Samuel Montgermont : Je trouve très étonnante cette prise de position. Je ne savais pas qu’à l’OMS ils étaient devenus législateurs… Ils confondent leurs prérogatives : l’OMS a pour prérogatives de lutter contre les consommations excessives, qui relèvent de problèmes de santé. Je ne suis pas médecin, mais bien sûr qu’il faut travailler sur ces addictions. Mon rôle pour la filière est d’œuvrer à la consommation responsable. Et aujourd’hui, la bataille de la consommation modérée a été gagnée !
Ces gens de l’OMS sont restés bloqués il y a 30 ans, quand la consommation atteignait d’autres niveaux. Par rapport à 2010, ils se fixent l’objectif de réduire de 10 % la consommation d’alcool d’ici 2025. Mais je rappelle qu’en France la consommation d’alcool a déjà baissé de 16 % de 2010 à 2020. Il n’y a pas eu besoin d’appuyer sur quoique ce soit comme taxation ou fiscalité… La tendance est sociétale : c’est pour ça que la filière l’intègre dans son plan. Sur la même période, la bière s’est rénovée en s’ouvrant à un plus large panel de consommateurs. C’est notre objectif : ne pas avoir plus de consommation, mais plus de consommateurs.
Est-ce que l’on peut parler d’experts à l’OMS quand on se fixe -10 % en 15 ans et que l’on est déjà à -16 % en 10 ans ? Ils vivent dans leurs bureaux… Je suis vigneron-négociant, ça ne m’empêche pas de monter 12 fois par an le Ventoux à vélo : c’est un mode de vie sain et j’invite ces gens à venir pédaler avec moi pour en parler.
Dans ce même communiqué, le docteur Rüdiger Krech, directeur de la promotion de la santé pour l’OMS, estime que « taxer les produits malsains crée des populations en meilleure santé ».
Je ne sais pas d’où il tient cette analyse. On voit avec le prix minimum en Écosse qu’il n’y a pas de résultats sur les consommations excessives. Et cela paupérise encore plus les personnes ayant des problèmes d’addictions. Comment penser qu’un médicament miracle est d’augmenter le prix ?
En 2022**, l’OMS relevait déjà que « les taxes sur la vente d’alcool sont plus faibles que celles sur le tabac ». Reposant sur l’idée que le premier verre est déjà dangereux pour la santé, la dénormalisation de la consommation de vin est-elle votre plus grande crainte actuelle ?
La fiscalité comportementale tient de la même politique de dénormalisation appliquée au tabac il y a 15 ans. Il faut évidemment lutter contre les maladies d’addiction, ce n’est pas le sujet, mais penser que couper l’accès [aux boissons alcoolisées] permettra aux gens connaissant des problèmes d’excès de ne plus en avoir, c’est se mentir. Calquer la dénormalisation du tabac sur le vin n’est pas lié à la réalité.
9 Français sur 10 respectent les règles de consommation : pas plus de deux verres par jour et pas tous les jours. Que peut-on faire de plus ? Interdire le vin ? Si l’OMS veut supprimer la filière vin, qu’elle le dise au lieu de tourner autour du pot. Ils pensent que le vin est nocif dès le premier verre. Dans ce cas, on plie la filière directement. Mais quelle société aura-t-on ? Je n’ai pas l’impression que nos concitoyens le veulent… Regardons les salons des Vignerons Indépendants qui font un carton plein, j’y vois des consommateurs qui viennent rencontrer leurs vignerons pour un moment de convivialité, pas pour se saouler.
Pourtant en France, il y a encore eu un amendement récent*** pour fixer un prix minimum de l’alcool.
Ses oreilles vont siffler, le sénateur Benoît Jomier [NDLA : Île de France, Parti Socialiste] pensait que c’était la bonne idée, mais c’est illusoire. On voit en Europe, Écosse et Lituanie, que le prix n’a aucun effet sur les problèmes d’addiction. L’approche de la consommation de vin est datée : plus de 40 % des Français ne consomment jamais de vin. Quand j’entends des élus dire qu’un prix minimum va amener de la valeur ajoutée dans la filière en aidant les petits viticulteurs et tuer les gros faiseurs industriels, ça montre l’incompréhension du vignoble. Il n’y a pas tant de grands opérateurs et ce sont les petits producteurs qui les fournissent : négoces et coopératives. La filière vin est diffuse, pas industrielle en France. Je suis parfois dépité par certains de nos députés qui ont une connaissance médiocre de notre réalité. Il faut être exigent avec soi-même quand on l’est avec les autres.
