C’est un phénomène nouveau. Depuis trois à quatre ans, j’ai dû apprendre à traiter les précipitations calciques », pose Roselyne Came Pinos, Å“nologue-conseil chez Œno Gers à Gondrin. Augmentation des pH, récolte à des maturités plus avancée, recours aux CMC et au polyaspartate de potassium pour la stabilisation tartrique, mises plus précoces : les causes de cette recrudescence sont multifactorielles [voir encadré]. Comment savoir si son vin présente un risque ? « Le problème, c’est que les teneurs en calcium des moûts ou du vin n’ont pas de valeur prédictive sur le risque de précipitations calciques. On observe aujourd’hui une frénésie autour de valeurs au-dessus desquelles il faudrait traiter. Certains acheteurs imposent ainsi une teneur maximale de 50 mg/l dans les vins. Cela n’a pas de sens », s’insurge Daniel Granès, directeur scientifique de l’ICV. Bertrand Robillard de l’IOC est du même avis : « La teneur en calcium ne suffit pas à prédire le risque. Il y a une multitude de variables cachées qui interviennent. En 2023, j’ai eu le cas de précipitations calciques dans un vin à 53 mg/l de Ca. » Le laboratoire de l’IOC a travaillé sur l’adaptation au calcium de CheckStab, une méthode prédictive d’instabilité tartrique. « Nous l’avons testé sur 45 échantillons de blancs et rosés. La prédiction s’est révélée exacte pour 43 d’entre eux. Ce test de TSTCa (température de saturation d’un vin vis-à -vis du tartrate de calcium) permet de déterminer en une heure dans quel niveau de risque d’instabilité se situe le vin : stable, sensible ou à risque. Il est proposé en routine à l’IOC depuis juillet dernier au prix de 86 € », détaille Fleur Marie-Saint-Germain, responsable R & D du laboratoire IOC.
Sur le terrain, en l’absence d’outil prédictif jusqu’ici, les Å“nologues composent à partir des données dont ils disposent. Roselyne Came Pinos préconise l’analyse de la teneur en calcium avant la mise en bouteille et prend en compte le pH et la teneur en alcool pour décider de la nécessité d’un traitement : « Pour des pH à partir de 3,4, je recommande un traitement à partir de 55 mg/l de Ca dans les vins rouges et rosés, et de 75 à 80 mg/l dans les blancs. » En Val de Loire, Paul de Surmont, directeur du laboratoire d’Å“nologie Litov, estime qu’il y a un vrai risque à partir de 80-90 mg/l pour les blancs et les effervescents et que ce risque s’accroît avec des pH supérieurs à 3,2. « Nous prenons également en compte le circuit commercial de la cuvée. Si la durée de commercialisation excède un an, nous recommandons l’analyse pour décider ou non d’un traitement. À ce jour, c’est environ 15 % du volume des vins de nos clients qui sont traités, essentiellement des effervescents », précise-t-il.
Plusieurs solutions existent pour traiter l’instabilité calcique. « Pour des instabilités légères, un passage au froid négatif avant la mise (avec ou sans crème de bitartrate de potassium) peut suffire : on peut perdre de 10 à 20 mg/l de Ca. L’ajout de crème de calcium en complément est une autre option pour les faibles instabilités pour un coût de 0,5 €/hl », détaille Paul de Surmont. Roselyne Came Pinos recommande l’ajout d’un tartrate de calcium, comme le Calcistab 2.0, sur des vins à une température de 10 à 15 °C, avec des remontages tous les quinze jours pour un coût de 3 à 4 €/hl. Autre solution, l’utilisation d’un mélange de tartrate de calcium micronisé et de crème de tartre, comme le Duostab qui permet la cristallisation des deux sels tartriques (potassium et sodium) en une étape. Le coût est de 5 à 8 €/hl pour le produit seul – selon la dose ajoutée –, sans compter le coût énergétique du refroidissement du vin entre -2 et 4 °C durant deux à cinq jours, selon les volumes à traiter. On peut aussi traiter à l’acide tartrique racémique afin de créer un sel de calcium qui cristallise. Le traitement doit être précoce, idéalement durant la FA pour que la cristallisation soit complète (prix 0,4 à 1 €/hl).
Des techniques physiques comme l’électrodialyse ou les résines échangeuses d’ions sont également utilisées, mais sont plus onéreuses. Paul de Surmont émet cependant des réserves : « Ça fonctionne très bien pour le potassium, mais nous avons eu quelques échecs avec le calcium sur des vins rouges. »
Pour les vins bio, aucun de ces traitements n’est autorisé. Nicolas Dutour recommande alors de profiter du froid hivernal et de l’élevage pour une stabilisation naturelle. Et, en cas de mise précoce, il suggère d’embouteiller de petits volumes destinés à une consommation rapide afin de limiter les risques de précipitations calciques, quitte à renouveler les mises.
Avec le changement climatique, les pH évoluent à la hausse. « Sur le colombard, nous avions des pH à 3,2, désormais on est plutôt entre 3,4 et 3,5. Nous avons même des malos qui partent spontanément sur nos blancs. Ces évolutions contribuent sans doute à la fréquence accrue des précipitations calciques », estime Roselyne Came Pinos, Å“nologue-conseil chez Œno Gers. Bertrand Robillard, consultant en Champagne, abonde en pointant un autre phénomène : « Les années chaudes favorisent les maturités plus avancées avec des teneurs plus réduites en acide malique. Or celui-ci chélate le calcium. Il y en a donc moins de libre apte à cristalliser avec l’acide tartrique. » Les Å“nologues pointent également l’utilisation des CMC et du polyaspartate de potassium pour la stabilisation tartrique. « Ces produits sont très efficaces pour éliminer le potassium sous forme de tartrate de potassium, mais n’ont pas d’effet sur le calcium. On peut supposer qu’en l’absence de potassium, l’acide tartrique réagit alors avec le calcium provoquant ces précipitations calciques. C’est une hypothèse qui reste à confirmer », avance Nicolas Dutour, des Laboratoires Dubernet. Enfin, les mises en bouteille précoces sont un autre facteur de risque, les vins étant alors privés du froid hivernal qui élimine le potassium et le calcium par cristallisation.