e samedi 10 mai, le vigneron Christophe Blanc, 59 ans, s’est donné la mort dans l’une de ses parcelles de vignes à Saint-Magne-de-Castillon (Gironde). Un drame qui secoue un vignoble bordelais en crise, comme en témoignent des publications d’hommage publiées sur Linkedin ou Facebook. Premier adjoint de la mairie de Saint-Magne-de-Castillon, Charles Faure était présent samedi sur le lieu du drame avec les gendarmes : « je les ai prévenus, vous risquez de devoir revenir. Si rien n’est fait, il va y avoir des suicides à la pelle. » Lui-même vigneron retraité, Charles Faure ne cache pas son amertume face au suicide de Christophe Blanc : « quand on ne vend pas de vins depuis deux ans, que le vin est à 500-600 euros le tonneau, que l’on arrive au bout de ses financements, c’est difficile pour survivre et c’est la dépression. Ça devient un drame quand on n’a pas les moyens d'acheter les produits pour traiter, on vous demande de payer à la retiraison des phytos. »
Voyant son propre fils se débattre face aux difficultés économiques de la crise des vins de Bordeaux et connaissant « au moins 6 viticulteurs dans le rouge sur Saint-Magne », Charles Faure est amer : « personne ne veut faire un pas pour nous aider. Nous n’avons plus de solution à l’heure actuelle. Les négociants ne veulent pas acheter. Les banques ne font rien. On est abandonnés. C’est une catastrophe. Ce sera la faillite de la région, pour le vignoble, ses fournisseurs, le territoire… » Le vigneron retraité en ayant gros contre le système bancaire : « Christophe Blanc voulait arracher 8 hectares sur sa vingtaine d'ha, mais il n’a pas eu le financement pour l’avance. » Pointé du doigt dans le vignoble, le Crédit Agricole précise ce 13 mai ne pas avoir refusé l’avance qui était en instruction, comme le domaine Christophe Blanc est en redressement judiciaire.


« C’est le refus de trop. Il a été abandonné par le système. Il y a tellement de gens dans cette situation que c’est insupportable. J’en ai ras-le-bol » partage Florence Cardoso, PDG du château Haut-Beynat (Castillon), qui vient de partager un coup de gueule sur les réseaux sociaux. La vigneronne en veut à ceux qui n’ont pas prêté un argent qu’ils allaient récupérer. Christophe Blanc avait eu la validation de son dossier d’aide à l’arrachage, « sauf que pour lancer les travaux, il fallait une avance de trésorerie pour que le tractoriste puisse commencer à arracher la vigne et que la subvention n’est donnée qu’à constatation des travaux menés. Son tort est de n’avoir eu qu’une banque, qui n'a pas voulu débloquer les fonds alors qu’ils étaient sûr de les récupérer. Il a été bloqué et anéanti. C’est un paysan de Saint-Magne, qui en voyant ses vignes à l'abandon et n’étant pas capable d’arracher se disait qu’il allait provoquer des foyers d’infection pour ses voisins et se sentait responsable » rapporte Florence Cardoso, pour qui « il faut que ce soit le dernier. Il était usé, mais il n’avait pas un si gros passif, il aurait pu s’en sortir. Plus que les difficultés financières, c’est un abandon des institutions. »
Non-assistance à personnes en danger
Ancienne membre de l’association Solidarité Paysans, Florence Cardoso sait de quoi elle parle, ayant placé son vignoble familial en sauvegarde judiciaire pour retrouver de l’oxygène financier. Ne pouvant payer l’agrément bio (1 200 €/an), elle n’a pas digéré la venue récente d’un huissier pour 200 € de Cotisations Volontaires Obligatoires (CVO) perçues par le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) : « on nous presse comme un citron ». Appelant les vignerons le nécessitant à se mettre en procédure collective sans honte afin de gérer leurs entreprises fragilisées, Florence Cardoso plaide pour que les institutions conseillent et soutiennent activement la filière. La vigneronne évoquant l’outil du régime des micro-bénéfices agricoles (micro-BA) pour moins de 120 000 € de chiffre d’affaires en 2024-2025 (un plafond doublé en GAEC entre époux). « Il y a plein de solutions, mais ceux qui les ont n’en parlent pas » regrette Florence Cardoso. Et ceux qui en ont besoin se trouvent broyés, comme Christophe Blanc.
En difficulté financière, Christophe Blanc n’est pas le seul à se trouver coincé dans une impasse économique alerte Dominique Techer, de la Confédération Paysanne, pointant que les données comptables montrent que dans le vignoble bordelais l’appellation Castillon est l’une des plus exposées au différentiel entre coût de production et prix de vente (respectivement 2 600 et 1 100 €/tonneau en 2023 d’après le CEGAL en 2024).


Ce qui s’explique par la forte implication de l’appellation dans la transition environnementale (avec beaucoup de domaines en bio et biodynamie) alors que la valorisation de ces produits s’est effondrée pointe Thomas Guibert, le président de l’AOC Castillon : « on a beaucoup investi et le marché ne le rend pas, ou ne le rend plus. Ça coûte plus cher à produire et ça n’est pas valorisé. » Ne connaissant pas personnellement Christophe Blanc, le président d’AOC rappelle avec prudence qu’un suicide est un drame multifactoriel qui ne peut se résumer à un seul élément déclencheur. Mais qui voit bien une solution à la crise : la relance des achats à des prix rémunérateurs.
« Il n’y a plus de solution. On voit que les instances sont désemparées et tournent en rond » estime Jean-Paul Ayres, de la Coordination Rurale de Gironde, prenant l’exemple des prix rémunérateurs : « Egalim pour le vin serait reporté à l’automne, l’Organisation de Producteurs (OP) ne fait pas consensus. » Mais pour le viticulteur d’Entre-deux-Mers, « le problème, c’est que l’on ne sort pas de la crise, les gens sont à bout. Les banques doivent repousser les prêts en fin de tableau. Pareil pour la MSA. Le CIVB évoque un nouveau plan d’arrachage au niveau européen. Il y a déjà eu 18 000 ha arrachés, il en faudrait encore 20 000 ha de plus. » En attendant, ce sont les vignerons qui sont endeuillés. Aujourd’hui par la disparition de Christophe Blanc. « C’est très triste, mais malheureusement il y aura d’autres cas j’en ai peur. C’est une catastrophe » conclut Jean-Paul Ayres.