Newsletters
Magazine
Retrouvez tous les articles de La Vigne
Article réservé aux abonnés 
okkaido compte cinquante-cinq caves : quasiment trois fois plus qu’il y a dix ans. Située tout au nord du Japon, cette grande île s’est résolument lancée dans le vin à partir des années 1970. Elle s’est hissée depuis à la troisième place des régions viticoles avec 18,5 % de la production nationale de vins (31 000 hl, sur 165 000 hl), derrière les préfectures de Yamanashi et de Nagano.
L’appellation Vin d’Hokkaido est reconnue depuis 2018 avec, comme premier critère, qu’il soit produit exclusivement avec des raisins cultivés sur l’île. Cinquante-sept variétés sont autorisées, les plus plantées étant le kerner, le niagara, le yamasachi – une obtention locale – et le pinot noir, considéré ici comme le Graal.
Les vignerons consacrent beaucoup de temps et d’efforts à protéger leurs vignes du froid hivernal. Sur la façade ouest de l’île, ils rabattent ainsi les ceps vers le sol afin que la neige les recouvre et les protège du gel. Sur la façade est, moins enneigée mais plus glaciale encore, ils les recouvrent de terre.
Situé à proximité de Yoichi, à l’ouest de l’île, le vignoble de Niki Hills Winery s’est implanté il y a huit ans, sur les flancs d’un volcan couvert de vergers. « Pour pouvoir coucher les ceps sans les casser, nous les avons plantés en biais, explique Mariko Withrington, maître de chai néo-zélandaise, d’ascendance japonaise. Nous les attachons à un fil porteur bas et nous les décrochons avant l’hiver pour pouvoir les pousser au sol. Cela prend évidemment du temps, comme de raccrocher les pieds au printemps. » Le domaine ne compte que 8 ha plantés mais trois personnes sont employées aux vignes. Selon Mariko Withrington, ce n’est même pas suffisant : le double serait idéal, afin de suivre la croissance de la vigne au printemps.
Outre des blancs et des rouges, Niki Hills Winery s’est également lancée dans les vins pétillants. La cave a planté du pinot noir, du kerner, du zweigelt-rebe, du chardonnay et du merlot. « Les rangs sont tous orientés au sud, détaille Mariko Withrington. Ici, outre la neige l’hiver, nous pouvons avoir beaucoup de pluie. De ce fait, nous effeuillons les vignes pour aérer les grappes. Nous sommes particulièrement vigilants concernant le pinot noir, qui craint les coups de soleil, avec sa peau si fine. Mais pour les merlots, nous ôtons les feuilles des deux côtés afin d’avoir plus de couleur. »
Hokkaido Wine est bien grande et plus ancienne. Cette entreprise possède 56 hectares de vignes dans trois vignobles assez dispersés, à l’ouest de l’île, et achète du raisin à trois cents producteurs. Elle a démarré par quelques rangs en 1972. Sa première récolte date de 1979, c’était du müller-thurgau. « Notre fondateur a visité l’Allemagne et y a vu des vignes prospérer dans un climat assez similaire à celui d’Hokkaido », indique Ataru Nakazawa, directeur commercial du domaine.
Après les cépages allemands, l’entreprise a introduit des variétés françaises au fur et à mesure du réchauffement climatique. « Elles sont plus délicates à conduire mais elles apportent tant au vin », estime le représentant.
Implanté en plusieurs endroits du Japon, Hokkaido Wine commercialise 2,5 millions de bouteilles par an. « Nous sommes le premier producteur de vins obtenus à partir de raisins récoltés au Japon, indique Ataru Nakazawa. L’entrée de gamme est compliquée à vendre : le premier vin chilien s’affiche à 600 yens la bouteille, quand le nôtre coûte 1 200 yens. »
Il y a cinq ans, l’entreprise s’est lancée dans les effervescents en méthode champenoise, après avoir travaillé avec la Maison Pommery. « Nous avons aussi un surprenant vin à 8 % d’alcool que nous produisons à partir de la variété niagara, complète-t-il. Face à la surproduction de ce raisin de table, en 1980, des agriculteurs sont venus nous voir pour que nous procédions à des essais de vinification. Aujourd’hui, c’est un produit qui plaît beaucoup au Japon, et nous en exportons même à Taïwan. »
La croissance de l’entreprise est désormais ralentie par le manque de main-d’œuvre et de fournisseurs. Pour inciter plus d’agriculteurs à se lancer dans la viticulture, elle leur fournit des ceps et leur propose des contrats leur assurant d’acheter leur récolte à des prix dépendant des taux de sucre et d’acidité, avec des plus-values pour le pinot noir et le chardonnay. En ce qui concerne l’autre levier, la technologie, « Nous travaillons avec le laboratoire des véhicules robotisés de l’université d’agriculture d’Hokkaido, et avec Toyota et Sony », liste Ataru Nakazawa.
Sur la façade est d’Hokkaido, l’histoire d’Ikeda Wine Castle remonte plus loin encore, à 1953. « Il a fait particulière froid, cette année-là, et les récoltes furent très mauvaises, relate Imai Hidetoshi, l'actuel directeur commercial d’Ikeda Wine et fonctionnaire municipal. Le nouveau maire de la commune a noté que les Vitis amurensis avaient produit du raisin malgré le froid. Sous son impulsion s’est créée la première association de vignerons visant à travailler cette espèce qui était sauvage à l’époque. Et, en 1964, un de nos vins a gagné une médaille de bronze au concours de Budapest, ce qui a incité les habitants de la commune à soutenir ce projet. »
Toutefois, l’irrégularité de cette variété a poussé les vignerons à tester d’autres cépages résistant au froid, dont le seibel, et à mettre au point leurs propres variétés, d’abord le kiyomi, du nom de la colline qui domine le village d’Ikeda, et puis le yamasachi, qui se repère à ses très grandes feuilles.
« La montagne du centre d’Hokkaido nous protège de la neige venant de Chine, mais pas des gels qui descendent régulièrement sous - 25°C. Pour cette raison, nous enfouissons les pieds sous la terre prise dans les interrangs. Nous utilisons un tracteur pour les chausser mais au printemps, nous les déterrons à la main. » Comme la méthode s’avère coûteuse en main-d’œuvre, la recherche de nouveaux cépages résistants au gel se poursuit. Même si certains se disent qu’avec le réchauffement climatique, les hivers glaciaux ne seront peut-être bientôt plus de mise.
À Hakodate, dans le Sud d’Hokkaido, le domaine De Montille & Hokkaido a effectué sa première récolte en 2023. « Je crois que nous sommes les seuls étrangers à posséder un vignoble au Japon », indique Étienne de Montille, propriétaire du domaine du même nom, à Volnay, en Côte-d’Or. Ce dernier découvre des vins japonais en 2015, à l’occasion d’une dégustation qui le surprend assez pour entreprendre une visite de caves dans l’archipel. « J’ai rencontré des vignerons passionnés, qui manquaient d’outils, notamment de matériel végétal sain », se remémore-t-il. Au terme de plusieurs voyages, il trouve le site qui lui convient, au sud de l’île, moins enneigé l’hiver que le nord. Son affaire démarre doucement. « En 2023, nous avons récolté environ 1 ha de chardonnay, et 0,7 ha de pinot noir planté en 2019 en franc de pied, explique-t-il. Les quantités sont faibles, voire très faibles : nous avons récolté environ 17 hl de blanc et 7 hl de rouge. Et début janvier, il est trop tôt pour se prononcer sur les vins. »
