GCCRF vs GCF. C’est une affaire judiciaire d’ampleur qui a été annoncée à l’AFP et diffusée dans la presse ce 15 mai : l’assignation pour « pratiques commerciales abusives » ce 20 février par le ministre de l’Économie, Éric Lombard, devant le tribunal de commerce de Rennes du négoce Lacheteau, premier opérateur des vins tranquilles et effervescents du val de Loire (avec 6 centres de vinification/vendangeoirs et 450 viticulteurs apporteurs) et filiale ligérienne des Grands Chais de France* (GCF, premier négoce des vins en Europe).
Dans son explication de l’assignation (voir encadré), la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) indique que les investigations en 2020 et 2021 du pôle Concurrence, consommation, répression des fraudes de la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités des Pays de la Loire (DREETS) a « révélé des pratiques commerciales abusives de cette société dans les relations entretenues avec 44 de ses fournisseurs » durant trois années, de 2016 à 2018.
Charge arrière
Évoquant « l’esprit des lois Egalim » (bien que sa première version ait été promulguée en novembre 2018, pour des faits datant de 2016-2018), l’administration estime que « l’enquête a permis de démontrer que la société Lacheteau impose à ses fournisseurs des réductions sur le prix d’achat de la matière première afin de leur faire supporter des coûts propres aux opérations de vinification qui lui incombent ». Soit les charges de vinification expliquant dans un contrat d’achat de moûts ou de raisins le calcul du prix d’achat à partir de celui d’un vin fini moins les coûts de production. Ce serait le mode de calcul de la décôte entre prix du raisin/moût et du vin qui serait ciblé : étant perçu comme une forme de marge arrière. Estimant que le négoce a généré 2,2 millions d’euros de bénéfices avec ce dispositif, Bercy demande une amende civile trois fois plus élevée : 6,6 millions € pour avoir « perturbé le développement économique équilibré des producteurs comme des négociants ».
GCF réfute
Réagissant ce 16 mai par un communiqué inhabituel (GCF étant d’une discrétion proverbiale), Lacheteau « conteste formellement les allégations formulées à son encontre » et précise d’emblée qu’« il s'agit d'une procédure circonscrite à des clauses commerciales, sans aucun lien avec la qualité de nos produits, leur sécurité, ni leur conformité réglementaire ». Dans le fond, la filiale de GCF rejette l’accusation portée par la DGCCRF et affirme respecter « les accords interprofessionnels étendus par le ministère de l’Agriculture ».
Lacheteau indique ainsi que « les pratiques mentionnées dans cette assignation relèvent d’usages professionnels établis dans le bassin viticole ligérien dans le cadre de contrats librement négociés de gré à gré entre les parties, notamment en ce qui concerne la détermination du prix des raisins ou des moûts en tenant compte d’une information sur la référence base vin donnée à titre indicatif comme point de repère, et ce dans le respect des dispositions des articles L442-1 et suivants du Code de commerce. »


Revendiquant, sans le détailler, bénéficier du « soutien des vignerons et du soutien clair et public des syndicats et des organisations professionnelles de la viticulture et du négoce », le premier opérateur des vins de Loire martèle que « les pratiques reprochées sont des pratiques usuelles, historiquement admises, connues et acceptées par toute la filière viticole. Ces dispositions contractuelles ne sauraient être assimilées à des pratiques abusives dès lors qu’elles sont appliquées de manière transparente et équilibrée. »
Soutien sans équivoque
Président de l’interprofession des vins de Loire (InterLoire), Camille Masson l’affirme suite à un vote à l'unanimité de son bureau ce 16 mai : « nous devons prendre attache auprès de nos conseils pour étudier toutes les modalités procédurales, mais nous interviendrons volontairement à la procédure judiciaire connue par Lacheteau. Il est impératif de défendre notre filière et de soutenir les entreprises amont et aval ayant des pratiques passées, présentes et futures qui s’inscrivent dans les us et coutumes, par ailleurs jamais remis en cause lors de nos échanges réguliers avec les pouvoirs publics. » Une défense ferme, qui laisse la porte ouverte à la DGCCRF pour échanger sur sa nouvelle doctrine en matière de contrats pluriannuels et d’explication sur la transparence du prix final d’achat, afin d’appliquer les modalités adaptées dans l'objectif d'éviter tout risque juridique sur les contrats passés, présents et futurs.
S’appuyant également sur un vote à l’unanimité ce 15 mai de son conseil exécutif, Bernard Farges, le président Comité National des Interprofessions des Vins à appellation d'origine et à indication géographique (CNIV) annonce que les interprofessions accompagneront dans la procédure GCF. « Nous considérons de manière interprofessionnelle que ces pratiques étaient connues de tous, validées par tous, avec des contrats signés par des viticulteurs et des négociants sur un usage ancien sur cette région où la contractualisation d’achat de raisin est importante, et pas que par cette entreprise » explique le viticulteur bordelais, pointant que dans toute la filière vin, « on est surpris et inquiet d’une telle attitude de l’administration que l’on aurait aimé plus pédagogique » alors qu'il s'agit d'un usage établi et transparent de construction du prix : « partir d’un prix du vin, déduire un coût de vinification connu et accepté par les deux parties pour avoir un prix du raisin montre transparence dans construction du prix ».


