a malédiction du sparadrap du capitaine Haddock a encore frappé. Pour expliquer ce mardi 10 octobre devant la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Bordeaux la création de la marque de négoce "le Bordeaux de Larrivet Haut-Brion", Franck Lederer, le directeur général de la maison Ginestet indique avoir monté la collaboration avec le château Larrivet Haut-Brion (Pessac-Léognan) car « l’image du négoce n’est pas très bonne pour le consommateur et c’est une façon d’avoir une caution de vignerons ».
Une petite phrase qui a suivi le négociant tout le long de l’audience, des échanges avec les conseillères comme les avocats des parties civiles. Et ce malgré ses contestations répétées à la barre : « nous considérons que nous n’avons jamais voulu tromper personne. [Pour l’achat de vin] le consommateur est guidé par le prix et la qualité du vin : la marque Larrivet Haut-Brion n’est connue que par quelques amateurs de Bordeaux » (et de citer un sondage IFOP où un consommateur sur dix déclare connaître la marque).
Dans son réquisitoire demandant le maintien des condamnations de première instance en 2020 (amendes de 60 000 € pour le château, 15 000 € pour son propriétaire, 80 000 € pour le négoce et 15 000 € pour son directeur), l’avocate générale « remercie monsieur Franck Lederer qui a bien voulu admettre qu’un vin de négoce n’a pas très bonne vue dans l’esprit du consommateur. Cela résume l’esprit du dossier. » Se focalisant sur une « confusion entretenue entre vin de propriété et vin de négoce », le parquet estime que la profusion d’éléments sur le packaging reliant la cuvée au monde du château Larrivet Haut-Brion orchestre « une filiation directe » et occulte « l’origine inconnue du vin » se trouvant dans la bouteille. Avec « un nom qui claque » et « une étiquette qui en jette », l’avocate générale estime que « le consommateur va préférer choisir "le Bordeaux de Larrivet Haut-Brion" à un multitude d’autres vins » via « une altération du comportement économique du consommateur moyen raisonnablement attentif » en « laissant penser que les vins étaient issus de parcelles de Larrivet Haut-Brion ».


« Franck Lederer a rappelé que "le négoce n’a pas très bonne réputation". D’où l’association avec une marque, pas connue du grand public, mais suffisamment répété pour que le consommateur final soit trompé. Et même des professionnels, comme l’a montré l’enquête de gendarmerie » déclare sous serment la représentante de la Direction Régionale de l'Economie, de l'Emploi, du Travail et des Solidarités (DREETS), ajoutant qu’« à la fin, on jouait de tous les codes connus du consommateur moyen qui cherche des éléments rassurants : image du château, nom répété plein de fois… »
Pour sa défense, le négoce est offensif. « Ne pensez pas qu’une maison comme la notre s’amuse à tromper le consommateur » plaide Franck Lederer, qui énumère les preuves de sa bonne foi : l’affichage dès l’origine de la mention sur la contre-étiquette « élaboré par la maison Ginestet avec les équipes de Larrivet Haut-Brion », l’absence de retour négatif de consommateurs ou d’association de consommateurs, une vente exclusive aux cavistes et restaurateurs permettant d’assurer un conseil explicatif (pour les marchés français, belges et allemands), la capsule "négoce"…
Ainsi que la modification du nom de la cuvée en "Bordeaux de Citran" après le contrôle de 2017 et un changement en 2018 de la contre-étiquette avec l’ajout de « ces vins ne sont pas issus de la propriété ». Ce qui n’a pas eu d’impact sur niveau de vente rapporte Franck Lederer pour qui cela prouve que le nom n’est pas un déclencheur d’achat. Il n’y avait pas de mention "embouteillé à la propriété", « au contraire de Maucaillou » relève maître Jean Gonthier, défense de Ginestet et de Franck Lederer. Ayant jugé cette affaire "le Bordeaux de Maucaillou", le président du tribunal note qu’il connait « un peu la matière ». L’avenir dira si la logique juridique est la même dans ces affaires.


Pour les parties civiles, le dossier se résume à des questions de principe. Pour maître Audrey Téani, représentant l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), « deux questions fondamentales se posent pour ce dossier : peut-on utiliser dans notre système protecteur (pour le producteur et le consommateur) un nom de château/d’AOC sur un produit qui n’a qu’un rapport lointain avec lui ? La réponse est non. La pratique commerciale trompeuse est-elle un risque concret de consommateurs se plaignant ou un risque abstrait pour un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif ? La jurisprudence est claire : peu importe qu’il n’y ait pas de retours de consommateurs, c’est un risque abstrait. »
S’offusquant d’un « château fantôme », maître Jean-Philippe Magret, représentant la Fédération des Grands Vins de Bordeaux (FGVB), veut « protéger les autres producteurs de Bordeaux, lésés par la vente de vin, étant entendu qu’il ne provient pas de parcelles de Larrivet Haut-Brion. » Par son attractivité, « il y a un biais pour le consommateur, et pour le producteur. La place que prend ce vin sur ce segment, c’est un autre producteur qui s’en voit privé » développe maître Frédéric Georges, représentant la Confédération Paysanne, pour qui l’objectif de la marque est de « tirer profit à partir d’un prestige. Sinon pourquoi mêler Larrivet Haut-Brion à cette opération commerciale ? »
Il y a un « paradoxe à revendiquer le nom de Larrivet Haut-Brion à plusieurs reprises sur l’étiquette et indiquer que ce n’est pas connu » se trouble une conseillère, soulignant des ambigüités. Pour l’avocate générale, il n’y a pas de doutes, grâce à la correspondance entre le négoce et la propriété, où il est question de risques de « confusion », ce qui caractérise pour le parquet l’élément moral de l’infraction.
À la suite de cette audience, une autre s’est penchée sur "le Bordeaux de Citran" produit par la maison Ginestet dont le président, Denis Merlaut, possède le château Citran. Les délibérés de ces deux dossiers sont attendus le jeudi 14 décembre.