éunis ce 6 juin en assemblée générale extraordinaire, les délégués des AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur ont validé les modifications de cahier des charges pavant le chemin la production dès le millésime 2025 du Bordeaux claret (le chainon manquant entre le rosé du clairet et le bordeaux rouge, voir encadré) et évoqué les lourdes conséquences de la crise économiquement et humainement (les procédures collectives se banalisant et les suicides menaçant toujours plus). L’occasion d’un nouvel échange d’amabilités entre les représentants des institutions bordelaises et les électrons libres du collectif Viti 33. « Il y a eu une intervention du collectif nous reprochant de réagir trop tardivement à la crise » rapporte Stéphane Gabard, le président de l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG), qui pointe que lui, comme les autres élus du vignoble dans les instances locales et nationales, ne sont pas épargnés : « nous sommes tous vignerons, nous appréhendons la crise autant qu’eux. Nous la subissons depuis trop longtemps. »
Un amer constat qui a nourri un édito coup de gueule dans la e-lettre envoyée aux adhérents de l’ODG ce 5 juin. « Ne laissons pas mourir la viticulture dans l’indifférence » écrit Stéphane Gabard, rapportant que « dans nos vignes, dans nos fermes, nous crevons. Et tout le monde semble s’en accommoder. » Alors que les ventes chutent et que les rares volumes sortant le sont trop souvent à des prix inférieurs aux coûts de production, « les consommateurs, eux, continuent de payer plus cher en rayon et nous continuons de vendre à perte. Cherchez l’erreur » grince le vigneron de Galgon.
« Assez du constat. Tout le monde connaît la réalité. Tout le monde la voit. Et pourtant, rien ne bouge, ou si peu. Il faut que ça change. Et vite » plaide Stéphane Gabard, appelant à des avancées urgentes : révision de la loi Egalim intégrant les coûts de production dans les contrats amonts, création d’Organisation de Producteurs (OP) pour structurer l’offre de vin en vrac, prix d’orientation pour les vins bio et HVE, recommandation de prix pour les vins AOP et IGP… Des pistes concrètes pour soutenir la valorisation des vins, « mais pour l’instant, tout cela se résume à des paroles et des promesses, alors que nous attendons des actes » regrette Stéphane Gabard, qui pousse un coup de gueule : « il faut que ceux qui sont à la table des négociations, politiques, administration, grande distribution, négoce, syndicats prennent leurs responsabilités. Il faut du courage. Il faut du volontarisme. Il faut des décisions fortes » appelle-t-il, prévenant que « ceux qui refuseront d’agir devront alors assumer leurs choix, leur silence, leur immobilisme ».
Mieux vaut édito que plus tard ?
Un propos correct, mais un peu trop tardif selon le Collectif Viti 33, pour qui « alors que nous alertions, ils relativisaient » selon son porte-parole, Didier Cousiney. « Nous n'acceptons plus les larmes de crocodile » lance le viticulteur retraité et maire du Pian-sur-Garonne, relatant que « depuis des années, nous, viticulteurs de terrain, avons lancé l'alerte. Depuis des années, nous avons interpellé, proposé, manifesté, bloqué, alerté encore et encore. Et depuis des années, nous avons été ignorés, méprisés, abandonnés » mais « personne n’a voulu entendre. Ni les pouvoirs publics, ni les politiques, ni même nos propres structures représentatives. Et aujourd'hui quand les caves ferment, quand les tribunaux s'empilent de dossiers de redressements, quand des viticulteurs mettent fin à leurs jours, certains découvrent la crise ? Mais où étaient-ils avant ? Où étaient ceux qui avaient les moyens d'agir en amont, avec des leviers, une voix, un mandat pour défendre la filière ? » Une vive critique d’« un vernis de conscience tardive sur un abandon organisé » causé par une somme « de lâcheté, d’aveuglement et d’une chaîne de responsabilité rompue au sommet » selon Didier Cousiney.
Pour Stéphane Gabard, la priorité est à l’action pour avancer sur les sujets possiblement structurants pour la filière vin. « On a une filière plutôt attentiste (chaque clocher défend ses prérogatives et a peur qu’une évolution lui soit préjudiciable), le gouvernement et les parlementaires ne mettent pas beaucoup d’allant pour avancer vite (pour Egalim l’échéance ne cesse d’être repoussée et nous n’avons plus de calendrier) » rapporte le président des Bordeaux, alors que « nous viticulteurs n’avons plus de temps… Dans cette période critique, il faut mouiller la chemise et relever les manches pour avancer. »
Encadré
Photo : « Les viticulteurs s’épuisent, s’endettent, sombrent. Leurs produits ne se vendent plus, ou à des prix qui ne couvrent même plus les coûts de production » dénonce Stéphane Gabard. Alexandre Abellan (archives 2024)
Prenant en comptes les retours de la commission d’enquête de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), l’assemblée générale a validé des modifications pour que ses 11 propositions de simplification (charge maximale, irrigation, échéanciers des mesures de transition…) et de définition de l’AOC Bordeaux claret (report de la notion d’édulcoration et réduction de l’acidité volatile) soient soumises aux votes du Comité national des Appellations d'origine relatives aux vins qui se réunit ce 12 juin à Paris. Si le vote est positif, le cahier des charges de l’AOC Bordeaux permettra dès le millésime 2025 la production de claret, défini par l’ODG Bordeaux comme étant « un vin rouge souple, peu tannique, fruité, gourmand, à boire frais ». À la fois synthèse de l’histoire de Bordeaux (le new french claret de la famille Pontac et du château Haut Brion au XVIIème siècle) et des nouvelles tendances de consommation (les vins rouges frigos), et chaînon manquant entre le rosé, le clairet et le vin rouge. Si le cahier des charges est validé, l’ODG prévoit des réunions d’informations ces prochaines semaines pour que les opérateurs « puissent s’emparer du sujet et du profil claret » explique Stéphane Gabard, qui indique que « le cahier des charges est peu contraignant, avec une large place au contrôle produit : il n’y a pas de moyen impératifs, mais des résultats pour obtenir un vin rouge léger peu tannique qui peut être consommé rafraîchi. »




