amais deux sans trois ? Devenant un habitué de la quatrième chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux après deux jugements sur "le Bordeaux de" (pour Citran et Larrivet Haut-Brion, actuellement devant la cour de cassation), la maison Ginestet revient ce 23 janvier dans une affaire de pratique commerciale trompeuse. En cause, un autocollant rond et doré apposé pour le marché japonais (et le distributeur Asahi) sur 250 000 bouteilles de la marque Ginestet (en AOC Bordeaux) avec l’indication en anglais "66 médailles : 14 d’or, 17 d’argent, 27 de bronze et 8 distinctions" avec en liseré un message "maison Ginestet ambassadeur d’excellence depuis 1887". De quoi faire tiquer l’administration lors d’un contrôle de première mise sur le marché le 17 décembre 2021. Pour le pôle C de la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets), ce macaron contrevient au décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 sur l'étiquetage des vins qui indique que « seuls les lots primés peuvent mentionner dans leur étiquetage les distinctions ou médailles obtenues ».
Or, ces 66 médailles ont été obtenues entre 2004 et 2016 sur d’autres cuvées et millésimes relève la DREETS dans un PV d’infraction le 22 février 2023, alors que le vin en question n’a reçu aucune médaille. Pour l’administration, il y a une pratique commerciale trompeuse, avec un risque de confusion pour les consommateurs de ce macaron comme une médaille, mais aussi un risque de concurrence déloyale : « il nous a semblé préjudiciable pour l’ensemble des exportateurs vers le Japon qu’il y ait un effet d’attraction surestimée pour les bouteilles de Ginestet par rapport à d’autres » indique le représentant de la Dreets à l’audience, notant que « si la pratique se généralisait, elle fausserait les marchés ».


De la science-fiction pour maitre Jean Gonthier, la défense de Ginestet, qui lance « je ne vois dans ce dossier aucune constitution de partie civile, ce qui est rare dans les affaires viticoles. Quand il y a des sujets qui mettent en jeu la loyauté et l’égalité de la concurrence, on a des représentants des AOC (FGVB), de l’interprofession (CIVB), des exportateurs (Bordeaux Négoce)… » Pour l’avocat bordelais, le cœur du dossier porte sur l’absence de commercialisation en France et la réalisation d’un macaron à la demande de l’importateur japonais Asahi : « le droit pénal de la consommation est fait pour protéger le consommateur. Nous sommes ici aux antipodes des pratiques répréhensibles. On nous fait la police parce que sur une étiquette Ginestet rappelle sa noblesse, ses médailles et ses distinctions… C’est interdit de s’en prévaloir au Japon si c’est une demande d’acheteur ? »
S’emportant, le ténor du barreau lance que la seule manière pour les exportateurs français de rester dans les clous est « d’installer des usines de conditionnement en dehors de France. Alors là, il n’y aura plus aucun souci d’avoir en France une étiquette non-conforme… C’est diabolique ! On s’éloigne totalement de la finalité, de la ratio legis, de la protection du consommateur. » Pour Jean Gonthier, « à suivre ce raisonnement, nous sommes en situation multi-infractionnelle » avec des bouteilles entreposées en France mais destinées à l’export et adaptées aux règles du marché cible : par exemple le marché américain interdit le logo femme enceinte sur son étiquetage, alors que c’est une obligation en France. Cette « police morale » est même « un Bordeaux bashing adapté à l’administration » gronde l’avocat de Ginestet, qui demande à la juridiction « de réfléchir aux conséquences de condamner une maison sérieuse qui porte haut et loin les couleurs de la place [de Bordeaux] pour une infraction qui est en soit une folie telle qu’on l’interprète aujourd’hui. »


Une forme de chantage économique que goûte peu le ministère public. La procureure Marie-Noëlle Courtiau-Duterrier se montre acide : « vous allez saborder le vin français si vous sabordez cet entrepreneur… Nous culpabiliser, je rêve ! Je suis pour la promotion de nos vins français, mais à condition de le faire dans les règles. Ce sont en réalité de petites magouilles. » Concernant le fond du dossier, le parquet veut recentrer le dossier pour « rester en France, et ne pas se laisser embarquer au Japon ». Pour le ministère public, « peu importe que le consommateur soit français, japonais ou martien, il importe qu’un vin français, dès lors que l’on mette un signe distinctif sur sa bouteille, ait réellement été médaillé. C’est très simple. » Dans ses réquisitions, le parquet demande une condamnation à 100 000 € du négociant Ginestet (ayant vendu 450 000 € du vin incriminé au Japon) et 30 000 € pour son directeur général, Franck Lederer.
Une réquisition peu appréciée par maître Arnaud Dupin, la défense de Franck Lederer, qui demande la relaxe et estime que la responsabilité du dirigeant n’est pas établie pour la décision d’apposer ce macaron. « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait » rappelle l’avocat bordelais, estimant qu’il n’y a pas de démonstration de l’infraction intentionnelle dans le dossier. « C’est facile de dire que vous êtes directeur, que vous êtes responsable de tout » raille Arnaud Dupin, qui renvoie la responsabilité de cette initiative commerciale aux services marketing de Ginestet et d’Asahi. La poursuite de Franck Lederer étant « un traitement insupportable. On a l’impression d’avoir un délinquant chevronné qui enfreint systématiquement les règles » grince l’avocat. « On a l’impression que ça devient presque une association de malfaiteurs de vouloir exporter du vin : ça va devenir insupportable si l’on veut créer de la valeur d’être traité comme n’importe quel petit trafiquant » abonde Jean Gonthier.
Pour l’élément intentionnel, « je m’inquiète qu’une maison telle que Ginestet ait un dirigeant qui dise qu’il n’est pas informé, pas au courant… » indique le ministère public. Pour Marie-Noëlle Courtiau-Duterrier, « comme il n’y a pas de délégation de signature, Franck Lederer est responsable. » Une implication que critique Arnaud Dupin, pointant que le parquet avait proposé une transaction à 65 000 € impliquant le seul négoce, et que c’est suite au refus de Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité (CRPC) que son client a été impliqué. Pour une réquisition doublant le montant de la transaction proposée : « on a encore le droit de se défendre si l’on n’adhère pas aux théories du parquet » lance l’avocat.
Le délibéré sera rendu le 20 février.