Ne souhaitant pas plus commenter, Lacheteau veut lever toute inquiétude auprès de ses fournisseurs viticoles en cette période de crise : « cette procédure n’a aucun impact sur la continuité de ses opérations, ni sur ses engagements commerciaux ». La DGCCRF estime au contraire que « dans un contexte de tensions sur le secteur vinicole, cette action est d’autant plus nécessaire à la protection des producteurs qui peinent à valoriser les raisins et moûts propres à être utilisés pour la production de vin sous AOP ou IGP ». Ce sera à la justice de donner raisin aux parties si elles ne s'entendent pas.
* : GCF a acquis en 2006 la société Lacheteau pour se spécialiser dans les fines bulles de Loire (dont il est devenu le premier opérateur), via le négoce Vinival achetée en 2004 pour s’implanter en Loire (ce négoce étant fondé en 1990 dans le pays nantais par Jean Babonneau et Christian Ceccaldi, avant d’acquérir le château de la Forchetière en 1994, de fusionner avec la maison Rolandeau en 1998 et d’acquérir le château de Champteloup). Depuis, GCF a acquis en 2007 le château du Cléray (Muscadet), en 2008 le château de Fesles (Bonnezeaux, Anjou) et la maison Roger Félicien Brou (Vouvray), en 2012 la maison Blanc Foussy (bulles de Touraine et de Vouvray) et en 2022 le domaine Pas au Loup (Haut Poitou).
La position de la DGCCRF : « garant de l’ordre public économique, le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique, représenté par le directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) des Pays de la Loire, a assigné le 20 février 2025 la société viti-vinicole LACHETEAU devant le tribunal de commerce de Rennes. Cette assignation fait suite à une enquête réalisée par les services de la DGCCRF, qui a révélé des pratiques commerciales abusives de cette société dans les relations entretenues avec 44 de ses fournisseurs.
La société LACHETEAU est l’une des principales filiales du groupe Grands Chais de France, première maison de production et de négoce de vins en Europe. Cette société est un acteur majeur du vignoble du Val de Loire, qui détient 6 centres de vinification et vendangeoirs et travaille avec près de 450 partenaires viticulteurs et apporteurs.
Cette assignation devant le tribunal de commerce de Rennes s’inscrit dans l’esprit des lois EGAlim, visant à protéger les producteurs fournisseurs de matières premières agricoles dans leurs relations avec leurs acheteurs. Elle constitue l’aboutissement d’investigations approfondies menées par le pôle « concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie légale » de la DREETS des Pays de la Loire. L’enquête a permis de démontrer que la société LACHETEAU impose à ses fournisseurs des réductions sur le prix d’achat de la matière première afin de leur faire supporter des coûts propres aux opérations de vinification qui lui incombent.
Les avantages ainsi indûment obtenus par la société LACHETEAU, en violation de la loi française encadrant les relations commerciales, viennent perturber le développement économique équilibré des producteurs comme des négociants et portent atteinte à la loyauté de ces relations. Pour cette raison, le Ministre demande au tribunal de commerce de prononcer une amende civile de 6,6 millions d’euros, correspondant au triple du montant des sommes indûment obtenues par la société LACHETEAU pendant trois années. Par cette assignation, est également demandée la cessation des pratiques dénoncées.
Chargée de veiller au bon fonctionnement des marchés nécessaire pour conforter la confiance de tous les acteurs de l’économie, la DGCCRF s’assure du respect des règles concurrentielles et de l’équilibre des relations commerciales entre les producteurs et leurs acheteurs. Dans un contexte de tensions sur le secteur vinicole, cette action est d’autant plus nécessaire à la protection des producteurs qui peinent à valoriser les raisins et moûts propres à être utilisés pour la production de vin sous AOP ou IGP. »
Le communiqué de GCF : « La Maison Lacheteau, filiale du Groupe Les Grands Chais De France, confirme avoir reçu en février 2025 une assignation de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), dans le cadre d’une enquête menée entre 2020 et 2021 portant sur certains éléments contractuels durant la période de 2016 à 2018.
La Maison Lacheteau conteste formellement les allégations formulées à son encontre et fera valoir ses observations dans le respect des voies de droit. Il s'agit d'une procédure circonscrite à des clauses commerciales, sans aucun lien avec la qualité de nos produits, leur sécurité, ni leur conformité réglementaire.
Les pratiques mentionnées dans cette assignation relèvent d’usages professionnels établis dans le bassin viticole ligérien dans le cadre de contrats librement négociés de gré à gré entre les Parties, notamment en ce qui concerne la détermination du prix des raisins ou des moûts en tenant compte d’une information sur la référence base vin donnée à titre indicatif comme point de repère, et ce dans le respect des dispositions des articles L442-1 et suivants du Code de commerce.
Les pratiques reprochées sont des pratiques usuelles, historiquement admises, connues et acceptées par toute la filière viticole. Ces dispositions contractuelles ne sauraient être assimilées à des pratiques abusives dès lors qu’elles sont appliquées de manière transparente et équilibrée.
La Maison Lacheteau bénéficie à cet égard du soutien des vignerons et du soutien clair et public des syndicats et des organisations professionnelles de la viticulture et du négoce. La filière tout entière confirme que ces pratiques amont aval sont courantes dans la profession, convenues avec les vignerons, et mises en œuvre dans le cadre de relations contractuelles équilibrées, s’appuyant eux-mêmes sur des accords interprofessionnels étendus par le Ministère de l’Agriculture.
La Maison Lacheteau tient à rassurer l’ensemble de ses partenaires, clients et collaborateurs que cette procédure n’a aucun impact sur la continuité de ses opérations, ni sur ses engagements commerciaux.
Dans le respect du bon déroulement de la procédure en cours, la Maison Lacheteau ne souhaite pas faire d’autre commentaire à ce stade. »