Le choix du pays d’honneur de l’édition 2017 - la Bulgarie - n’est pas anodin. Il témoigne, en effet, de l’ouverture croissante du marché belge, longtemps caractérisé par l’hégémonie française. Si la France y domine encore largement les linéaires, sa mainmise est de plus en plus contestée, notamment dans la partie flamande du pays qui représente quelque 60% de la population. « Souvent la branchitude arrive par la Flandre, et plus particulièrement Anvers, qui est un territoire culturel bouillonnant au niveau national, reconnu pour ses stylistes à la renommée internationale », souligne Vincent Bayer. C’est par cette porte d’entrée qu’est arrivée la vague des vins de cépage dans ce pays féru d’appellations et de grands crus. « Le cépage devient de plus en plus une clé d’entrée aux vins, surtout auprès des jeunes générations, un phénomène dont les vins du Nouveau Monde profitent largement ». Depuis la Flandre, la mode des cépages s’est propagée en direction de Bruxelles, ville cosmopolite par excellence, et même en Wallonie, bastion de la consommation française. « Il est de bon ton aujourd’hui de dire qu’on boit du chardonnay, mais le sauvignon blanc, le pinot noir et le grenache sont très appréciés aussi », note le directeur de Sopexa Bénélux, qui a pris ses fonctions il y a un mois.
Régression des premiers prixLa Belgique est de plus en plus sujette aux grands courants qui régissent le marché mondial des vins. Outre les vins de cépage, la déferlante des bulles y est arrivée aussi, même si les consommateurs belges y opposent leur exception culturelle, préférant le cava au prosecco omniprésent. « Le cava connaît un succès incroyable en Belgique. ‘N kopje cava est devenu synonyme d’un verre de mousseux. Le cava est devenu en Flandre ce que le champagne est à Bruxelles et en Wallonie. Ce succès traduit une recherche d’exotisme ». La quête du plaisir aussi, dans un pays où la bière règne toujours en maître mais sans avoir acquis la noblesse du vin. « On boit de la bière au quotidien mais on s’en abreuve plus qu’on ne la déguste alors que le vin, on le déguste vraiment ». Cette recherche de plaisir s’accompagne de plus en plus d’une demande de vins d’origines diverses, mais aussi d’une montée en gamme. « On boit moins mais on est prêt à payer un peu plus cher pour boire mieux. Il y a donc une régression des vins premiers prix et une progression des vins premium ».
L’amertume préférée au sucréLe prix moyen des vins en grande surface s’élève à 4,8 euros mais le cœur de marché se trouve dans une fourchette allant de 4 à 15 euros la bouteille. C’est dire la valorisation de l’offre en Belgique, pays où les préférences gustatives s’approchent globalement de celles des Français et moins des voisins nordiques. C’est ainsi que Vincent Bayer explique la moindre percée du prosecco par rapport à l’explosion des bulles italiennes dans d’autres pays proches. « Au niveau gustatif, le prosecco est sans doute encore trop sucré, même s’il n’est pas exclu qu’il perce dans les années à venir. Pour ce qui est de l’apéritif en Belgique, la tendance est davantage à l’amertume qu’au sucré, y compris dans le domaine des effervescents ».
