Globalement, nous avons enregistré environ 30 % d’augmentation des expéditions vers les USA sur l’année 2024, avec une forte concentration sur les trois derniers mois. Il y a clairement une volonté d’anticiper une éventuelle augmentation des taxes », note Frédéric Lanteri, directeur général de la société de logistique Dartess, basée à Blanquefort en Gironde. Collaborant avec 120 négociants à Bordeaux mais dont le portefeuille de clients englobe également propriétés, importateurs, distributeurs et sites internet, l’entreprise a observé une réaction notamment de la part des opérateurs vin dès l’élection de Donald Trump, tout en l’ayant elle-même anticipé bien en amont. « Nous proposons différentes prestations à nos clients, dont les étiquettes normatives apposées sur les bouteilles. A un an des élections américaines, nous nous sommes mobilisés pour pouvoir préparer des volumes importants. D’ailleurs en janvier, nous avons encore des volumes qui sont en train de partir ».


Si Frédéric Lanteri constate que « les Etats-Unis restent un marché dynamique pour les Grands Crus notamment », il en est de même du côté de la Bourgogne. Les expéditions de vins bourguignons vers les USA sur les neuf premiers mois de 2024 ont, elles aussi, suivi une tendance haussière. Malgré un contexte difficile – l’IWSR prévoit une baisse annuelle de 2% de la consommation américaine de vins – les vins de Bourgogne ont progressé de 6,3% en volume et de 6,1% en valeur sur neuf mois par rapport à la même période en 2023. « Les appellations « moins connues » ont particulièrement augmenté leurs ventes, par exemple le Crémant de Bourgogne avec +13,7% », précise le BIVB. « L’attrait pour les vins de Bourgogne aux Etats-Unis se confirme », corrobore Pierre Gernelle, directeur de la Fédération des Négociants Eleveurs de Grande Bourgogne. « On répond aux attentes des consommateurs, qui cherchent du terroir, de la minéralité et de la diversité. Les vins blancs en particulier marchent bien ». La région profite également de disponibilités renforcées : « En cave, on a deux beaux millésimes à commercialiser et cela a eu un effet. Globalement, malgré le sujet de l’inflation, il y a un dynamisme économique américain indéniable qui génère une activité en hausse ».
Pas de « mouvement important » en BourgognePréférant voir le verre à moitié plein, Pierre Gernelle reconnaît que certains segments seraient moins touchés que d’autres en cas d’imposition de droits de douane supplémentaires : « Peut-être que vers le haut de la pyramide, c’est un sujet moins sensible parce qu’il y a moins de volumes à vendre. Ce ne sont pas les mêmes circuits et donc il n’y a pas la même pression concurrentielle ». Cela, sachant que « la pyramide des vins de Bourgogne est assez haute mais on couvre pas mal de segments. Il n’y a pas que des vins ultra-premiums, il y a aussi des vins d’entrée de gamme avec de bons rapports qualité-prix qui pourraient être impactés par une hausse des taxes ». Il n’en reste pas moins que la FNEB n’a pas constaté de « mouvement important » des expéditions vers les Etats-Unis ces derniers mois pour tenter d’anticiper d’éventuelles taxes.


Son ressenti est partagé par Thierry Delaunay, vigneron à la tête du Domaine Joël Delaunay en Touraine. « J’ai deux importateurs qui ont passé des commandes en décembre pour éviter d’éventuelles taxes. C’est vrai qu’un conteneur, expédié vers l’un d’entre eux en décembre au lieu de février, ce n’est pas rien mais seuls deux importateurs ont réagi sur l’ensemble des opérateurs avec lesquels je travaille. Tous les importateurs n’ont pas les capacités financières et de stockage nécessaires pour acheter par anticipation ». Il faut dire que Thierry Delaunay connaît bien le marché américain : l’entreprise familiale y est implantée depuis les années 80 et a tissé un réseau important d’agents et importateurs à travers le pays, parmi lesquels l’importateur national WholeFoods. Comme tous les opérateurs, sa seule certitude c’est l’incertitude totale qui règne actuellement sur les Etats-Unis, et il espère que le bon sens, et le travail de lobbying réalisé par un consortium d’importateurs et de distributeurs américains, finiront par l’emporter sur toute mesure protectionniste. « Les professionnels américains font pression sur le gouvernement pour lui faire comprendre que c’est une très mauvaise idée, à la fois pour les relations franco-américaines et pour le marché américain lui-même parce qu’à l’arrivée c’est toujours le consommateur final qui paie ».
Coup de pouce éventuelTout en retenant une petite lueur d’espoir que les taxes ne soient pas mises en place, Thierry Delaunay reste lucide et pragmatique. « Biden a mis les taxes en pause mais à un moment donné elles auraient été remises sur la table. L’Europe a un rôle important à jouer dans la relation avec les Etats-Unis pour faire en sorte que chaque partie y trouve son compte et qu’on passe à côté ». Des mesures d’atténuation ne sont toutefois pas à exclure, comme lors de la dernière imposition de droits de douane supplémentaires : « Tout est question de la relation qu’on a avec nos importateurs et agents sur place pour voir comment on peut intervenir pour aider à amoindrir la taxe. Mais c’est un coup de pouce qui impacterait nos marges dans un contexte où, surtout dans nos appellations, le rapport qualité-prix de nos vins est déjà très élevé et la marge de manœuvre donc faible. C’est du cas par cas pour savoir si on peut dégager un budget « anti-taxes » ».
Pour Frédéric Lanteri, il est vraisemblable qu’on assiste à « un ralentissement des expéditions sur le premier trimestre parce qu’on est en train de pousser du stock chez les importateurs mais ensuite il faut que les vins soient consommés. Néanmoins, les Etats-Unis restent un marché dynamique ». Un marché dont les vignobles français vont continuer à prospecter, à l’instar des entreprises d’Occitanie : du 3 au 5 mars prochain, ce ne sont pas moins de 44 entreprises régionales qui participeront à la mission USA/Canada organisée par Ad’Occ.