hangement de braquet. Cette année, Nicolas Lesaint, directeur technique du château de Reignac, à Saint-Loubès, dans le Bordelais, s’est résolu à retarder et à réorganiser la taille de cette vaste propriété de 77 ha. « Depuis 2017, nous subissons le gel tous les ans, expose-t-il. À chaque fois, une vingtaine d’hectares sont touchés. Les hivers n’étant plus aussi marqués qu’autrefois, le débourrement est plus précoce, ce qui accroît les dégâts du gel. Il nous faut trouver des solutions. Les bougies sont inadaptées au vu de notre superficie. » Reste la taille tardive.
Mais sur 77 ha plantés à 6 600 pieds/ha et conduits en guyot double à plat, impossible de concentrer tout ce travail sur une trop courte période. « Le palissage doit être réparé, les baguettes pliées et les sarments broyés avant les premiers traitements », justifie Nicolas Lesaint.
Pour commencer, il a retardé la taille d’un mois et demi, début janvier au lieu de mi-novembre. Pour abattre le même travail qu’avant mais dans un délai plus court, il a embauché quatre saisonniers en renfort de ses cinq salariés permanents. Début janvier, ces ouvriers ont démarré la taille sans toucher à la baguette fructifère. Ils ont coupé les anciennes baguettes en deux ou trois morceaux. Début février, ils se sont mis à tirer les bois, toujours en laissant les futures baguettes à fruits intactes. « Auparavant, ils tombaient les bois le matin, puis taillaient les baguettes l’après-midi, précise Nicolas Lesaint. Cette année, ils ont tiré les bois des journées entières. Ce qui a permis de différer à fin février-début mars la taille et le pliage des baguettes. »
Le directeur technique a également modifié l’ordre des interventions dans les parcelles. « Autrefois, nous débutions par les vignes éloignées de la propriété, puis nous enchaînions avec les parcelles autour de l’exploitation, indique-t-il. Cette année, nous avons inversé cet ordre car les secondes sont moins gélives que les premières. »
Le chef d’orchestre du Château de Reignac a aussi isolé une parcelle de merlots de 4,5 ha extrêmement sensible au gel. « Nous l’avons taillée le 15 avril, relate-t-il. Je pensais que c’était gérable avec mes équipes. Mais nous avons été pris par la réparation des piquets, le broyage des sarments et le décavaillonnage. Pour m’en sortir, j’ai fait appel à un prestataire. » Cinq personnes ont taillé cette parcelle en dix jours. Coût de l’opération : 7 300 € pour ces 3,5 ha taillés en prestation de services. Après cela, cette vigne a débourré une semaine après les autres. Elle n’a pas subi de dégâts après le gel, début avril, alors qu’une dizaine d’hectares de merlot ont été touchés autour de la propriété. Fort de cette expérience, l’an prochain, Nicolas Lesaint prévoit de tailler tous ses merlots après ses cabernets-sauvignons. Et il a acquis deux éoliennes qui vont protéger 6,5 ha de vignes qui donnent les cuvées haut de gamme.
À une cinquantaine de kilomètres de là, à Abzac, Laurent Rousseau, propriétaire des Vignobles Rousseau, une exploitation de 67 ha de vignes, a revu tout aussi profondément son organisation après un essai très concluant mené en 2021 sur 20 ha. « Nous avons fait une récolte normale alors qu’il a fortement gelé cette année-là », annonce le vigneron girondin. Fort de ce résultat, il a basculé 48 ha de cabernet-sauvignon et de merlot conduits en guyot simple et double en taille franchement tardive cette année. « J’ai un important marché aux États-Unis de 350 000 cols reconduit chaque année, explique-t-il. Je veux sécuriser ce débouché, sans quoi, je risque de le perdre. »
Dans cette propriété, les vignes sont plantées à 4 000 pieds par hectare. Pour mener à bien son chantier d’envergure, Laurent Rousseau a eu recours à deux prestataires de services qu’il a prévenus dès la fin des vendanges 2021. Avant de les faire intervenir, au cours de l'hiver, il a effectué un léger prétaillage sur le fil de fer du haut pour faciliter les travaux à venir.
