lanète Bordeaux, on a un problème. Réuni ce 8 juillet à Beychac-et-Cailleau en assemblée générale (fermée à la presse), l’Organisme de Défense et Gestion des AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieurs aura été le réceptacle du mal-être du vignoble de Gironde. « Il y a un grand désarroi. La situation se tend de jour en jour : les volumes ne sortent pas, les prix sont au plus bas et l’inflation tombe en double peine sur tout notre outil de production » rapporte Stéphane Gabard, le président de l’ODG, qui appelle la base vigneronne à soutenir les demandes de son syndicat viticole pour enrayer la crise.
Durant cette AG, « on ne parle que de la crise » résume le vigneron Didier Cousiney, qui va vers une relance du collectif des viticulteurs du Sud-Gironde qu’il avait mené il y a 20 ans, lors d’une violente crise commerciale. Aujourd’hui, « la situation est pire : à l’époque les cours étaient à 680 € le tonneau, mais nous vendions. Maintenant il n’y a plus de marché, et pour tout le monde : caves indépendantes comme coopératives (avec des réductions des versements d’acomptes) » souligne le maire du Pian-sur-Garonne, qui reprend la proposition émise par un vigneron lors d’une récente réunion publique : adapter le montant des Cotisations Volontaires Obligatoires (CVO) aux cours du vin : être à 4,76 € quand le prix est à 1 400 € tonneau, mais le réduire quand il est inférieure propose Didier Cousiney, demandant aussi des efforts à la Mutualité Sociale Agricole (MSA).


Mais la principale demande reste l’aide à l’arrachage volontaire : avec l’idée portée par un noyau de vignerons du collectif du Sud-Gironde de demander une prime de 15 000 €/ha pour les 20 à 30 000 hectares qui seraient à arracher. « Il faut mobiliser pour ne pas laisser pourrir la situation. Certains ne vont pas passer le cap. Je vois trop de misère aujourd’hui » témoigne le vigneron Serge Rizetto (Casteviel), administrateur de l’ODG (comme Didier Cousiney). Notant que les langues se délient dans le vignoble pour demander « vite de l’arrachage », il regrette le temps perdu depuis la proposition d’aide à l’arrachage de 2019 au sein de l’ODG (5 000 ha, refusée en conseil d’administration).
« Il y a des blocages entre les structures coopératives, qui ne veulent pas perdre de volumes après avoir investi pour leur croissance, et les viticulteurs pour qui ça marche, qui ne veulent pas perdre d’aides européennes » rapporte Serge Rizetto, regrettant l’absence de solidarité au sein de la filière bordelaise. Un diagnostic à relativiser pour Stéphane Gabard, qui note que s’il a pu entendre de telles positions encore récemment, « on les ressent de moins de moins. Même ceux qui vont bien se rendent compte de la détresse de la profession et qu’il faut faire quelque chose. Il s’agit du devenir du vignoble. » Et de préciser que sans fonds de financement identifié, il est actuellement impossible de chiffrer un montant de prime ou un objectif de surfaces (mais d’indiquer que « l’AOC Bordeaux représente 64 000 ha, il n’y a pas besoin de la réduire de moitié »).
Notant des blocages persistants au niveau du négoce bordelais (qui serait en train d’évoluer sur la question) et d’instances nationales (la FNSEA et les Vignerons Indépendants*), le président des Bordeaux note une avancée dans la demande bordelaise d’arrachage : le soutien de principe affirmé par le conseil d’administration de la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC). « Nous avons obtenu l’aval de toutes les AOC pour porter cette question au plus haut de l’État. Les AOC indiquent ne pas être intéressées à date par l’arrachage, mais elles montrent une grande curiosité sur les dispositifs que nous pourrions obtenir. Peut-être pour l’appliquer à leurs propres AOC, car quand on regarde les chiffres de la commercialisation, il n’y a pas que Bordeaux qui soit en repli » pointe Stéphane Gabard.
Ces avancées semblent encore peu imprimer l’esprit des vignerons bordelais, où la pression du manque de trésorerie emporte les paroles et appelle à des actes. « Il n’y pas d’esprit d’intérêt commun, mais seulement des intérêts individuels » regrette un délégué de l’ODG à la sortie de l’AG, évoquant des vignerons sur le point de perdre « leur vignoble, leur entreprise, leur femme, leurs enfants… et finir clochard. » Ressentant ce désarroi, le vigneron Dominique Techer, représentant de la Confédération Paysanne, note que le « coup de grâce c’est l’inflation sur les matières premières. Les gens n’ont pas pris la mesure de ce qui se passe » estime-t-il. Dominique Techer consifère qu’« il n’y a pas de plan B. Le problème est à gérer maintenant. Il faut reconstruire la viticulture girondine avec une vision. Il faudrait un établissement public foncier pour gérer les terres à arracher. »


La réussite de tout arrachage se jouera sur le montant de la prime ajoute Stéphane Gabard, rappelant que lors des arrachages de 2005, Bordeaux misait sur 10 000 ha à retirer et n’en a arraché que 4 500 ha au final. « Nous appelons Stéphane Gabard à monter au créneau et nous le suivrons. Nous allons demander à rencontrer directement le ministre de l’Agriculture [Marc Fesneau] pour qu’il entende la base » annonce Didier Cousiney, soulignant que « le gros problème, c’est que l’on est à moins de deux mois des vendanges et que les chais sont pleins, on ne voit pas comment rentrer la vendange. » Planète Bordeaux, on a un problème.
* : Les points de blocage concernent le financement de l’arrachage au sein des aides européennes de l’Organisation Commune du Marché vitivinicole (OCM vin). L’ODG des Bordeaux propose l’utilisation de tout ou partie des fonds communautaires habituellement dédiés à l’investissement et à la restructuration du vignoble girondin pendant une période donnée (des sommes qui pourraient ne pas être consommées à l’avenir au vu de la crise et être retournées à Bruxelles précise Stéphane Gabard). Une approche régionalisée qui irait à l’encontre de la vision de fonds pour la construction et non la régression du vignoble français selon la FNSEA et les Vignerons Indépendants. Ces derniers préconisent d’essayer de trouver des fonds régionaux, en passant par le deuxième pilier de la Politique Agricole Commune (PAC). « Nous avons fait expertise ces leviers et nous ne voyons aucune possibilité d’y arriver aujourd’hui. Nous estimons que toute personne qui se dit d’accord avec l’arrachage, mais avec d’autres financements qui sont aujourd’hui inaccessibles, est une personne qui est contre l’arrachage » explique Stéphane Gabard.