e sujet ne laisse pas indifférent. Du 20 au 27 juin, 372 membres de la filière vin ont répondu au sondage de Vitisphere portant sur la question de la demande d’arrachage primé portée par un vignoble de Bordeaux en pleine crise de surproduction. Sans surprise, les sondés sont majoritairement bordelais, avec une prédominance de vignerons (voir résultats en infographies ci-dessous). Cette typologie de répondants accentue l’adhésion au besoin d’aider à l’arrachage (avec seulement 18 % d’opposition), mais sur des modalités différentes : 50 % demandent de « tout faire pour permettre aux vignobles le demandant d'être aidés pour leurs arrachages », 20 % de limiter l’aide aux vignerons « proches de la retraite et sans solution de succession » et 12 % « sans aides nationales » (avec des fonds régionaux et non issus d’une enveloppe nationale).
Dans les déclarations des sondés soutenant un arrachage primé, les mots de nécessité, d’urgence et de dignité reviennent souvent. « Cela fait plus de 20 ans que le vignoble bordelais connait une surproduction chronique. Résultat, aujourd'hui, plus personne ne vit de son travail dans les "petites" appellations (Bordeaux, Bordeaux Supérieur...). S'il n'y a pas (rapidement) des aides à l'arrachage, les faillites vont se multiplier et les vignes seront abandonnées ... » prédit un vigneron de Bordeaux (proposant des aides à l’arrachage de 12 000 €/ha). Dans la même lignée, « les primes à l'arrachage sont la solution durable pour réduire l’excédent chronique des vins de l'AOC Bordeaux. La distillation de crise d'il y a deux ans n'a rien résolu. Avec ces sommes on aurait déjà pu arracher 10 000 hectares » regrette un autre vigneron de Bordeaux (qui propose 5 000 €/ha).
Soutenant l’arrachage volontaire, certains ne veulent pas que soient reproduites les erreurs du passé. « L’arrachage ne doit pas ouvrir de droit à de nouvelles plantations dans le bassin bordelais. Il y a nécessité à ne pas reproduire les erreurs de la période 2005, avec un arrachage primé, et en parallèle de nouveaux droits de plantation distribués » indique un troisième vigneron de Bordeaux (préconisant une aide de 10 000 €/ha). « Ce qui est dommage c'est que la décision d'arrachage se fasse sur des critères sociaux économiques et pas sur des critères de qualité de terroir. Lors de la dernière campagne d'arrachage, j'ai vu des parcelles magnifiques, en coteau, arrachées, alors que des parcelles en plaines, souvent les pieds dans l'eau, gélives et au terroir médiocre subsistaient » s’inquiète un quatrième vigneron de Bordeaux (proposant 15 000 €/ha).
Pour les opposants aux demandes d’aides à l’arrachage, on retrouve souvent un appel aux responsabilités de chacun (« pas d’aides publiques pour des intérêts privés »). « C'est l'échec du productivisme à la bordelaise. Il faut revenir sur des terroirs ou l'on peut avoir du raisin mur sans anti-botrytis » tranche un opérateur Roussillon. « Il faut arrêter d'en appeler à l'argent public chaque fois que nous rencontrons une difficulté » tacle un vigneron Provence, conseillant de « sortir de l'AOP ! L'IGP Atlantique est un outil dont les Bordelais n'ont pas compris qu'il fallait s'en servir notamment en Rosé ou en Gris Atlantique ». Le regard n’est pas tendre depuis l’extérieur, où l’on juge que Bordeaux aurait dû changer avant d’être en crise. « Si le beaujolais avait dû arracher quand il était au creux de la vague… » grince un opérateur de la Vallée du Rhône. Et un opérateur du Beaujolais d’ajouter : « lors de la dernière campagne de primes, le Bordelais était tout à fait opposé et à continuer à planter en espérant prendre les parts de marché vacantes et maintenant on voit le résultat. »


Les jugements ne sont pas plus tendres de l’intérieur. Le retour à l’arrachage serait une « grossière erreur » pour un opérateur bordelais proposant « une restructuration du vignoble vers des IGP plus en adéquation avec les besoins des consommateurs ». Pour un négociant de Bordeaux, « des vignes sont indignes de produire des AOC Bordeaux. On ne doit pas les financer pour arrêter, elles pénalisent déjà depuis des années les efforts et valorisation des autres qui ont un marché et du potentiel. » Relancer l’arrachage primé serait « un scandale de plus » pour un vigneron bordelais estimant que « les primes ne doivent pas tuer, mais servir la profession (développement, restructuration, amélioration de l'outil, passage en bio…). Le problème n'a rien avoir avec la surface du vignoble, de mémoire 7 000 hectares ont été arrachés en 2005, maintenant on recommence et dans 10 ans rebelotte ! Le négoce tue Bordeaux, il y a d'autres solutions : comme faire plus de blanc, des rosés, une IGP, etc. » D’autres lecteurs proposent à Bordeaux de se restructurer plutôt que d’arracher. « Il faut trouver de nouvelles perspectives de vente et de diversification. Assurer la beauté des paysages » propose un acteur du val de Loire. « Il vaut mieux une prime à la restructuration pour faire évoluer rapidement les vignobles qui ne sont plus en phase avec le marché (style de vin, cépages, rendement...) » indique un opérateur du Languedoc.
Dans ces alternatives, « au lieu d'une prime d'arrachage, il faudrait une prime de "reconversion" vers une autre filière déficitaire (bois, fruits à coque...) pour que les surfaces soient occupées et que l'on ne revienne pas replanter de la vigne dans quelques années » ajoute un vigneron bordelais (proposant une aide à 15 000 €/ha). Cet arrachage pourrait devenir un enjeu d’avenir, en devenant « nécessaire dans de nombreux bassins viticoles, au vu des nombreuses exploitations sans reprises et des vignes peu entretenues » prévient un vigneron du Sud-Ouest (proposant 10 000 €/ha).