Et alors que le pouvoir d’achat pose un problème, on voit où le prix minimum commence, mais on ne sait pas où cela peut s’arrêter… Le vin est un produit de plaisir, pas de nécessité : si son prix n’est plus accessible, d’autres produits deviendront des alternatives.
Parlons de lobby : nous devons muscler nos propos. Dès qu’un ministre visite un vignoble il nous dit que le vin est l’emblème de la France. Il faut trancher entre les discours.
Le défi du mois de janvier sans alcool, ou Dry january, rentre dans le calendrier français, et les stratégiques de la filière vin où les gammes desalcoolisées sont en plein essor. L’hygiénisme anglosaxon d’une pénitence après des excès alcooliques l’emporte-t-il sur la culture de la consommation modérée de vin à la française ?
Je n’ai pas de position dogmatique sur le Dry January. Mais si l’on doit justifier une période d’excès par une période d’abstinence, c’est que l’on n’a pas le mode d’emploi de la modération. Avec la consommation raisonnable, il n’y a pas à avoir d’abstinence comme il n’y a pas d’excès. Ce phénomène vient de pays anglosaxons qui ont des comportements d’alcoolisation excessive et rapide : le binge drinking. Que les pays anglosaxons résolvent leurs problèmes avec le Dry January, mais que l’abstinence ne devienne pas la justification d’excès.
Alors que le nouvel étiquetage des ingrédients et des informations nutritionnelles entre en vigueur pour le vin, comment voyez-vous la possibilité d’un message sanitaire européen sur les bouteilles ? Les étiquettes de vin vont-elles ressembler à des paquets de cigarette ?
Je ne vois pas les choses aller jusque-là pour l’instant. Même à plus de cinquante ans, je reste peut-être naïf… Nous avons réussi à dématérialiser ces informations nutritionnelles et d’ingrédients, c’est une vraie victoire. Il y a une pression pour un message sanitaire, la même que celle que l’on voit en Irlande : une identification marquée des dangers sanitaires. Mais penser que l’on règle les sujets d’excès par des interdictions générales ne fonctionne pas. C’est se tromper de combat. Ou cela revient à acter l’impuissance des acteurs de Santé en interdisant une filière.
* : « L'OMS appelle les pays à augmenter les taxes sur l'alcool et les boissons sucrées » titre le communiqué du 5 décembre 2023, déclarant que des études « soulignent que la majorité des pays n’utilisent pas les taxes pour encourager des comportements plus sains ». Notant qu’« au moins 148 pays appliquent des droits d'accise aux boissons alcoolisées », l’OMS relève « cependant que le vin est exonéré de droits d'accise dans au moins 22 pays, dont la plupart se trouvent en Europe. » Citant une étude de 2017, l’OMS ajoute que « des taxes augmentant les prix de l'alcool de 50 % contribueraient à éviter plus de 21 millions de décès sur 50 ans et généreraient près de 17 000 milliards de dollars de revenus supplémentaires ».
** : Indiquant que « l’augmentation de la fiscalité sur l’alcool pourrait sauver 130 000 vies par an », le communiqué du 23 février 2022 soulève que « les taxes sur la vente d’alcool sont plus faibles que celles sur le tabac » en Europe, laissant un « potentiel inexploité de la fiscalité sanitaire ». Pour l'OMS, « dans le contexte de l’alcool, la taxation doit être considérée comme une mesure sanitaire, et non comme un instrument purement économique [alors que l'] imposition d’un niveau minimum de taxe sur l’alcool permettra de sauver plus de 130 000 vies par an. »
*** : Rejeté au Sénat ce 27 novembre, l’amendement au projet de loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2024 visait « à étendre la "cotisation sécurité sociale" à tous les alcools » et plus seulement à ceux titrant plus de 18°.alc. Afin d’avoir « une incidence sur le prix des alcools les moins chers, ceux-ci étant les plus consommés par les jeunes et les consommateurs excessifs. Cette nouvelle rédaction de la cotisation spécifique des boissons alcooliques est équitable et permettrait d’abonder la branche maladie de la Sécurité sociale tout en favorisant des comportements favorables à la santé, comme cela a été constaté dans d’autres pays ayant adopté des mesures liées au prix de l’alcool. » L’Écosse étant le modèle cité en exemple pour son instauration d’un prix minimum.