S’il vous plaît, dans votre article n’accolez pas les termes de "milliardaire chinois" à Jack Ma, c’est un philanthrope » glisse Tom Vercammen, le directeur général du château Sours, à l’issue d’une visite des 200 hectares de la propriété rachetée en 2015 par le créateur du site de vente en ligne Alibaba (leader du e-commerce en Chine). Au-delà des éléments de langage d’une communication d’entreprise, cette mise au point sémantique n’est pas si infondée. Mobilisant une enveloppe annoncée à 30 millions d’euros, les multiples travaux effectués semblent en effet réalisés à fonds perdus. Les premières cuvées devant être commercialisées en… 2023, soit huit ans après l’achat du domaine.
Mais l’apparent philanthrope peut aussi être une personnalité dont l’ego ne veut signer qu’un vin inattaquable ou être un chef d’entreprise ayant une vision de très long terme pour un investissement sur la viticulture de demain (ou d’hier, selon certains). Parcourir les vignes, bois et jachères du château de Sours donne le tournis, tant le projet vitivinicole déployé se place hors de tous les canons habituels des investissements dans l’agroécologie. En faire le tour tient plus d’un rutilant parc d’attractions que de l’habituellement modeste ferme en permaculture.
« Sur 200 ha, tout est labouré, soigné et propre » résume Tom Vercammen, pour qui « beaucoup reste à faire, mais ceux qui nous visitent ne se rendent pas compte de ce qui a déjà été fait ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 80 hectares de vignes sont en restructuration depuis 2018, avec un nouveau palissage en 2019, des drainages en 2020 et le lancement de travaux pour se doter de nouveaux chais en 2022… Dont les travaux s’élèveraient à 20 millions €.
Véritable jardin à la française, la propriété déploierait des milliers de rosiers, hortensias et arbres plantés (y compris en vergers), ainsi que des jachères mitant le vignoble (avec les bois). On trouve également au château de Sours une véritable basse-cour : 80 poules, 55 cochons Mangalica, 18 ruches, 15 vaches des Highlands… ainsi que des chèvres, faisans, ânes, chevaux... « Avant 2015, nous étions dans une monoculture, maintenant nous sommes en polyculture » résume Clarisse Naulet, la directrice technique, qui est présente sur l’exploitation depuis 2012.


Pour la technicienne, la mise en place de jachères mellifères entre les parcelles de vignes a un impact tangible sur la biodiversité et les insectes auxiliaires. « Il n’y pas que les abeilles, nous déposons des boîtes de bourdons, qui sont plus costaud et volent plus fréquemment pendant la floraison » indique Clarisse Naulet. « Cela donne des grappes plus denses, quasiment sans millerandage ni coulure » avance Alina Pavel, la cheffe de culture, qui souligne qu’en entourant les vignes de fleurs, « il n’y a pas besoin d’insecticides. Nous n’avons pas vu de tordeuses cette année. »
Pour amorcer le tournant agroécologique du vignoble, « le travail des sols est le plus important » pose Tom Vercammen, qui estime à 2,5 millions € l’investissement dans des tracteurs et différents matériels pour s’adapter aux multiples écartements sur la propriété (neufs, les matériels et son atelier ressemblent plus au stand d’un salon technique qu’à la remise d’une propriété viticole habituelle). N’utilisant plus d’herbicides depuis 2017, la propriété adopte un enherbement d’un rang sur deux. La propriété est certifiée Haute Valeur Environnementale (HVE), mais ne souhaite pas se convertir au label bio. « La permaculture va plus loin que la bio, notre objectif à terme est de ne plus utiliser de produits/intrants » souligne Tom Vercammen.
Avec ce cap, l’objectif du domaine pour 2022 est de ne plus recourir aux traitements à base de cuivre. Malgré un millésime 2020 à la pression historique en Gironde, Tom Vercammen indique que la propriété n’a réalisé que neuf traitements pour 1,5 kg/ha de cuivre. « Nous allons nous passer [de la bouillie bordelaise] grâce à des produits alternatifs de biocontrôle, comme des huiles essentielles, mais aussi des nanotechnologies pour régénérer le sol et la plante » indique le directeur général.


Ces mystérieuses « nanotechnologies » permettraient de « booster la photosynthèse, ce qui a un effet toute l’année pour le végétal, mais aussi la vie du sol. Il faut cinq ans pour que ça marche, avec beaucoup de travail prophylactique pour éviter que les maladies ne s’installent » esquisse Alina Pavel, qui n’en dira pas plus sur ces « nanotechnologies » secrètes.
Concernant la prophylaxie, Clarisse Naulet indique que de nombreux détails font la différence au printemps, comme « la réalisation des levages au bon moment pour rendre plus efficaces les traitements ». Le domaine réalise beaucoup d’épamprages et d’effeuillage, et retire la moindre grappe dès l’apparition de mildiou. « Mais nous sommes à un rendement de 7 à 8 tonnes par hectare en rouge et en blancs malgré des tries » souligne la directrice technique (la production annuelle est de 2 000 hectolitres de vin).
Face à ce déluge de moyens et d’ambitions, une question basique se pose : pourquoi déployer toute cette infrastructure ici, sur le terroir de Saint-Quentin-de-Baron, commune de l’Entre-deux-Mers ? Jack Ma « a vu les surfaces et beaucoup de possibilités, c’est un visionnaire qui donne beaucoup d’importance à la nature » répond Tom Vercammen.
Un visionnaire qui dépense donc sans compter… et sans même commercialiser. Avec un nouveau chai attendu en 2022, les premières ventes de vins rouges et blancs sont annoncées pour 2023, les millésimes étant pour l’instant stockés (seuls les rosés et vins effervescents sont actuellement commercialisés).
Les futurs vins ne porteront d’ailleurs pas le nom de « château de Sours », la propriété étant sortie de l’appellation Bordeaux supérieur pour s’inscrire à 100 % dans les vins sans indication géographique (vins de France). Le domaine va notamment recourir à des méthodes culturales hors cahier des charges, ainsi qu’à des cépages tout sauf autochtones (variétés du Portugal et d’Espagne, voire cépages résistants aux maladies cryptogamiques à terme). N’étant pas finalisée, la marque de la propriété pourrait s’inspirer des sources du domaine. 100 % des bouteille sont destinées à l’export, notamment, mais pas exclusivement, sur les marchés asiatiques.


Se disant prêt à aider et inspirer les vignerons souhaitant visiter le domaine, Tom Vercammen souligne piloter « le seul domaine à faire de la permaculture sur cette surface. Le futur, c’est la permaculture. » Une conviction de philanthrope, mais aussi de businessman.