ualifiée depuis l'origine de « procédure bâillon » par Valérie Murat, la plainte pour dénigrement du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CVIB) et 25 opérateurs bordelais déposée fin 2020, semble bien mener la militante antiphyto au silence depuis la fin 2022. Condamnée en première instance par le tribunal judiciaire de Libourne à 125 000 euros de dommages et intérêts en février 2021 pour son dossier paru en septembre 2020 d’analyses de résidus phytos de vins certifiés Haute Valeur Environnementale (HVE), la porte-parole de l’association Alerte Aux Toxiques se voit interdite par la justice de « procéder de nouveau à la diffusion et/ou à la promotion sur tout support des communiqués de presse et dossiers de presse "Analyses de résidus pesticides dans les vins, résultats : la HVE encore gourmande en pesticides", sous astreinte de 500 € par manquement constaté ».
Menant une levée de fonds en ligne pour régler son amende et se pourvoir en appel, Valérie Murat a cependant participé fin 2022 aux reportages du journaliste militant Hugo Clément (Sur le front : alerte rouge sur le vin), à un documentaire sur les certifications agroenvironnementales (Labels, des verts et des pas mûrs) et au dossier Que Choisir pour les foires aux vins (Comme une odeur de vinaigre). Une succession de prises de position publiques qui n’ont pas manqué de faire réagir parmi ses plaignants : une lettre de mise en demeure lui a été envoyée par la présidence du CIVB pour lui rappeler les termes du jugement. Et son obligation de les appliquer sans plus de délai pour préserver la réputation des vins de Bordeaux.
« La péremption de la possibilité d’appel est de deux ans. Nous attendons que le jugement devienne définitif ou qu’elle paie la totalité des dommages et intérêts. Il lui a reste interdit de communiquer sur le sujet » résume maître Jean-Philippe Magret, défense du CIVB. « Tant que l’on est condamné et que l’on n’a pas fait appel, je me dis que tout ce qui est dit dans le sens de ce qui a été condamné est condamnable » explique l’un des plaignants, qui estime que « ce qu’elle fait aujourd’hui, elle aurait dû le faire depuis sa condamnation : se taire. Pourquoi on n’a pas fait la même chose pour la juge à la retraite qui estimait que 40 % du vin de Bordeaux serait frauduleux ? »
L’ancienne présidente de la quatrième chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux, Caroline Baret, qui est désormais retraitée, estimait qu'« à [son] avis, environ 40 % du vin de Bordeaux est mélangé » dans un dossier de Que Choisir. Caroline Baret indique à Vitisphere avoir reçu une lettre recommandée de la direction du CIVB fin 2022, lui reprochant des propos péremptoires, tapageurs et incompatibles avec le devoir de réserve, de discrétion et de mesure qui lie tout magistrat ou ancien magistrat. Un courrier assorti de demandes de précisions sur la véracité de ses propos et ses sources. Trouvant surréaliste ce « courrier menaçant et intimidant », Caroline Baret rétorque que cet envoi à son domicile est une atteinte à la vie privée (le garde des sceaux étant l'autorité à saisir, selon elle, s'il y a un reproche liée à sa qualité d'ancienne magistrate). La juge retraitée estime également que l'interprofession n'est pas habilitée par son objet social à de telles demandes et ajoute que la notion de devoir de réserve est plus permissive pour un magistrat que pour un fonctionnaire*. Résultat : l'ancienne juge compte bien garder sa liberté de parole.


Pour Valérie Murat, la simple lettre de mise en demeure a eu de l’effet, se fondant sur l'application d'un jugement et lui rappelant l'obligation de l'exécuter (au-delà d'un courrier, le CIVB aurait même pu aller jusqu'à une sommation ou une saisie du jugement d'exécution). Retirée des réseaux sociaux, Valérie Murat ne répond plus à la presse. Même le site de son association, Alerte Aux Toxiques, n’est plus accessible sur internet. « La lanceuse d'alerte Valérie Murat a dû couper toute communication en ligne (réseaux sociaux, site de son asso, etc.) après une énième mise en demeure du CIVB » avait annoncé le compte Twitter du média No wine is innocent, animé par le journaliste Antonin Iommi-Amunategui. Actuellement, la cagnotte de Valérie Murat atteint 105 000 €, soit 84 % du montant ayant jusqu’au 10 novembre 2023 pour être réuni à temps. Si Valérie Murat n’est plus active médiatiquement, ses remises en question de HVE sont désormais reprises par des associations et ONG qui attaquent la certification gouvernementale devant le Conseil d’État pour tromperie du consommateur. Sujet qui avait d'ailleurs fait réagir Valérie Murat dans la section des commentaires du site Vitisphere.
* : Dans une réponse au Sénat en 2009, le ministère de la Justice indique que le devoir de réserve des magistrats de l'article 10 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 est notamment précisé par un avis du 9 octobre 1987 du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) qui stipule que « le magistrat n'est pas "obligé au conformisme" et ne saurait être "réduit au silence". Le principe de sa liberté de pensée, d'opinion et d'expression est le fondement même de "ce droit particulier" à l'indépendance qui distingue le magistrat du fonctionnaire » indique le ministère de la Justice, ajoutant que « sont ainsi sanctionnés, au titre du manquement au devoir de réserve, des propos comportant, dans la forme, l'utilisation d'expressions outrancières, et, au fond, toute critique de nature à porter atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer au justiciable. »