défaut d’être marquée par des annonces ministérielles, l’inauguration du salon Vinitech ce mardi 26 novembre à Bordeaux était frappée par le froid constat chiffré de la déconsommation en France et de ses ressorts sociaux : un état des lieux en forme d’état des vieux consommateurs. Les moins de 45 ans représentent 30 % des consommateurs de vin alors qu’ils pèsent pour les deux tiers de la population alerte Martin Cubertafond, maître de conférences à Sciences Po et consultant en stratégie, qui assume de brosser un tableau assez glaçant du marché français (prévision de -22 % de la consommation entre 2022 et 2034), mais aussi mondial (-5 milliards de bouteilles vendues en 6 ans avec l’arrêt de la croissance des États-Unis et l’effondrement de la Chine). Si la filière vin a tendance à voir le verre à moitié vide actuellement, il est possible de voir les causes de la déconsommation comme des opportunités de rebond nuance Krystel Lepresle, la déléguée générale de Vin & Société, introduisant la conférence avec l'objectif de considérer le verre à moitié plein.
Avec des consommateurs de plus en plus âgés, Martin Cubertafond appelle la filière à innover et à ne pas jeter le pépé avec l’eau du vin mais à réussir un numéro d’équilibre entre tradition et innovation. Soit « faire plaisir au public des plus de 45 ans (qui paient vos factures et vont encore le faire longtemps) » tout en attirant « les jeunes pour avoir des relais de croissance ». Un défi de taille alors que les gens du vin sont souvent traditionnalistes dans leur approche : avec des réactions très défensives et dénigrantes sur tout ce qui ne tient pas du canon vitivinicole traditionnel. « Vins nature, vins aromatisés, vins désalcoolisés… Ce ne sont pas des gros mots » martèle Martin Cubertafond.


À être trop conservatrice, la culture du vin pourrait devenir réactionnaire prévient Gaspard Jaboulay, le directeur des études qualitatives d’Ifop Opinion. Notant que les personnalités associées aux vins sont soit mortes (le chef Paul Bocuse, les acteurs Jean Gabin et Louis de Funès…), soit associées à des valeurs nostalgiques (l’acteur Jean Dujardin pour son rôle d’OSS 117), l’analyste pointe que cette image d’une France surannée est utilisée par des influenceurs en bretelles et deux chevaux « montrant que le vin est une boisson de copains, de campagnes, simple, etc… Le problème, c’est qu’en tirant vers cette corde nostalgique, on tire un peu les imaginaires du vin dans un répertoire politique. »
Précisant sur ce sujet sensible qu’il s’agit encore d’« un signal faible », Gaspard Jaboulay pévient que « les comportements culturels des Français sont en train de se politiser énormément : prendre l’avion, acheter sur Amazon, manger de la viande rouge... Et les comportements alimentaires plus que les autres. » En témoignent les échanges sur le barbecue entre élus de la Nation ces dernières années. Pour « montrer que ce n’est pas tout à fait une vue de l’esprit », l’analyste cite un tag inscrit sur la vitrine d’un caviste à Paris cet été : « nique le vin, c’est de droite ». Même s’il est embryonnaire, Gaspard Jaboulay prévient que « cet imaginaire existe chez les consommateurs, il est en train de s’installer ».


Citant un graphique du directeur du département opinion de l’IFOP Jérôme Fourquet (« plus de 20 % des nouveau-nés en France ont un prénom arabo-musulman »), Gaspard Jaboulay pointe que « la France est en train de changer de visage » et que la filière vin doit se mettre au goût du jour. La bière le faisant, avec des représentations urbaines et diversifiées ajoute-t-il. Ce qui implique de conquérir de nouveaux territoires de consommation, lors des fêtes ou des concerts plaide Martin Cubertafond : « il ne faut pas se cacher derrière la loi Evin. Les bières ont la même loi et ils nous prennent des parts de marché ». S’il est plus simple de conseiller que d’agir, les deux consultants listent de concert les feins que la filière vin doit lever pour s’adresser aux jeunes consommateurs qui feront son avenir.
Cela commence par ouvrir le monde du vin en le rendant moins intimidant, par exemple en proposant des moments d’apprentissage par l’événementiel et l’œnotourisme, qui relient aussi la dégustation de vin à des instants créant de l’investissement émotionnel. Cela passe aussi par une refonte du packaging, avec de nouveaux formats, plus individuels et nomades, mais aussi plus instagrammables (par l’étiquette, la forme, les couleurs, etc.). Proposer de nouveaux profils de vins, s’adaptant aux plats à la mode : des cuisines du monde à la street-food. Donner une vie au vin sur les réseaux sociaux pour alimenter un nouvel imaginaire du vin, moderne et accessible. Plaidant pour une nouvelle grille de lecture, Martin Cubertafond appelle les opérateurs du vin à « ne pas voir que la menace dans l’avenir, mais imaginer les opportunités : ne pas jouer seulement défensif, être dans l’attaque ».