Succès exponentiel des BIBLà où les consommateurs belges se rapprochent aussi de leurs cousins français, c’est dans le domaine du packaging. Tournant le dos à des innovations comme les cannettes, ils se sont épris d’une passion pour les BIB ou « cubis » comme on les appelle ici. « Ils ont représenté 30 ou 40% des volumes chez Colruyt ou Carrefour, par exemple, cet été. Ce succès n’était pas aussi marqué les années précédentes. Ce format est apprécié pour son rapport qualité-prix et ses possibilités de conservation. Le succès est vraiment exponentiel ». Deux autres grands courants se dessinent en matière de packaging, plus précisément au niveau de l’étiquetage : « On voit en même temps, les étiquettes ultra traditionnelles qui pouvaient paraître ringardes il y a quelques années mais aujourd’hui sont considérées comme vintage. A contre-pied de cette tendance, on voit des étiquettes complètement épurées et design. Très dans l’air du temps, un petit peu humoristiques et modernes, elles permettent d’attirer le regard parmi le florilège d’étiquettes traditionnelles », note le spécialiste en marketing. Quant aux profils des vins eux-mêmes, les rosés connaissent le même succès en Belgique que partout ailleurs, un phénomène que Vincent Bayer explique par un déficit d’image comblé : « Pendant longtemps, le rosé était perçu comme un vin un peu moins qualitatif que les autres. La communication réalisée par les vins de Provence a permis de tirer l’image vers le haut. Aujourd’hui, le rosé de Provence est aux rosés ce que le champagne est aux effervescents ».
La montée en puissance des produits éco-responsables à circuit courtAutre grande tendance sur le marché belge, le consommer local, voire ultra local. « Il y a pléthore de GMS qui développent des chaînes de magasins de quartier comme Proxi Delhaize. C’est un phénomène important. Il y a aussi celui des micro brasseries dans le monde de la bière, qui se développent beaucoup. Elles vendent à des restaurateurs et à d’autres acteurs du quartier. On voit aussi émerger de grandes épiceries premium de type Rob ou Cru, qui ne commercialisent que de l’ultra frais et de l’ultra local ». Au-delà de la distribution, le secteur CHR reflète la même tendance : « Beaucoup de restaurants ont leur propre potager et cuisinent avec les légumes de leur jardin. Il y a aussi des potagers communautaires de quartier. A l’extrême il y a même, dans le contexte urbain, des plantes sauvages que les gens vont aller chercher dans les fissures de trottoir ». Ces initiatives ont beau être exceptionnelles pour certaines, elles restent symptomatiques d’une véritable tendance de consommation favorisant les produits éco-responsables à circuit court. « Tout cela présage d’une prise de conscience chez les consommateurs quant au lien entre la qualité des produits et leur proximité de culture. En Belgique, la distribution l’a bien compris et est en train de surfer là-dessus. Il faut vraiment y faire attention, c’est la grande tendance de demain ».
Dans ce contexte, la France a tout à y gagner. Considérés, presque, comme la production locale, les vins français sont particulièrement bien placés pour profiter de cette tendance. « Les vins français ont une histoire très riche à raconter qui reste en phase avec cette nouvelle tendance. Parler de la France, c’est certes parler d’une histoire et d’une culture millénaires, d’un florilège de terroirs, d’un savoir-faire qui se transmet de génération en génération, mais c’est aussi parler des nouvelles générations qui se les approprient à leur manière. La France se réinvente mais elle doit le raconter. Les Belges n’attendent que ça ».
Directeur de Sopexa Bénélux depuis le 1er septembre, Vincent Bayer a déjà une idée précise des orientations qu’il souhaite donner à l’agence. En dehors d’une plus grande extension de l’activité en direction des Pays-Bas, à travers une langue commune, le flamand, il souhaite « accentuer l’approche multisectorielle. Travailler pour des produits non-vins nous ouvre l’esprit et notre façon de concevoir des stratégies pour qu’elles soient accessibles au plus grand nombre et au grand public par rapport aux préoccupations actuelles en termes d’art de vivre en général. Il s’agit de positionner la communication du vin dans un contexte global de réalité de consommation et d’art de vivre en Belgique ». Décidé à valoriser les jeunes talents au sein de l’agence et à « développer cette propension à la curiosité permanente pour être au fait des tendances, et la conserver sur la durée », il compte aussi s’appuyer sur le caractère international du réseau Sopexa. « Je veux faire profiter la Belgique de tout le foisonnement créatif que cela implique. Nous pouvons nous enrichir mutuellement de nos idées respectives, sachant qu’elles sont souvent transposables à différents marchés ».