éélu à la présidence du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) ce 11 juillet (avec 47 voix pour et 1 abstention), le négociant Allan Sichel s’affiche dans la continuité de son prédécesseur, le viticulteur Bernard Farges, pour réduire la production de vins d’appellation en Gironde. « Le sujet le plus important aujourd’hui pour notre filière est son volume de commercialisation » déclare dans son discours Allan Sichel, soulignant que « la production des vins de Bordeaux en année normale – autour de 5,5 millions d’hectolitres - est désormais largement supérieure à nos volumes de commercialisation. Or, même si nous identifions des pistes de développement à l’export, il est peu probable que nous puissions compenser la baisse continue de la consommation de vin sur le marché français. Lequel, je le rappelle, représente 55 % de nos ventes. »
Si Allan Sichel partage avec Bernard Farges la même fin, rééquilibrer l’offre et la demande, il ne l’articule pas tout à fait par les mêmes moyens. Quand le deuxième prenait la filière par surprise ce 23 mai en demandant « comment changer maintenant les textes européens » pour rétablir l’aide à l’arrachage primé (ce qu'il précisait en réunion publique mi-juin), le premier n’y voit qu’une option parmi d’autres, lui préférant ostensiblement des alternatives moins destructives et plus valorisantes. « Il pourrait être judicieux de réaffecter certaines terres viticoles à la culture alimentaire humaine ou animalière, à la captation de carbone ou la production d’énergie verte. Ces conversions vertueuses requièrent et méritent une assistance financière pour leur mise en œuvre rapide et dans l’intérêt de tous » affirme Allan Sichel, ajoutant une nuance de poids : « il me semble en revanche essentiel que cette conversion soit réversible. La conquête de nouveaux marchés sera longue, nous retrouverons le chemin de la croissance et il serait dommage que notre potentiel ait été définitivement amputé. Nous devons donc veiller à conserver tous les bons terroirs. Et, ainsi, faire en sorte que notre vignoble puisse répondre à une potentielle augmentation de la demande future. »


Diplomate aguerri, Allan Sichel indique ne pas changer de cible, mais de façon de l’atteindre. Cela va demander un peu d’acrobatie verbale, alors que des flèches sont déjà tirées. La préfecture de Gironde indique ainsi avoir remonté au ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, la demande bordelaise d’étudier l’utilisation pour l’arrachage primé des fonds européens (OCM vin). Et le sujet anime depuis des semaines les débats de la filière : notamment sur les moyens de financement, les AOC ayant donné un accord de principe sur le besoin d’arrachage de Bordeaux. Il semble que la différence d’analyse entre négoce et vignoble sur le sujet du potentiel de production cause désormais un virage visible dans le discours politique du CIVB, où la demande d'arrachage primé était tout sauf consensuelle.
Si le mot d’arrachage brûle les lèvres de nombreux vignerons au bout du rouleau, il a été constamment écarté dans le discours du nouveau président, préférant la périphrase de « conversion vertueuse [et] réversible ». Le mot n’aura été prononcé qu’au bout d’une heure par le poil à gratter du vignoble Bordelais : Dominique Techer, le sempiternel porte-parole de la Confédération Paysanne. « Où est le sujet de l’arrachage ? » lance-t-il, alertant sur « des centaines de vignerons sont dans une situation désespérée et ne sont en vie que par du crédit court-terme ou des Prêts Garantis par l’État (PGE) qu’il va falloir rembourser. Et maintenant le problème est de savoir où rentrer la vendange 2022. » S’inquiétant d’« un accident industriel », Dominique Techer demande de l’accompagnement : « d’une part un plan social pour permettre le départ de ceux qui veulent sortir dans des conditions acceptables, d’autre part, une restructuration de l’outil restant, à savoir 30 000 hectares. Nous sommes à la veille des vendanges, quel est le plan B ? »
Dans sa réponse, Allan Sichel se garde de parler d’arrachage, pour défendre sur un ton très churchillien « la mise en œuvre de solutions : l’augmentation de l’écoulement des produits et la reconversion pour accompagner les sortants de la filière. Je n’ai pas de baguette magique, j’aimerais bien, pour dire que demain tout ira mieux. Ce sera difficile, ce sera pénible, mais je suis convaincu, que nous avons les ressources pour y répondre, même si ce sera long. » Durant cette assemblée générale, le constat de l’absence de miracle a été répétée plusieurs fois. Au CIVB, « nous ne résoudrons pas tout, mais je suis confiant sur notre capacité à faire bouger un certain nombre de lignes et à être créatifs » indique Bernard Farges dans son discours de passation, saluant la mobilisation méconnue des équipes permanentes de l'interprofession: « je veux saluer ce travail mené, souvent dans l'ombre, souvent perçu comme insuffisant. Je peux vous signifier que le travail est bien fait, avec application, avec motivation. »
« Je ne suis pas Jésus, ni la vierge Sainte-Marie, je ne fais pas de miracle, mais j’ai à cœur de prendre les problèmes et d’essayer d’envisager des solutions avec vous » indique Florence Bossard, la nouvelle directrice marketing du CIVB. « Sachez que l’État est à vos côtés dans ces moments difficiles, il ne sera jamais à la hauteur de ce que vous attendez » prévient Renaud Laheurte, le directeur départemental des territoires et de la mer de la Gironde, qui constate qu’« une part significative du vignoble de Bordeaux souffre […] et je sens la lassitude et la colère monter dans le département ». On ne pourra pas dire que les opérateurs des vins de Bordeaux aient été bercés d’illusions pendant cette assemblée générale.


Déjà président de 2016 à 2019, Allan Sichel rappelle chacun à ses responsabilités. Il note dans son discours la faible participation de la filière aux travaux du CIVB. « Trop souvent, nous ne nous tenons pas suffisamment au courant, ne lisons pas le Flash Infos hebdomadaire, ne participons pas aux réunions d’information ou restitution des études. Pire encore, dans l’ignorance de ce qui est fait, nous critiquons les mesures ou les décisions et attribuons trop facilement le tort au CIVB » indique-t-il, ajoutant que « si nous restons dans la critique et la contestation, nous n’avancerons que péniblement. Nous avons tout à gagner à nous nourrir mutuellement, travailler en collaboration, créer des ponts, des synergies puissantes qui ne feront qu’amplifier les bénéfices pour chacun. Alors, jouons collectif. »