près Bordeaux, la vallée du Rhône entre à son tour en zone de turbulences. Les ventes de Côtes du Rhône, la principale appellation de la région – 1,2 million d’hectolitres récoltés en 2022 – accusent le coup sur le marché du vrac. Au 30 mars, les volumes contractualisés reculent de 26 % par rapport à l’an dernier, pour atteindre 548 000 hl, d’après les données d’Inter Rhône. Quant au cours moyen du millésime de l’année, il perd 15,5 €/hl, pour s’établir à 130 €/hl. Les difficultés se concentrent sur les rouges, couleur phare du vignoble, vendus à 60 % en vrac.
« Nous vendons moins et moins cher, résume Olivier Andrieu, directeur des caves coopératives de Roaix-Séguret et Villedieu, dans le Vaucluse. A Roaix-Séguret, nous n’avons vendu que 30 % des 13 700 hl de côtes-du-rhône rouge que nous avons produits en 2022. En temps normal, tout est verrouillé à la fin décembre. Qui plus est, nous avons encore en stock 10 % de la récolte 2021. Cela n’arrive jamais à cette période. Côté prix, on perd 15 %. On limite la casse. »
« C’est le cœur du marché qui souffre, renchérit Jean-Marc Pradinas, directeur des Vignerons Réunis de Sainte-Cécile-les-Vignes, également dans le Vaucluse. Or, ce segment représente 60 % de nos volumes. » Selon lui, les consommateurs ont réorienté leurs achats vers les entrées de gamme à cause de l’inflation. Résultat : comme à Roaix-Séguret, les transactions sont en retard. Début avril, la coopérative n’avait contractualisé que la moitié des 65 000 hl de côtes-du-rhône qu’elle a vinifiés en 2022. « Habituellement, la quasi-totalité de nos volumes sont négociés à cette période », précise le responsable.
« Les négociants ne passent aux achats que s’ils sont sûrs d’avoir un marché en face. D’autant qu’ils savent qu’il y a de la disponibilité », observe Christophe Pasta, courtier à Châteauneuf-du-Pape. Jean-Marc Pradinas souligne d’autres changements. « Les acheteurs ne se positionnent plus sur des grosses quantités, affirme-t-il. Ils achètent au coup par coup et sur des plus petits lots, car leurs clients ont encore du 2021. »
Dans ce contexte, les prix continuent de chuter. « Aujourd’hui, des lots se vendent en dessous de 100 €/hl, confie un directeur de cave coopérative. Certains acheteurs nous font même des offres à 90, voire 85 €/hl. » Ce que plusieurs interlocuteurs nous ont confirmé.
Au moins, les retiraisons ne traînent pas. Les vins sont achetés et enlevés dans la foulée. Au point que certaines situations sont paradoxales. « Nos sorties sont en avance par rapport à la campagne précédente, relève Jean-Marc Pradinas. On ne baisse pas les bras. On se bat tous les jours pour trouver des clients. » Début avril, il a ainsi vendu un lot de 4 500 hl de côtes-du-rhône rouge médaillé pour la foire aux vins d’automne d’une enseigne de la grande distribution.
Bernard Roustan, directeur général de la cave coopérative de Costebelle, à Tulettes, dans la Drôme, a pour sa part vendu plus de 85 % des 55 000 hl de côtes-du-rhône rouge produits cette année. Adhérente au groupement Cellier des Dauphins, cette coopérative lui vend près de la moitié de sa production. « Vu le contexte, on ne s’en sort pas trop mal grâce à notre union, commente Bernard Roustan. Mais par rapport à l’an passé, nos partenaires ont acheté moins et à des prix inférieurs. Notre prix moyen de vente devrait ainsi baisser de 15 %. »
Si les rouges sont à la peine, Costebelle a en revanche vendu ses blancs au double du prix des rouges. « Nous en manquons, alors qu’il y a cinq ans, il nous en est resté sur les bras », constate Bernard Roustan. Costebelle a en outre diversifié sa production sur les rosés, 10 000 hl de côtes-du-rhône vinifiés cette année. Mais ils ne sont pas la solution à la crise des rouges. « Nous n’avons pas de notoriété dans cette couleur », souligne Bernard Roustan.
Reste qu’à quatre mois des vendanges, l’inquiétude grandit chez les opérateurs rhodaniens. « Habituellement, 70 % des côtes-du-rhône sont contractualisés avant le mois de mars, indique Christophe Pasta. Cette année, on en est loin. Des affaires vont encore se faire, mais sur une durée plus longue. En attendant, la propriété porte du stock. »
De l’avis d’un autre courtier, des lots resteront sur le carreau. « Les cuvées bas de gamme ne sortiront pas des caves ou seront distillées », prédit-il. Ces vins sont concurrencés par des IGP ou des vins de France qui se négocient à des prix inférieurs. »
Christophe Montalban, qui vient de créer Sofia Vins, un négoce spécialisé dans le vrac, craint un effondrement du cours de l’appellation régionale, sans que cela ouvre des débouchés. « Dans les rayons, les rotations ne sont pas au rendez-vous et les distributeurs réduisent les assortiments », dépeint-il. Afin de rééquilibrer le marché de l’appellation régionale, le syndicat des vignerons des côtes-du-rhône a décidé de porter le rendement de la récolte 2023 à 41 hl/ha, soit 10 hl/ha de moins que le rendement annuel. Cette mesure est assortie d’un VCI de 10 hl/ha. « Ces volumes ne pourront pas être commercialisés, mais nous les auront quand même en cave », relève Bernard Roustan, qui aurait préféré un VCI inférieur.
« Le marché des Pays d’Oc rouge est morose depuis le début de l’année », déplore Frédéric Nunez, directeur de la cave coopérative de Montagnac, dans l'Hérault, qui a produit 166 000 hl en 2002. Castel et Grands Chais de France, qui achètent des vins à cette coopérative, sont passés aux achats en début d’année. Puis ne sont pas revenus. « Nous avons contractualisé 83 % de notre récolte, souligne Frédéric Nunez début avril. Actuellement, les transactions portent davantage sur des IGP Hérault, Terre du Midi et des vins de France de cépage. Les acheteurs recherchent du prix. » « Le marché des IGP Pays d’Oc rouge est poussif, confirme Florian Ceschi, courtier pour Ciatti International. Tout va se jouer après la période de risque de gel printanier. » Pour le moment, l’IGP Pays d’Oc affiche un cours moyen de 95 €/hl, soit 5 € de moins que l’an passé.