illésimées de l’an 2000, douze bouteilles du prestigieux domaine Petrus (Pomerol) ont été envoyées en apesanteur par l’entreprise Space Cargo Unlimited à 400 kilomètres d’altitude dans le cadre de la mission privée Wise (pour Vitus Vinum in Spatium Experientia). Réalisant 300 millions km autour de la Terre pendant 438 jours à bord de la Station Spatiale Internationale, ces flacons sont revenus intacts à Bordeaux ce début d’année, mais pas inchangés souligne Nicolas Gaume, le PDG et cofondateur de Space Cargo Unlimited lors d’une conférence de presse ce 24 mars à la mairie de Bordeaux.
Dévoilant les premiers résultats de la dégustation comparative organisée ce premier mars, Philippe Darriet, le directeur du département d’œnologie à l'Institut des Sciences, de la Vigne et du Vin (ISVV), reconnaît avoir été surpris au premier abord par le projet « hors du commun » de Space Cargo Unlimited, mais sa curiosité l’a emporté avec la perspective de premiers essais sur la conservation de vin dans des conditions de microgravité. Au terme de leur voyage spatial, ces flacons n’ont pas subi d’impacts organoleptiques préjudiciables rapporte le chercheur bordelais.


« Le vin a survécu à son voyage spatial » confirme la critique de vin Jane Anson (revue Decanter), qui fait état d’« évolutions plus marquées pour les vins passés par l’espace ». La dégustatrice note une robe différente, des tannins plus soyeux et une aromatique plus florale (notamment « le côté violette que l’on a souvent avec un Petrus vieilli en bouteille »). Si d’autres tests doivent être réalisés, Jane Anson indique qu’elle aurait spontanément « donné deux à trois ans de plus pour la bouteille ayant voyagé dans l’espace ». Prudent, Philippe Darriet note que des analyses doivent désormais être réalisés sur la chimie des vins (avec une centaine de composés étudiés), ce qui ne manquera pas de poser des questions sur les effets de l’apesanteur sur le vieillissement des vins (l’objectif est de publier ces résultats au plus vite).
« On n’en est qu’au début, ce sont des résultats qui nous encouragent à poursuivre » indique Nicolas Gaume, qui donne également de premières nouvelles des 320 sarments de merlot et cabernet sauvignon envoyés dans l’espace et replantés ce début d’année dans des serres (de l’INRAE et du groupe Mercier). « Il est beaucoup trop tôt pour tirer des conclusions, il faut laisser la nature vivre son cycle, mais on peut dire qu’aujourd’hui [que les vignes spatiales] poussent vraiment beaucoup plus vite que leurs jumelles terrestres : beaucoup de feuilles et des débuts de fruits » indique Nicolas Gaume.
Aucune conclusion ne peut actuellement être avancée pour Philippe Darriet, qui appelle à la patience et à des analyses pour préciser les premières observations. « Notre démarche est celle de recherche. On sait aujourd’hui qu’il y a des différences, on les a ressenties : le vin spatial est différent de celui terrestre, les sarments de vigne poussent plus vite. Les conclusions on les aura progressivement dans un an, deux ans, trois ans… » indique Nicolas Gaume, qui annonce que de nouvelles expérimentations auront prochainement lieu dans l’espace (cette fois sur les effets de l’apensateur sur la fermentation des vins).
« Nous pensons que l’espace a des clés pour réfléchir à ce que sera l’avenir de cette viticulture et pas extension de l’agriculture » ajoute l’entrepreneur bordelais, précisant que « si nous avons choisi la viticulture pour terreau d’étude, c’est que la viticulture est un peu le canari dans la mine. C’est l’un des premiers végétaux à souffrir, par sa sensibilité, du changement climatique. »


Espérant mettre à jour des réactions de stress causées par la microgravité, Space Cargo Unlimited espère pouvoir les utiliser pour proposer au vignoble des adaptions au changement climatique et à la réduction des intrants. « L’objectif est de développer une agriculture résiliente et résistante à des maladies comme le mildiou, et ce sans avoir recours à des barrières chimiques » déclare Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, qui souligne que « la Gironde est le deuxième département qui consomme le plus de pesticides de toute la France » et espère que ces essais « nous aident, dans les années qui viennent, à faire en sorte que nous ne soyons plus les champions d’une viticulture chimique ».