Début avril, une trentaine de saisonniers sont arrivés sur l’exploitation. Ils ont tout effectué en un temps record, taillant 40 ha entre le 4 et le 20 avril, puis 8 ha entre le 19 et le 27 avril. Dans la foulée, ils ont tiré les bois, plié les sarments et épampré les 40 ha auxquels ils se sont attaqués en premier. Sur les 8 ha restants, Laurent Rousseau a confié ces travaux à son personnel, huit salariés à temps plein. Coût de toutes ces prestations : 80 000 € HT.
« Pour arriver à faire cela, j’ai dû modifier le planning de nos autres interventions, souligne le vigneron. Nous avons effectué l’entretien du palissage, les réparations, les travaux du sol sous le rang, etc., en novembre-décembre. De même que le nettoyage intégral du chai, du sol au plafond, que nous impose la certification IFS. » Le personnel prend moins de congés en hiver et davantage le reste de l’année. Si le gel n’a pas sévi cette année, l’orage de grêle du 20 juin a nettoyé 50 ha. « Malgré nos efforts, nous n’avons pas fait une pleine récolte », se désespère Laurent Rousseau.
Dans la vallée du Rhône, Jérôme Benoît, le propriétaire au Mas des Flauzières – 35 ha à Sarrians en AOC –, fait appel à un prestataire de services depuis 2018. Ses vignes de grenache, mourvèdre, cinsault, clairette, viognier, etc., sont plantées à 4 800 pieds/ha et conduites en cordon de Royat. Les équipes arrivent généralement début mars. Elles commencent par les secteurs les moins gélifs et finissent par les zones les plus sensibles en laissant en moyenne 6 porteurs à deux yeux chacun. En trois semaines, le chantier est bouclé.
« Cela a un coût, mais ma priorité, c’est de sécuriser ma récolte », argumente le vigneron, qui a été lourdement impacté par le gel de 2017. Et de compléter : « Ça me simplifie aussi la vie ! Autrefois, je faisais appel à des saisonniers de janvier à mars. Je m’occupais de l’embauche, mon salarié supervisait leur travail. Aujourd’hui, nous avons du temps pour mieux faire d’autres tâches, comme l’entretien des tournières et des talus pour faciliter le passage des tracteurs. Mais aussi, les travaux en cave, la préparation des commandes… »
En 2021, Jérôme Benoît a échappé au gel. « Nous avions terminé la taille une semaine avant la catastrophe », se rappelle-t-il, soulignant qu’il ne veut plus revenir en arrière.
Christophe Bousquet, à la tête du château Pech-Redon – 30 ha à Narbonne (Aude) –, a lui aussi confié toute sa taille à un prestataire de services pour réaliser ce travail au dernier moment et en un seul passage. Début mars, ce prestataire dépêche une équipe de dix personnes qui taille tout le vignoble en un mois et demi. Plantées à 4 000 pieds/ha, les vignes sont conduites en gobelet (80 % de la superficie), en guyot et en cordon de Royat. Les saisonniers débutent par les cépages tardifs – carignan et mourvèdre – pour finir par les précoces – grenache et syrah – exposés au sud. Christophe Bousquet broie les sarments dans la foulée et en profite pour tondre en même temps les rangs enherbés.
« Ça bouscule les travaux de printemps, mais cela reste gérable car je laboure de moins en moins », souligne-t-il. Autrefois, nous faisions tout le travail de novembre à mars avec mes deux salariés et quatre saisonniers. Aujourd’hui, je n’emploie plus de saisonniers. C’est une contrainte en moins car nous avons de plus en plus de difficultés à recruter ! Et nous avons davantage de temps pour mieux nous concentrer sur le suivi des vins, les travaux en cave et l'entretien du vignoble. »
Le coût de la prestation reste raisonnable : 0,25 € par pied. Pour le vigneron de La Clape, c’est le meilleur moyen d’échapper au gel : « C’est moins de stress, même si nous ne sommes jamais à l’abri des caprices de la météo. »
Lorsqu’il est passé à la taille tardive, Nicolas Lesaint, directeur technique du Château de Reignac, à Bordeaux, a dû gérer le stress de ses équipes. « Notre nouvelle organisation a suscité beaucoup de questions, expose-t-il. Nos salariés avaient en permanence peur d’être en retard. Ils me demandaient sans cesse où nous en étions par rapport au planning. J’ai dû passer du temps à les rassurer. »