epuis Bruxelles, on pourrait avoir l’impression qu’en France on veut réinventer l’eau tiède avec la succession de lois Egalim quand des dispositifs réglementaires communautaires existent déjà pour soutenir la valorisation des vins dans la Politique Agricole Commune (PAC). Il en est ainsi de l’article 210, récemment exhumé par la coopération viticole pour mettre en place un prix d’orientation sur les vins certifiés bio ou Haute Valeur Environnementale (HVE). Il en est de même pour l’article 172 ter, travaillé par les vins AOC pour étendre aux moûts et vins en vrac l’actuelle possibilité de recommandation de prix sur les raisins AOP et IGP par leurs interprofessions. Co-président de l’intergroupe vin au Parlement Européen, l’eurodéputé Éric Sargiacomo (Nouvelle-Aquitaine, Parti Socialiste) s’est saisi de cet outil en déposant un amendement sur le mini-paquet réglementaire sur l'Organisation Commune du Marché (OCM) et en se préparant à le défendre dans le paquet réglementaire vin (devant passer en trilogue dès la rentrée prochaine, comme se fixe pour objectif l’eurodéputée Esther Herranz Garcia, rapporteuse sur le texte).
Concrètement, « le 172 ter permet une recommandation de prix des raisins sur une indication géographique au sein de l’interprofession, avec l’ensemble des parties prenantes de l’amont et de l’aval qui se mettent d’accord » explique Éric Sargiacomo, qui pointe immédiatement qu’il ne s’agit « pas d’un prix minimal, mais d’un prix d’achat recommandé par rapport aux coûts de production. Dans l’OCM, cela existe pour les raisins [AOP et IGP], on veut l’étendre aux moûts et aux vins en vrac pour éviter la spéculation à la baisse, quand des vignerons en situation précaire acceptent de très bas prix pour rentrer de la trésorerie. »


Cette extension est fortement soutenue par la Fédération européenne des vins d'origine (EFOW) et la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC), qui voient dans cet article un puissant instrument de régulation de marché, venant enrichir la boîte à outils européenne et nationale. « L’article 172 ter est en cours d’expertise par notre confédération », indique Damien Gilles, le président de la commission marché de la CNAOC. « Face à une atomisation de l’offre, il est indispensable pour nous de disposer d’un outil concerté entre les deux familles, permettant de sécuriser le revenu du vigneron et de renforcer le partenariat amont-aval, avec la famille négoce » explique le vigneron rhodanien, pointant que « le partage de la valeur commence ici. Et tout ça, sans demander d’argent public ! »
Argumentaire
Parler de prix dans une interprofession demandant une dérogation au droit de la concurrence (en témoignent les condamnations alsaciennes de 2021 et 2022), l’eurodéputé explique qu’une interprofession n’est pas un cartel, comme la recommandation de prix qu’elle peut proposer est pondérée par les intérêts opposés du négoce, partisan de baisse des prix à l’achat, et de la viticulture, à la recherche d’augmentation des cours à la vente. Autre argument pour l’extension du 172 ter : l’outil collectif interprofessionnel est le mieux placé pour indiquer le meilleur partage de la valeur ajoutée venant de signes de qualité AOP et IGP au profit de tous les maillons de la production et de la commercialisation.
Auditionné ce 20 mai par l’intergroupe vin, le commissaire européen à l’Agriculture, Christophe Hansen, a pu noter les retours globalement positifs sur le paquet vin qu’il a proposé fin mars 2025, ainsi que les diverses volontés d’amendements (sur la promotion, sur l’œnotourisme…). Si le 172 ter n’a pas été évoqué, le commissaire luxembourgeois a demandé à ce que les modifications proposées soient limitées afin de respecter les négociations préalablement effectuées lors du Groupe de Haut-Niveau dédié (le GHN s’étant réuni le second semestre 2024) et d’éviter toute « polarisation » pouvant retarder l’adoption du paquet vin (avec ses outils de gestion de crise pour répondre à l’urgence : arrachage, distillation, etc.).


Pour Raphaël Fattier, directeur de la CNAOC, vouloir étendre le 172 ter n’est pas contraire aux principes du GHN qui vise le renforcement des mesures de régulation à disposition de la filière : une indication de prix allant dans le bon sens pour tous les opérateurs. « L'article 172 ter reconnaît la valeur de l'orientation non contraignante des prix pour les raisins, mais les raisins ne constituent que la première étape du processus de vinification de l'IG » explique-t-il, ajoutant qu'« autoriser l'indication des prix pour les moûts de raisin et les vins IG, c'est-à-dire à toutes les étapes, garantirait la cohérence et la transparence tout au long de la chaîne de valeur. C’est pour cette raison que nous avons sensibilisé les parlementaires européens, la Commission et le Conseil pour qu’une extension aux moûts et vins soient intégrée au paquet vin. »
Encore faudra-t-il que cette réglementation soit bien connue et appliquée en France…