Denis Guthmuller : On est demandeurs depuis de nombreux mois de l’arrachage définitif, et on l’est toujours. Il y a un besoin d’arrachage en Côtes du Rhône pour répondre à une problématique économique (d’absence de marché) et à la pyramide des âges (amenant de nombreuses propriétés à la vente).
L’arrachage temporaire pourrait être plus facilement mis en place. La durée de vie des autorisations de plantation doit prochainement augmenter, passant de 3 à 6 ans, ce qui est compatible avec le temps long. Avec les deux ans pour transformer un arrachage en une autorisation de plantation, il y aurait une capacité de laisser le sol se reposer pendant 8 ans. Il n’y a que des impacts positifs, agronomiquement et économiquement. Ce délai permet à chaque exploitation d’adapter son encépagement à la demande (comme en allant vers les vins blancs). Profitons de ce temps de transition pour réduire nos charges, laisser reposer le sol et revenir avec un foncier viticole adapté et performant. La question de l’indemnisation des pertes de récolte doit être résolue pour inciter les opérateurs à se projeter sur un arrachage différé. Nous venons de poser une candidature au plan France Relance 2030 pour cultiver des cultures alternatives pendant le temps de repos. Nous verrons si ce projet de mise en place de cultures intermédiaires est retenu.
Quel serait le financement de l’arrachage définitif demandé : l’interprofession et l’État, comme le dispositif d’arrachage sanitaire à Bordeaux ?
Personnellement, je suis assez opposé à l’utilisation de nos fonds interprofessionnels pour financer l’arrachage définitif. Nous avons besoin de toutes nos ressources pour assurer la promotion de nos vins. Nous attendons de prochaines réunions de la filière pour avancer.
Il y a deux axes à réfléchir selon deux typologies d’opérateurs. D’abord, ceux proches de la retraite, qui sont en droit de s’arrêter et qui comptaient sur leur foncier viticole pour cofinancer leur retraite. Ils se retrouvent maintenant dans une situation inextricable où le foncier se libère massivement, sans qu’il y ait de demande pour acheter ou louer en fermage. Ensuite, ceux qui restent et sont à accompagner, en évitant qu’ils se retrouvent avec des centaines d’hectares abandonnés à proximité de leur vignoble et en les soutenant face aux turpitudes économiques mondiales. Chacun doit pouvoir adapter son potentiel de production.
Tablez-vous toujours sur 2 000 ha à arracher en vallée du Rhône ? Et 300 à 350 000 hectolitres de vin à distiller ?
Les estimations restent toujours approximatives. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas de visibilité nette sur la volumétrie de la distillation. Il n’y a que des estimations par des enquêtes forcément partielles. Avec le taux de réfaction, on pense que 230 à 250 000 hectolitres seront distillés dans le Rhône. Les demandes ont été plus fortes que le dispositif. La distillation va faire du bien, même si elle ne permet pas d’évacuer tout le déséquilibre. Des outils d’accompagnement complémentaires sont donc à mettre en place.
Quels sont les résultats de l’enquête du syndicat sur l’avenir du vignoble rhodanien ?
25 % du potentiel de production n’a pas de visibilité sur le maintien d’exploitation dans les trois années à venir. Un quart des surfaces n’a pas identifié de reprise. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de projet identifié à date que cela n’arrivera pas. Cela ne veut pas dire que 25 % du vignoble sera à vendre l’an prochain. L’enquête date de 2022, entre temps la situation a pu aussi se dégrader avec des trésoreries bouleversées.
Nos entreprises subissent l’inflation de tous les coûts de production et la désagrégation des prix de vente. Le vrac compte pour les deux tiers des volumes de Côtes du Rhône : nous sommes le maillon faible de la construction de valeur en grande distribution française (qui est notre premier marché). Nous subissons des baisses de prix sur nos vracs pour maintenir les marges des autres opérateurs. On voit des volumes de vin en vrac échangés à moins de 100 €/hl. Une partie du marché s’est décalée vers les tranches de prix inférieures, bien en deçà du seuil de rentabilité de nos exploitations, qui elles aussi subissent l'inflation.
Le syndicat a diminué de 51 à 41 hl/ha le rendement 2023 de l’AOC Côtes du Rhône. Une proposition qui n’avait pas été adoptée l’an passé. Les tensions commerciales ont-elles fait bouger les lignes ? Quelles sont les perspectives de rendement agronomique ?
Depuis plusieurs années la situation devient de plus en plus compliquée. Il n’y a pas de grand à-coup. La décision a été prise en mars, alors qu’il y avait un début de sécheresse et que l’on souhaitait privilégier la qualité. Le printemps pluvieux a causé des problèmes de mildiou, plus hétérogènes que dans d’autres vignobles français. Il y a eu des pertes de mildiou sérieuses. Fin août, une période de chaleur extrême a carbonisé certaines parcelles, ce qui a desséché certains raisins. Il y a une très grande disparité pour le rendement agronomique. Les vendanges touchent à leur fin. Malgré une belle sortie de grappes, on constate un volume de récolte bien en deçà de ce que l’on pouvait espérer. La sécheresse et les coups de chaleur extrêmes ont fait perdre beaucoup de jus.
Quel est votre cap pour les prochaines semaines, les prochains mois ?Il faut que l’on arrive à constituer un ensemble d’outils permettant à chacun de se saisir de ce dont il a besoin. Le vignoble est hétérogène, il y a des entreprises qui marchent et d’autres qui sont plus en difficulté. On doit avancer sur l’arrachage définitif et l’arrachage temporaire. Nous demandons aussi des mesures d’accompagnement pour les domaines en difficulté : exonération de la Taxe sur le Foncier Non Bâti (TFNB), des allégements de cotisation sociale de la Mutualité Sociale Agricole (MSA), des avances de trésorerie des banques (pour anticiper le paiement de la distillation)…
À moyen terme, il faut raisonner son exploitation et identifier sa capacité de commercialisation pour adapter son outil de production. L’arrachage différé serait un outil collectif pour construire un potentiel de revendication adapté. Je suis le premier à constater que lorsque l’on baisse le rendement, on impacte d’abord ceux qui fonctionnent bien et vendent 51 hl/ha. C’est compréhensible que ceux qui en pâtissent n’apprécient pas cette baisse de rendement. Je suis pour revenir le plus vite possible à un rendement de base de 51 hl/ha, et nous y arriverons si nous réduisons notre potentiel de production. Nous allons regarder des outils d’adaptation de la production aux possibilités de commercialisation de chacun. Il faut travailler dessus pour être performant. Une parcelle de vignoble dont on n’arrive pas à commercialiser le fruit est un gouffre économique.
Quelles sont les pistes : une réserve climatique comme en Champagne, un Besoin Individuel en Commercialisation (BIC) comme en Pays d’Oc ?
Nous allons regarder les outils possibles. Nous avons mis en place une réserve interprofessionnelle l’an passé, mais c’est un outil qui a du trouve tout son sens quand les marchés sont dans une situation normale et tendent vers un déséquilibre. Il joue alors le rôle de lanceur d’alerte. Malheureusement, nous avons mis en place la réserve quand le déséquilibre était déjà fort. On trouve parfois encore sur le terrain une absence de connaissance des difficultés économiques des vins du Rhône. Tout le monde n’est pas au courant : il y a une forme d’inertie sur une partie de la filière, où l’on n’a pas la capacité de réagir de suite.