’est le drame de trop : le suicide du vigneron bordelais Christophe Blanc ce 10 mai à Castillon cristallise le coût humain de la crise économique frappant la Gironde depuis des années. « Ce drame nous rappelle cruellement les difficultés que traversent de nombreux agriculteurs et viticulteurs aujourd’hui : isolement, pression économique, sentiment d’abandon » déclare dans un communiqué Jean-Samuel Eynard, le président de la Chambre d'Agriculture de la Gironde, pour qui « le geste de Christophe Blanc ne peut laisser personne indifférent. Il nous oblige à réaffirmer collectivement l’urgence de mieux accompagner les agriculteurs et les viticulteurs, tant sur les plans humain qu’économique. » Appelant les vignerons fragilisés à s’emparer des outils d’aide économique et d’assistance psychologique à disposition, Jean-Samuel Eynard appelle « les pouvoirs publics, les institutions et l’ensemble de la société à entendre le désespoir du monde agricole et à y répondre avec responsabilité et compassion. Il mérite une attention continue et des réponses concrètes. »
Car la situation se dégrade à grande vitesse, comme en témoignent les procédures collectives qui se banalisent dans la filière vin. « Jusqu'à quand faudra-t-il compter les morts ? » pose frontalement Didier Cousiney, porte-parole du collectif Viti 33, qui ne cache pas sa fatigue entre la mobilisation viticole* et les avancées obtenues : « nous avons proposé des idées : diversification et adaptation du produit aux nouveaux modes de consommation, création de nouveaux produits [comme AOC cru Bordeaux et IGP Bordeaux Atlantique], relocalisation de la valeur. Nous avons mené des actions, parfois dures, mais toujours responsables. Nous avons tiré la sonnette d'alarme du mal être paysan. Et aujourd'hui : rien. » Ou plutôt « rien si ce n'est des vies brisées. Des hommes et des femmes abandonnés. Des familles anéanties. Des viticulteurs qui n'en peuvent plus se donnent la mort » constate amèrement Didier Cousiney, évoquant le mot tabou dans le vignoble : le suicide. Car « la honte est plus forte que la souffrance. La honte de ne plus pouvoir nourrir ses enfants. La honte de ne plus payer ses fournisseurs. La honte d'être le maillon faible d'une chaîne familiale de courage et de travail. La honte de ne plus pouvoir vivre de son métier. Lequel d'entre nous aujourd'hui n'y a jamais pensé ? » pose le porte-parole de Viti 33.


« Nous avons tenté sans relâche de faire entendre la voix des femmes et des hommes qui cultivent la vigne, qui vivent de la terre, qui nourrissent ce pays » indique Didier Cousiney, pour qui « la seule mesure réellement actée à ce jour, c'est l'arrachage. » Ayant plaidé pour l’arrachage de 10 à 15 000 ha à 10 000 €/ha en 2022, la maire du Pian-sur-Garonne regrette le sous-dimensionnement de la mesure (en 2025 il y aura eu l’arrachage de 8 600 ha avec l’outil sanitaire bordelais à 6 000 €/ha et 4 200 ha avec le dispositif nationale définitif à 4 000 €/ha). Pour Didier Cousiney, il y a « trop peu de surfaces concernées à ce jour, des indemnisations insuffisantes, des contraintes inacceptables. » Pour aider le vignoble, il faut en urgence « lâcher la grappe fiscale et sociale, reporter les emprunts en fin de tableau avec des intérêts à la charge de l’Etat » plaide-t-il, martelant que « les aides c'est maintenant, pas dans 6 mois » alors que les trésoreries sont exsangues dans le vignoble et n’arrivent pas toutes à payer les phytos, le personnel, etc.
« Alors mesdames et messieurs nos responsables politiques, professionnels, administratifs, qu'attendez-vous ? » lance Didier Cousiney, ajoutant, non sans humour noir : « la balle est désormais dans votre camp ».
* : Didier Cousiney rapporte que « nous avons rencontré des ministres et des parlementaires de tous bords. Nous participons à la cellule de crise en préfecture. Nous avons interpellé les négociants. Nous avons sensibilisé la grande distribution. »