rutale, la menace lancée ce 13 mars par le président américain Donald Trump d’imposer 200 % de droits de douanes sur les vins et spiritueux français reste en travers de la gorge des 306 exposants réunis à Bordeaux pour le salon des Vignerons Indépendants de France (parc des expositions, du 14 au 16 mars). Un choc, mais pas une surprise. « Il est complétement incompréhensible que la Commission Européenne réponde aux taxes sur l’acier et l’aluminium par des mesures de rétorsion de 25 % sur une liste de produits américains et mette 50 % sur les whiskies et bourbons* » critique Jean-Marie Fabre, le président des Vignerons Indépendants de France, qui ne peut que constater : « au lieu de taxer uniformément, cette réponse a prêté le flanc à la riposte. Quelle naïveté politique. Cibler les whiskies américains revient à exposer les vins et spiritueux européens et nous fragiliser. J’espère que c’est de la maladresse. Si l’Europe n’arrive pas négocier la désescalade avec les États-Unis, on condamne les vins et spiritueux. »


Un arrêt de mort tout sauf théorique pour Claude Thorin, des cognacs éponymes (basés à Segonzac, Charente). Entre les menaces américaines et chinoises (une enquête antidumping ayant déjà des effets très concrets), « on peut faire une croix sur la région de Cognac. Le problème n’est pas compliqué à comprendre quand on sait que les marchés américains et chinois représentent 75 % des ventes de cognacs. On va crever. On va vers les faillites » aligne froidement le vigneron charentais, pour qui la crise qui s’annone sera pire que celle historique des années 1990-2000. « On verra si nos politiques veulent sauver ou non la région Cognac. C’est l’erreur de la Commission européenne d’avoir ciblé le bourbon, il aurait fallu viser tous les produits américains et pas donner la main à Donald Trump » poursuit Claude Thorin.
Pour l’ensemble des vins et spiritueux français, les États-Unis sont le premier débouché export en valeur (avec 3,8 milliards d’euros d’expédition en 2024, pesant pour le quart de l’export de la filière). Sur les 4 600 entreprises viticoles exportant aux États-Unis, 3 600 sont des vignerons indépendants relève Jean-Marie Fabre. Représentant 20 % des volumes et 30 % de la valeur des vins exportés sur le marché américain, les caves particulières sont particulièrement exposées au premier marché de consommation de vin dans le monde. D’autant plus que cette destination est valorisée et dynamique.


« On s’attend à une taxe, mais 200 % pour moi c’est du bluff » préfère désamorcer le vigneron Martin Clerc, du domaine éponyme en Côte-Rôtie et Condrieu (à Chonas-l'Amballan, Isère). Pointant « une annonce pour faire peur, et ça marche », il préfère ne pas écouter tout ce qui se dit pour ne pas trop angoisser sur l’avenir de sa première destination export. Présente aux États-Unis, l’inquiétude n’aboutit pas forcément à de l’anticipation. « Nous avons deux importateurs américains. L’un stocke depuis décembre et a pris toutes ses allocations pour 2025 (la dernière expédition vient de partir) et l’autre, à l’inverse, attend de voir ce qui arrivera réellement » rapporte Amandine Girard, du domaine Michel Girard (20 ha en AOC Sancerre, à Verdigny dans le Cher). La vigneronne pointant que depuis des mois les annonces et menaces se succèdent, seules l’incertitude et l’inquiétude demeurent.
Et pas seulement pour les vignerons exportant vers les États-Unis. Ceux présents sur les autres marchés se sentent aussi concernés par les menaces de Donald Trump. Comme Jean-Michel Welty, du domaine Welty (15 ha bio à Orschwihr, Haut-Rhin), qui résume l’enjeu : « tout ce qui ne sera pas envoyé vers les États-Unis restera en Europe et risque d’impacter tous les marchés, de créer de la surproduction… » Reconnaissant être plutôt pessimiste dans le contexte actuel, le vigneron alsacien constate que la filière vin se trouve déjà dans un contexte fragile. Des vignobles ayant déjà la gueule de bois avant les menaces américaines.
Le mal commercial est déjà fait pour Mireille Ribière, du domaine du Lendemain (12 ha bio à Fourques, Pyrénées-Orientales), qui perdu ses importateurs américains l’an passé, du fait de l’économie : « le marché américain est déjà en récession. Cette annonce, c’est pour être sûr de remettre un petit coup… C’est difficile économiquement parlant, quand on voit tout ce qui se casse la gueule » pointe la vigneronne du Roussillon, qui glisse qu’à « bientôt 40 ans, cela doit faire 38 ans que l’on ne parle que de crises. Il faudrait créer un nouveau terme… »
Pour éviter concrètement une fermeture du marché américain aux vins et spiritueux français, Jean-Marie Fabre appelle à la désescalade par la négociation diplomatique transatlantique. Tout en craignant que les marges de manœuvre soient faibles : « on vient de commettre une erreur dans la défense des intérêts européens. S’il recule sur les taxes, Donald Trump sait où appuyer pour la suite. Il connait notre talon d’Achille, on lui a montré. Le président américain est un boxeur : il ne comprend que le rapport de force et met le curseur le plus haut possible dans les négociations pour obtenir l’avantage. » Autre enjeu pour l’Union Européenne, soutenir le gain de parts de marché sur d’autres destinations de consommation. « Il faut un outil de développement et de conquête de parts de marché dans un moment de fragilité et de difficulté pour renforcer l’économie » répète Jean-Marie Fabre, plaidant pour la diversification des marchés face aux risques géopolitiques croissants.
* : « Tous, nous demandions (à la Commission européenne, le président de la République, le premier ministre, le gouvernement…) qu’en cas de menaces américaines de distorsion de compétitivité appliquées sur les produits européens à l’importation, qu’il y ait une réponse ferme de la Commission européenne, claire et massive en taxant de manière identique tous les produits américains pour éviter l’escalade » indique Jean-Marie Fabre, pointant que cette stratégie permettait de « rester sur le même niveau de curseur, sans exposer de secteurs, tout en laissant la place à la négociation et en remettant la balle dans le camp américain. »