aurent Hilaire se frotte les mains. « Notre gamme Unik a du succès auprès des vignerons qui veulent se différencier avec des vins complexes. Nous pourrions vendre davantage de plants que nous en produisons ! Mais il faut du temps pour développer notre offre », explique le responsable commercial des Pépinières Mercier, à Vix, en Vendée.
Ce pépiniériste réalise des sélections massales depuis 2006 allant jusqu’à microvinifier et déguster les vins qui en sont issus. Il les vend sous la marque Unik qui compte aujourd’hui sept cépages : malbec, petit verdot, cabernet franc, cabernet-sauvignon, chenin blanc, merlot et grenache. « Nous établissons pour chacun d’eux les critères qui intéressent nos clients vignerons. Ainsi, pour le grenache, l’objectif est d’obtenir des baies plus petites présentant un bon équilibre entre couleur et degré d’alcool », indique Laurent Hilaire.
Le pépiniériste prospecte ensuite de vieilles vignes d’avant les clones pour repérer des ceps correspondant à ces critères, dans une large zone afin d’élargir la diversité génétique. « Pour le malbec, nous sommes allés jusqu’en Argentine », indique Olivier Zekri, responsable recherche et développement. Novatech, le laboratoire de l’entreprise, vérifie au préalable que les plants sont exempts de court-noué et d’enroulement. Seuls les plants indemnes de ces deux viroses sont multipliés. « Nous les plantons ensuite dans des parcelles d’évaluation afin de repérer les meilleurs, en comparaison à un clone de référence », précise-t-il.
Il faut compter au moins huit à neuf ans pour établir les caractéristiques agronomiques et œnologiques de ces sélections et vérifier leur stabilité. « C’est un investissement, qui renchérit le coût des plants de 20 % en moyenne », justifie Laurent Hilaire. Mais cela ne freine pas la demande. « Les vins obtenus avec ces sélections sont nos meilleurs ambassadeurs ! », assure Olivier Zekri.
Pour élargir sa gamme, Mercier planche sur le mourvèdre et le tempranillo. « Pour l’instant, nous vendons surtout en France, mais la demande émerge au Portugal, en Espagne et en Italie. C’est un mouvement de fond qui va s’amplifier », assure Laurent Hilaire.
Les Pépinières Guillaume, à Charcenne, en Haute-Saône, sont sur le même créneau. « Les vignerons se sont rendu compte que nos sélections massales donnaient des vins au profil gustatif excellent », relate Pierre-Marie Guillaume. Ce pépiniériste s’est lancé dans ce travail il y a une vingtaine d’années. « À l’époque, il n’y avait qu’un seul clone de riesling, par exemple. Et ceux du pinot noir provenaient tous de la même zone de Côte-d’Or. Nous avons prospecté plus largement pour accroître la diversité génétique. »
Aujourd’hui, l’entreprise propose plusieurs sélections massales de pinot noir qui ont en commun d’avoir des grappes lâches, peu sensibles au botrytis. « Pour faciliter l’adaptation au réchauffement, nous cherchons aussi à diminuer le degré. Nos sélections évoluent au fil du temps. Quand nous trouvons des ceps intéressants, nous les introduisons en remplacement d’autres », explique Pierre-Marie Guillaume.
Chez les Pépinières Guillaume, les sélections massales coûtent de 10 à 15 % plus cher que les clones du même cépage. La gamme comprend dix cépages : pinot noir, chardonnay, riesling, gewurztraminer, sauvignon blanc, viognier, cabernet franc, cabernet-sauvignon, syrah et merlot. « Pour le pinot et le chardonnay, les deux plus demandés, les sélections massales représentent un tiers de nos ventes », précise le pépiniériste.
Comme leur concurrent, les Pépinières Guillaume ne testent que le court-noué et l’enroulement alors que les clones certifiés sont également garantis indemnes de marbrure et de bois strié. Pour cette raison, et aussi parce que le contrôle des vignes mères et moins rigoureux que celui des vignes de clones certifiés, les plants issus des sélections massales sont classés en matériel standard et ne peuvent pas bénéficier des primes à la restructuration. « Cela freine la demande, mais certains franchissent malgré tout le pas pour leurs hauts de gamme », observe Pierre-Marie Guillaume. D’autres, pour limiter les surcoûts tout en accroissant quand même la diversité génétique, optent pour des mélanges de clones certifiés.
En Val de Loire, Ceps Sicavac propose deux sélections massales de sauvignon et planche sur une troisième de maturité plus tardive pour garder de la fraîcheur et de l’acidité malgré le réchauffement. « Il y a aussi de la demande pour les rouges. En 2024, nous allons sortir une sélection de pinot noir et, en 2025, une de gamay, qui seront diffusées par nos pépiniéristes partenaires », annonce Jean-Baptiste Roblin, responsable de Ceps Sicavac. En Bourgogne, l’ATVB travaille surtout sur le pinot noir. « Nous recherchons des ceps avec des petites grappes peu compactes. Actuellement, nous avons trois sélections ayant un potentiel de 35 à 40 hl/ha, 45 à 50 hl/ha et 55 à 60 hl/ha, destinées aux vignerons qui cherchent de la complexité pour leur cœur de gamme », précise Laurent Anginot, de l’ATVB. La demande progresse. « En dix ans, nos ventes de greffons ont été multipliées par trois et aujourd’hui nos partenaires pépiniéristes produisent un million de plants par an. » Là aussi, les critères de sélection évoluent. « Nous prospectons des ceps plus tolérants au stress hydrique », note-t-il. Et des travaux sont en cours sur l’aligoté et le chardonnay.