l’Institut Agro Montpellier, Alain Deloire, professeur de viticulture, et Anne Pellegrino, professeure associée en physiologie, étudient depuis 2019 l’effet de la date de taille sur « le débourrement, la floraison, la véraison, la date des vendanges et le rendement », explique Alain Deloire.
Ces chercheurs travaillent sur une parcelle de syrah menée en cordon de Royat qu’ils taillent à différentes dates. D’après leurs observations, jusqu’aux premiers pleurs, la date de taille n’a pas d’effet sur celle du débourrement. Mais si l'on taille durant les pleurs, généralement en mars, on retarde le débourrement de 6 à 8 jours, selon les cépages, par rapport à la taille hivernale. Un décalage qui ne se répercute pas par la suite sur la véraison ou la maturation. Pour retarder davantage le débourrement, il faut attendre qu’il survienne. Jusqu'à quand ? Les chercheurs donnent deux repères : soit quand les deux ou trois premiers bourgeons au sommet des sarments non taillés ont atteint le stade 3-5 feuilles déployées, soit quand les ceps taillés avant les pleurs sont entre 30 et 50 % de leur débourrement. Dans ces deux cas, on retarde le débourrement de 8 à 12 jours, puis le cycle de la vigne jusqu’à la véraison et à la maturation. De quoi échapper à bien des nuits de gel.
Ce printemps, les chercheurs ont poussé leur essai encore plus loin. Ils ont taillé la vigne à trois dates différentes : le 12 avril, le 20 avril et le 4 mai, sachant que le débourrement a eu lieu tout début avril et qu’au 4 mai, la vigne était déjà au stade bourgeons floraux séparés. « Dans nos conditions, nous avons retardé la véraison d’une dizaine de jours sur les modalités taillées mi-avril en perdant tout au plus 10 % de rendement, rapporte Alain Deloire. Mais, avec la taille du 4 mai, la vigne a accusé un important retard de croissance et le rendement à la récolte a été divisé par deux, voire un peu plus. »
Ce printemps, le Sicavac, l’organisme d’appui technique des vignobles du Centre-Loire, a mené des essais similaires, mais moins extrêmes, sur du sauvignon en AOC Sancerre et Coteaux du Giennois et sur du chardonnay en IGP. Les sauvignons sont taillés en guyot poussard, les chardonnays, en guyot simple. « Nous avons effectué une première taille en décembre en conservant la baguette et les deux futurs coursons, explique Marie Thibault, conseillère en viticulture et œnologie. Puis, nous avons formé la baguette et le courson à différentes époques : un mois avant le débourrement (mi-mars), 15 jours avant le débourrement (28 mars), au débourrement (15 avril) et une semaine après (27 avril). »
Comme il n’a pas gelé, cet essai n’a pas pu apporter d’enseignement à ce sujet, mais il en a apporté d’autres. Même en taillant une semaine après le débourrement, ni la véraison, ni la date des vendanges n’ont été retardées. Et seule une parcelle taillée le 27 avril a enregistré un léger déficit de rendement. « Nous allons poursuivre nos essais pour évaluer l’impact de la taille tardive sur le rendement », indique Marie Thibault.
À la chambre d’agriculture de Côte- d’Or, Thomas Gouroux conseille de ne pas trop dépasser le stade pointe verte pour ne pas perdre de rendement. Une préconisation qu’il suit dans ses essais. En 2021, ce conseiller a testé plusieurs modalités sur une parcelle de chardonnays de la Côte de Beaune taillée en guyot. Une partie de cette parcelle a été taillée en une seule fois à deux dates, le 1er février et le 31 mars. L’autre autre a été taillée en deux fois. « Début février, nous avons sélectionné le futur courson et la future baguette sans retirer les entre-cœurs, explique Thomas Gouroux. Puis nous avons dimensionné la baguette et le courson à deux dates : le 12 mars, alors que les bourgeons étaient dans le coton, et le 31 mars, alors qu’ils étaient au stade pointe verte. »
Le 7 avril, lorsqu’il a gelé, les vignes taillées le 31 mars – en une fois ou au second passage – affichaient 50 % de bourgeons éclatés quand ce taux était déjà passé à 80 % sur celles taillées en février. Résultat : les premières ont subi 30 % de dégâts en moins que les secondes. Outre qu’il confirme l’intérêt de la taille tardive pour lutter contre le gel, cet essai montre que tailler en une fois ou en deux passages est sans incidence sur le débourrement, seul compte le moment où l’on taille les branches à fruits. La chambre d'agriculture de Côte-d’Or observe aussi que la taille en deux temps, c’est 30 % de temps supplémentaire. Pour sa part, le Sicavac indique qu’il faut 6 à 7 jours par personne et par hectare pour tailler une vigne en deux temps, soit un à deux jours de plus qu’en un passage. Si la taille en deux temps allège la somme de travail à la fin du printemps, force est de constater qu’elle alourdit significativement le coût des chantiers.
Vigneron à Chambolle-Musigny, en Côte-d’Or, Dominique Le Guen participe à un réseau d’essais sur la taille tardive piloté par la chambre d’agriculture depuis l’hiver 2020-2021. Sur une parcelle de 25 ares en appellation régionale conduite en guyot simple, il a taillé les six premiers rangs début décembre. Sur les seize autres rangs, il est intervenu en deux fois : début décembre, il a coupé l’ancienne baguette et laissé les bois du courson, début mars, il a procédé à la taille définitive en laissant 2 yeux sur les coursons et 6 à 8 yeux sur les baguettes. Dans la foulée, le vigneron a attaché toutes les baguettes. Cet essai a eu un effet considérable. « Au printemps, nous avons constaté un décalage de 7 à 10 jours du débourrement entre les deux tailles », indique-t-il. De quoi réduire significativement l’impact du gel de la nuit du 7 avril où le thermomètre est tombé jusqu’à -5 °C. À cette époque, les six premiers rangs de la parcelle étaient au stade pointe verte, tandis que dans le seize autres, les bourgeons étaient encore dans le coton. Sur les ceps les plus avancés, 70 % des bourgeons ont grillé contre 20 % seulement sur les autres. Ces essais ont été reconduits en 2022. Ils ont abouti à des résultats identiques quant au décalage du débourrement. Le gel n’ayant pas sévi cette année, rien n’a pu être observé à ce niveau.