l y a décidément un après et un avant covid-19. Il y a un an, le vignoble bordelais se partageait entre fureur et stupeur avec les premiers contrats de vin en vrac enregistrés à 1 000 euros le tonneau. Ce mois de mars 2020, l’entrée de gamme du Bordeaux rouge tombe à 700 €/tonneau et ne cause qu’un mélange d’abattement et de fatalisme. Actés par les dernières cotations du syndicat régional des courtiers de vins de Bordeaux, de la Gironde, ces bas prix représentant quasiment 20 % des volumes échangés du 23 mars au 3 avril par le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB). Avec seulement 8 000 hectolitres échangés*, le prix moyen du tonneau de Bordeaux 2019 tombe à 922 € sur cette période (il était de 1 076 € deux semaines avant), 80 % des transactions étant désormais enregistrés en deçà des 1 000 €/tonneau.
« Pour moi le marché des vins de Bordeaux n'est pas un sujet actuellement. Aujourd'hui rien ne fonctionne normalement : les frontières sont fermées (alors que Bordeaux est très exporté), les restaurants aussi, les maisons de négoce sont au ralenti, il n'y pas de marché qui se fait. On est tous [mobilisés pour] faire survivre nos entreprises » estime Marc Médeville, le président du syndicat viticole des AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieurs. Pour le vigneron, la priorité reste de veiller à la protection concrète de ses employés dans la conduite du prochain millésime : « ni vous ni moi ne savons où l'on va. C'est une leçon d'humilité, il faut attendre de voir comment cela va se finir. »


« Ces contrats à 700 € sont une réalité » tempère Jean-Samuel Eynard, le président de la Fédération Départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FDSEA 33). Alors que le coût de fabrication d’un tonneau de Bordeaux avoisine les 1 100 €/tonneau, ces vils prix laissent un goût amer aux vignerons devant brader leurs vins. « Ils sont plus contents de voir sortir un camion que de sentir arriver la vendange alors que les cuves sont pleines. À 700 euros, c’est un déstockage pour faire de la place et mettre des traites à l’escompte parce que le banquier crise. C’est loin d’être glorieux, c’est un constat d’échec pour Bordeaux et toutes les AOC du vignoble français » tranche Jean-Samuel Eynard.
Après un millésime 2019 où les rendements de l’AOC Bordeaux sont montés à 45,5 hl/ha en 2019, le déséquilibre entre l’offre et la demande reste fort, les vins de Bordeaux ayant au bas mot deux ans de commercialisation potentielle en stock. A l’exception des vins bio et médaillés, les vins sans contrats suivis se trouvent sur un marché spot dégradé par la surabondance. Où même les bas prix n’assurent pas une vente. Dans ce contexte, la proposition de la filière vin d’une distillation de crise subventionnée pourrait office de garde-fou, avec une aide de 80 euros l’hectolitre, soit 720 € le tonneau.
Travaillés l’hiver dernier, « les projets du syndicat des Bordeaux seuls ne suffiront pas, nous devons travailler avec nos collèges français et européens à la distillation de crise et à l’arrachage » pointe Jérémy Ducourt, le président du syndicat des Vins Sans Indication Géographique de Gironde. Pour le vigneron de l’Entre-deux-Mers, « Si cela s’avère impossible au niveau européen, les opérateurs de Bordeaux et le CIVB devront travailler à une dynamique d'arrachage primé en utilisant une partie du budget des Cotisations Volontaires Obligatoires (CVO). Aider à désengorger les excédents à la base de la pyramide nous aidera tous et permettra à des structures en grandes difficultés de trouver une solution. »
Exacerbant les déséquilibres commerciaux pesant depuis deux ans, la crise du coronavirus ouvre également le champ des possibles pour résoudre la crise structurelle bordelaise.
* : « Dans ce contexte de crise sanitaire, l'enregistrement de contrats d'achat vrac est en forte baisse. Il s'agit d'un niveau historiquement bas » souligne le CIVB dans une note statistique d’avril.