epuis 2017, les organisateurs deu salon ProWein et l’Université de Geisenheim mènent une enquête internationale pour identifier les principaux défis et préoccupations ressentis par les professionnels – en amont et en aval – et les solutions qu’ils envisagent pour les surmonter. Fin 2024, ce sont près de 1 400 experts représentant toute la chaîne de valeur du vin dans plus de trente pays qui ont été sondés pour connaître leur vision de l’avenir du vin.
« La filière vin est à un tournant. Les pires effets de la montée des coûts de production semblent avoir été surmontés dans la plupart des pays, mais les producteurs et metteurs en marché doivent désormais faire face aux adaptations requises dans le contexte d’une évolution rapide des préférences des consommateurs », pose le professeur Simone Loose, responsable de l’unité de recherche sur l’activité vins et boissons au sein de l’Université de Geisenheim en Allemagne, en guise d’introduction. « Le développement de nouveaux produits et l’élaboration de stratégies de communication novatrices seront essentiels pour permettre au vin de rivaliser avec d’autres boissons ».
Politiques anti-alcool : un défi majeurSi le pouvoir d’achat des consommateurs, toujours en berne, et les tensions sur les coûts de production restent bien présents, les professionnels interrogés se projettent dans la manière dont ils doivent répondre aux attentes futures des consommateurs, notamment les plus jeunes. Cela, dans le contexte d’un renforcement perçu des politiques vis-à-vis des boissons alcoolisées, que 43 % des répondants voient comme un défi majeur. Environ la moitié des experts citent des préoccupations sanitaires et l’orientation vers des boissons alternatives comme moteurs de la déconsommation.
Améliorations perçues en 2024
Tout n’est pas négatif pour autant. A titre d’exemple, les producteurs au Portugal et dans le Nouveau Monde ont rapporté une amélioration significative de la conjoncture économique en 2024 par rapport à 2023. Et pour 2025, ces mêmes régions ainsi que l’Espagne et la France se disent optimistes, contrairement aux producteurs en Italie, en Autriche et en Allemagne qui prévoient une conjoncture moins favorable cette année. Du côté de l’aval, la plupart des pays ont observé une amélioration, certes modeste, de leur situation économique en 2024. Pour cette année, les détaillants et le secteur CHR en Europe du Sud, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni/Irlande expriment des attentes positives, tandis qu’en Autriche, Suisse, Europe de l’Est et Allemagne, les professionnels sont plus mesurés.
La premiumisation au point mort ?
Dans son enquête, ProWein a interrogé les opérateurs sur l’avenir de la premiumisation. Seuls les détaillants aux Pays-Bas et en Allemagne s’attendent à un développement de la part de marché des vins premiums et super premiums. En revanche, en Amérique du Nord, Autriche, Suisse et Scandinavie, on prévoit une régression de ces segments, qualifiés globalement de 10€ ou 30$ et plus pour le premier et de 50€ et plus pour le second. Une majorité de détaillants et de professionnels du CHR prédisent l’augmentation de la part de marché des vins d’entrée de gamme, notamment en Autriche/Suisse, au Royaume-Uni/Irlande, en Scandinavie et en Allemagne. Fait intéressant : parmi les principaux facteurs permettant de promouvoir une image premium ou super premium, le terroir et l’origine des vins figurent plutôt en bas de la liste. « Le côté technique devient de moins en moins important », acquiesce Piero Mastroberardino, à la tête d’un domaine de 260 hectares en Campanie et par ailleurs vice-président de Federvini. « Tout est question d’occasion de consommation, de marketing expérientiel et d’aspiration », abonde Maren Lahm, responsable marketing chez Henkell-Freixenet, citant le cas du Champagne. « En dégustation à l’aveugle, le Champagne, effervescent de rêve par excellence, n’est pas le plus apprécié. C’est le Prosecco qui séduit le plus grand nombre ».
Dans tous les cas, 50% des professionnels en aval estiment que le positionnement prix des vins super premium a atteint des niveaux insoutenables, limitant leur potentiel de croissance, et le même pourcentage considère que les vins premium et super premium ne résistent pas à des crises économiques.
Les « low » priment sur les « no »
Outre le positionnement prix, certaines catégories sortent du lot quant aux attentes commerciales pour 2025-2026. Il s’agit principalement des vins blancs, effervescents et faiblement alcoolisés (73%, 71% et 65% des répondants respectivement). « Les rosés semblent avoir atteint un palier sur bon nombre de marchés », pointe Simone Loose. Il est à noter que les vins entièrement désalcoolisés (38%) génèrent moins d’attentes que les vins faiblement alcoolisés en matière de performance, même s’il existe des variations régionales : « Cela revient à se demander qui de l’œuf ou de la poule apparut le premier », estime Maren Lahm. « Même si beaucoup d’efforts y sont consacrés, personne n’a encore réussi à élaborer un produit 0% premium. Si tel était le cas, le développement s’en suivrait ».


De son côté, Piero Mastroberardino estime que la problématique du sucre résiduel dans les vins désalcoolisés « va rouvrir le débat santé ». Un débat qui fait actuellement rage à certains niveaux et inquiète la filière internationale. « Il est difficile ne serait-ce que de lancer la discussion », affirme le producteur italien. « Lorsque nos marges le permettent, nous pouvons discuter à travers nos lobbies mais actuellement nos marges sont très limitées ». Dans tous les cas, Piero Mastroberardino estime qu’il faut un changement de braquet : « Jusqu’à présent, les lobbies ont prôné une approche discrète sur les questions de santé, mais désormais nous devons communiquer fortement sur nos valeurs. Sans doute que nous devrons investir davantage dans la recherche, non pas à un horizon lointain mais dans les mois qui viennent car les études actuelles manquent visiblement d’objectivité ».
Des « chevaux de Troie »
Enfin, quant aux supports marketing les plus pertinents pour communiquer sur les nouveaux produits, le marketing expérientiel (dégustations, expériences axées sur la marque), des messages simplifiés et les réseaux sociaux/marketing digital sortent en tête. Maren Lahm signale l’utilité des vidéos et autres supports animés : « Avec les téléphones mobiles, cette approche est moins coûteuse et plus facile qu’on ne le pense. Oubliez les vieux spots télévisés. Il y a beaucoup de contenu intéressant dans les domaines et le rendu n’a pas besoin d’être parfait. C’est l’authenticité qui prime aujourd’hui. On peut l’aborder de manière décomplexée ». Piero Mastroberardino prône une autre solution : « Nous devons recruter l’aide de nos enfants pour comprendre les codes des jeunes consommateurs. Nous pouvons les utiliser comme des « chevaux de Troie » pour pénétrer l’esprit de jeunes n’ayant aucune sensibilité aux vins ».