es journalistes sont incorrigibles. Attachés à leur indépendance, ils s’évertuent à accomplir la difficile mission qu’ils estiment être la leur dans nos sociétés démocratiques : informer leurs concitoyens avec rigueur, éthique et responsabilité.
Lorsqu’ils s’intéressent à la question des boissons alcoolisées et des enjeux culturels, économiques ou sanitaires liés à leur consommation, certains journalistes ont l’outrecuidance de souligner que la modération* est susceptible de constituer un choix raisonnable (et fondé scientifiquement) pour celles et ceux qui souhaiteraient concilier la convivialité et le plaisir tout en minimisant les risques sanitaires.
Or il n’existe pour l’OMS qu’un seul choix raisonnable : ne pas boire une goutte d’alcool !
Afin de pouvoir asséner efficacement ce message simple aux populations - alcool et tabac, même combat - il est urgent semble-t-il de faire taire les voix discordantes. Tel est donc l’objet de ce « guide à l'intention des journalistes », véritable prêt-à-penser hygiéniste à l’anglo-saxonne fournissant en prime une liste étayée de sujets d’articles avec pour chacun d’entre eux les personnes à interroger et les questions à poser !
En attendant que des journalistes se penchent sur ce monument de désinformation pour établir la liste des erreurs factuelles, simplifications et omissions qui le parcourent, trois points particulièrement édifiants méritent d’être mis en exergue.
En premier lieu le profil des contributeurs du guide. Les auteurs représentent la fine fleur de la nébuleuse hygiéniste internationale : de la NCD Alliance, à Eurocare, un lobby anti-alcool infiltré à tous niveaux des institutions européennes, en passant par la Global Alcohol Policy Alliance ou encore l’organisation Movendi International, ex-Ordre international des bons templiers. Cette ligue de tempérance évangélique créée en 1851 a joué un rôle majeur dans l’instauration de la prohibition américaine et continue à œuvrer pour l’avènement d’un monde enfin débarrassé de toute boisson alcoolisée.
Toutes ces organisations ont un point commun : bien que se prévalant de la volonté de favoriser la prévention et la recherche, elles consacrent la quasi-totalité de leurs activités au lobbying - pardon, au plaidoyer - prohibitionniste.
Sur le fond, l’OMS entend relayer sa doxa en soulignant qu’elle n’est pas contestable car établie scientifiquement. Tarte à la crème des activistes du zéro alcool, les recommandations fondées sur la preuve ne prouvent généralement qu’une chose : que nos activistes en faveur de l’abstinence savent sélectionner les études qui les arrangent, les autres étant passées sous silence ou décrédibilisées.
Pour l’OMS l’affaire est entendue, l’idée qu’une consommation modérée d’alcool, et particulièrement de vin rouge, puisse avoir un impact positif sur le risque d’apparition de certaines pathologies notamment cardiovasculaires n’est qu’un « mythe », une « croyance ». Vu le nombre d’études scientifiques attestant de ces effets bénéfiques, dont au moins trois récentes**, le mythe a la peau dure !
Histoire de rire un peu, on notera que le guide nous indique que, selon une étude, beaucoup de ces fameuses études sont financées par l’industrie du « Big alcool », ce qui naturellement les disqualifie ainsi que les scientifiques qui les conduisent. Mais l’étude en question***, référencée dans une note de bas de page, nous apprend que, sur 386 études établissant l’impact positif sur la santé d’une consommation modérée, seules 5,4 % étaient financés par le secteur des boissons alcoolisées. Oups !
Aucun document estampillé OMS ne saurait bien sûr être publié sans quelques paragraphes bien sentis contre les producteurs de boissons alcoolisées responsables de tous les maux. Le pire étant sans doute de participer au renforcement des politiques d’éducation et de prévention. Ainsi en est-il des campagnes de valorisation du « conducteur désigné ». Baptisée SAM en France (« Celui qui conduit, c’est celui qui ne boit pas ») cette stratégie de réduction des risques a sans aucun doute sauvé la vie de dizaines de milliers de jeunes en France. Grâce à l’OMS, les journalistes vont enfin ouvrir les yeux : ces campagnes soutenues par l’industrie doivent être condamnées car elles ne servent qu’à redorer son image et à faire diversion. Les seules mesures efficaces pour prévenir le risque alcool étant fondées sur la hausse des taxes, l’interdiction de toute forme de communication et les restrictions de vente.
L’OMS va même jusqu’à nous expliquer que le concept de consommation responsable - encore une invention de l’industrie de l’alcool - doit être banni car il stigmatise et culpabilise les individus qui n’adoptent pas les bons comportements vis-à-vis de l’alcool. Autrement dit, un conducteur ivre causant un accident mortel n’est responsable de rien, contrairement au vigneron qui a produit la boisson que le conducteur a consommée avant de prendre le volant. Au moment où le gouvernement français réfléchit à l’instauration du crime d’homicide routier pour les chauffards ayant consommé de l’alcool ou des stupéfiants avant de provoquer un accident mortel (l’homicide étant involontaire, mais résultant d’une prise de risque volontaire) on appréciera la contribution de l’OMS au débat public !
L’idéologie qui parcourt ce « guide à l’attention des journalistes » est véhiculée depuis de nombreuses années dans notre pays au gré des rapports internationaux qui se succèdent pour marteler l’idée que l’alcool est d’abord et avant tout une molécule dangereuse qui doit être éradiquée au même titre que le tabac. On ne peut que déplorer de constater que ce néo-prohibitionnisme anglo-saxon finit par imprégner les décisions des instances sanitaires européennes et françaises.
Répétons-le : le vin fait partie intégrante du patrimoine culturel, gastronomique, touristique de la France. Il façonne nos paysages et s’inscrit dans une histoire millénaire. Apprenons à le connaître, apprécions-le, dégustons-le avec modération … Mais ne le sacrifions pas sur l’autel d’un hygiénisme mondialisé de plus en plus décomplexé. Résister à ses assauts est un combat permanent, difficile mais hautement nécessaire afin de préserver l’héritage culturel qui est notre bien commun.
* : Définie par les autorités sanitaires – En France « maximum 2 verres par jour et pas tous les jours ».
** : Voir les publications ‘Healthy lifestyle and life expectancy free of cancer, cardiovascular disease, and type 2 diabetes: prospective cohort study’ (2020), 'Drink types unmask the health risks associated with alcohol intake - Prospective evidence from the general population' (2020) et 'Mediterranean diet, alcohol-drinking pattern and their combined effect on all-cause mortality: the Seguimiento Universidad de Navarra (SUN) cohort' (2021).
[Modification du 7 juin à 12h46 : une erreur de mise en forme de la tribune par la rédaction de Vitisphere a conduit à de mauvais liens et références aux études citées en bas de page. Elles sont désormais mises à jour]