteilles bordelaises. Alors que l'on voit à l'écran deux vins Pays d’Oc et Corbières achetés en grande distribution puis transférés dans des flacons du vigneron complice Jean-Baptiste Duquesne (château Cazebonne) avant d'être médaillés par G&G (à 100 %), le concours réplique que « l’origine des échantillons est plus que douteuse comme en témoignent l’achat des bouteilles et le transvasement théâtralisé des vins en dehors de tout contrôle d’huissier. Dans ces conditions, tout est absolument possible, y compris le soupçon que notre pirate bordelais n’ait pas modifié du tout les échantillons envoyés » indique Gilbert & Gaillard.
Contacté, pour espérer rassurer G&G sur le sérieux de notre rédaction, Jean-Baptiste Duquesne réplique que les organisateurs du concours « demandent deux bouteilles de chaque vin et une analyse que nous avons effectuée. Ils ont une deuxième bouteille en leur possession. De toute façon, la vraie question est de savoir s’ils décernent à chaque fois 100 % de médailles sur les bouteilles présentées. Notre envoi et la réponse du G&G n'est pas une preuve. Mais c'est quand même surprenant que tous les vins aient obtenu la médaille d'or. » De son côté, France 2 indique à Vitisphere que la déontologie journalistique impose que tout ce qui est montré à l'antenne soit bien conforme à la réalité et vérifié. Le concours n'a quant à lui pas répondu à nos demandes de vérification portant sur les doubles des bouteilles envoyées par le château Cazebonne. Ni aux questions sur ses taux de récompense des vins candidats.
Alors que le choix de vins languedociens pour les échantillons piégés et le terme de « piquette » utilisée dans le reportage ont blessé dans le Midi viticole, Gilbert & Gaillard rentre dans le débat en relevant un « rétropédalage en règle : les derniers rebondissements semblent toutefois militer en faveur d'une vision moins radicale et sectaire de cette affaire. Le 19 décembre dernier [NDLA : en réalité le 20], face aux réactions scandalisées des vignerons languedociens et de leurs organisations professionnelles [NDLA : respectivement des menaces en ligne et l’étude de suites par l’AOC Corbières], Vitisphere a donné la parole à notre "pirate bordelais" dans un article titré "La polémique piquette dégonflée par le vigneron Jean baptiste Duquesne". Ce dernier y procède à un rétropédalage en règle : "Je n’approuve pas le terme de piquette, je voulais faire une blague, j’ai pris…, un chardonnay technique, boisé au copeaux, facile à boire : irréprochable à 3,50€ ; un corbières marchand, nickel pour son prix de 1,99€" Miracle ! ces flacons ne sont plus des piquettes infâmes, mais des vins dont le profil correspond tout simplement à leur prix » se gausse G&G.
Le concours a cependant tronqué la citation en question, l'amputant d'une partie non négligeable de son sens. Jean-Baptiste Duquesne précise à l'origine son choix de vins languedociens par : « je n’ai pas pris des vins de Bordeaux pour que la démonstration du manque de sérieux de ce concours soit meilleure avec des vins d’ailleurs. J’ai pris le moins cher trouvé en linéaire. Un chardonnay technique, boisé au copeau, facile à boire : irréprochable à 3,5 €. Un Corbières marchand, nickel pour son prix de 1,99 € », qu'il indique avoir présenté respectivement comme un merlot et un sémillion de Bordeaux. Une modification des propos et un apparent rattrapage aux branches de la polémique de la piquette qui ne sont pas sans faire écho à une critique de G&G à l’encontre de France 2 : « amalgame des sujets, détournement de pièces, recherche de la déstabilisation… C’est la raison pour laquelle nous avons refusé toute participation à cette pantalonnade. »
Autre critique de Gilbert & Gaillard : la séquence finale de Complément d'enquête avec la dégustation par la sommelière Laura Vidal des vins évoqués dans le documentaire (un flacon de Didier Chopin et les deux vins languedociens médaillés comme Bordeaux). « Le choix de la dégustatrice est pour le moins orienté, une sommelière de 29 ans [NDLR : 39 ans en réalité] d’origine québecoise décrétant sans nuance qu’aucun vin n’est bon en dessous de 10 € et qu’il faut fuir la grande distribution. C’est un peu comme faire goûter de la viande à un végétarien* » critique ce 15 décembre Gilbert & Gaillard, pointant une « mise en condition appuyée de ladite sommelière à qui l‘on décrit précisément les bouteilles en ajoutant "je vais vous faire goûter un mauvais vin acheté en grande surface qui a scandaleusement reçu une médaille d’or". » Pas moins définitif, le ton reste ferme ce 21 décembre : « le choix de la dégustatrice est également pour le moins orienté, une sommelière affichant clairement sa vision du vin, intellectuelle et quasi mystique, décrétant sans nuance qu’aucun vin n’est bon en dessous de 10-13 € et qu’il faut fuir la grande distribution. »
Soit pour résumer, une remise en question des capacités de dégustation objective du sommelier de l'année 2020 choisi par le guide Gault&Millau à cause de sa vision des vins de terroir, de sa prédilection pour les cavistes... mais aussi de sa jeunesse et de sa nationalité. Contactée, Laura Vidal explique qu’« une dégustation se base sur des critères factuels qui n’ont rien à voir avec des à priori. On m’a demandé mon avis professionnel et je l’ai donné. » Pour les deux vins languedociens, « je ne sais pas ce qu’a dégusté Laura Vidal. Je n’y étais pas » ajoute Jean-Baptiste Duquesne, pour qui « en tout cas, sa dégustation va dans le sens de ce que j’ai dégusté, un rouge simple sans grande matière, un peu fatigué et un blanc technique bien fait aux arômes boisés. » Le mot de la fin ? Encore une dose de contradictoire : « il est intéressant de noter que Gilbert et Gaillard ressentent le besoin de détourner la conversation du sujet réel qui demeure le suivant : l’authenticité et la transparence de leur attribution de médailles » réplique Laura Vidal.
* : Expression étendue ce 21 décembre à « deux autres intervenants, [NDLA : Jean-Baptiste Duquesne] le vigneron bordelais "pirate" clairement anticonformiste d’une part, et [NDLA : Antonin Iommi Amunategui] l’auteur-éditeur d’ouvrages spécialisés dans les vins naturels, organisateur de salons d’autre part, partagent la même vision et les mêmes opinions négatives définitives sur les concours ou la grande distribution. On ne ferait pas mieux en faisant goûter de la viande à un trio de végétariens. »