ans les vignobles de Bordeaux et du Sud-Ouest, cave coopérative rime de plus en plus souvent avec procédure collective. De la récente mise en redressement d’Univitis (Gironde et Dordogne) aux plans de sauvegarde d’Alliance Bourg (Gironde), du Brulhois (Tarn-et-Garonne), de Buzet (Lot-et-Garonne) et Saint-Sardos (Tarn-et-Garonne), les tribunaux de commerce mettent sous protection des structures aux histoires foncièrement différentes, mais dont les décrochages sont essentiellement économiques (avec la déconsommation, notamment des vins rouges) et climatiques (mildiou, sécheresse, grêle, etc.). « C’est compliqué pour tout le monde, coopération comme particulier » reconnaît Denis Baro, le président de la Coopération Agricole de Nouvelle Aquitaine. Estimant qu’il y aurait dix à quinze caves coopératives en difficulté dans la région, le viticulteur de l’Entre-deux-Mers (Gironde) note que la situation « s’aggrave vite ces derniers mois. Celui qui était en bonne santé tousse, celui qui tousse est malade, celui qui est malade meurt. »
Exemple avec la cave coopérative des Vignerons du Brulhois (40 adhérents pour 140 hectares) qui a soudainement été placée en procédure de sauvegarde ce 6 août par le tribunal de commerce de Montauban (Tarn-et-Garonne). Voyant s’effondrer rapidement ses ventes cet été (en juin-juillet notamment) alors que ses charges restent élevées (matières sèches, énergie…), que des encours bancaires pèsent (notamment un Prêt Garanti par l’État, PGE) et que les aléas climatiques s’enchaînent (depuis cinq ans, chaque récolte est plus faible que la précédente), la cave s’est retrouvée face au risque d’une impasse financière pendant les vendanges rapporte Delphine Leuillet, la directrice générale des Vignerons du Bruhlois (production de 800 à 900 000 équivalent cols pour un chiffre d’affaires de 2,5 millions d’euros).
« On est à jour de tous nos règlements aux fournisseurs. On a soldé le paiement des vendanges 2022. Celui des vendanges 2023 est bloqué comme il fait partie du passif » indique Delphine Leuillet, qui suit désormais le calendrier, contraint, de la période d’observation de six mois qui a été ouverte par le tribunal (et peut être renouvelée six mois). Le temps de mettre en place une stratégie de relance pérenne. Pourtant, la coopérative du Brulhois avait pris le virage de la modernisation de son offre : 51 % de sa production est passée en vins rosés l’an passé, son vignoble se blanchit avec le surgreffage de tannat en muscat, l’abaissement des degrés d’alcool avec une offre à 10°.alc, des vins pétillants… « On avait anticipé pas mal de choses, mais on est une petite structure, fragile face à l’effet ciseau des baisses de récolte, de la déconsommation, de l’inflation… » analyse Delphine Leuillet.


« C’est ce que l’on dit depuis un petit moment. La coopération a une résilience assez forte, mais quand tous les leviers sont tirés, ça ne peut pas tenir » pointe Ludovic Roux, le président des Vignerons coopérateurs d'Occitanie. Pour le vigneron des Corbières (Aude), « beaucoup de caves coopératives sont à la limite de craquer. Après 2 récoltes mauvaises sur 3 ans pour de nombreuses régions, c’est explosif. Nous avons des situations irréversibles. » De quoi appuyer le besoin urgent d’avancer sur l’arrachage, a priori scindé en deux temps : une première phase définitive sur fonds nationaux avant un dispositif temporaire géré à l’échelle communautaire. « Il faut aboutir pour la nouvelle campagne de la Politique Agricole Commune (PAC) ce 15 octobre. On a des situations dramatiques dans beaucoup de territoires. On peut toujours débattre si l’arrachage sera une solution suffisante. Mais l’arrachage aura le mérite d’exister après les vendanges. Les gens ne seraient pas en capacité d’attendre quand ils ne peuvent pas payer leurs factures et remplir le frigo » prévient Ludovic Roux, qui reconnaît n’avoir « jamais été grand supporteur de l’arrachage comme solution économique, mais il faut trouver une porte de sortie pour les gens à bout ».
« Ma crainte c’est qu’après l’arrachage ça va être pire pour tous les adhérents qui restent » prévoit Denis Baro, la baisse de la production apportée aux caves réduisant mécaniquement de diviseur de charges des caves à l’hectolitre : « je suis persuadé que tout le monde ne va pas pouvoir tenir sans dégâts. Je regrette que l’on n’ait pas restructuré le tissu coopératif avant. Je crains que l’on ne subisse les évènements. » Dans l’immédiat, les caves de Nouvelle Aquitaine vont dresser un état des lieux exhaustif de la situation pour se projeter. Pour Denis Baro, il faut accélérer la restructuration de l’outil de production : « il vaut mieux anticiper que de se laisser mourir de sa belle mort. Et ne pas oublier qu’il y a des adhérents derrière. »


Face aux futures primes à l’arrachage (prévues à 4 000 €/ha pour l’outil définitif, 2 500 €/ha pour la version temporaire), Delphine Leuillet voit « une épée de Damoclès post-vendange. Ces primes vont faire se décider ceux qui sont encore indécis. Il y a profond malaise d’être la génération qui sacrifie le vignoble des parents/grands parents. Beaucoup n’arrivent pas à se décider. Ce qui explique les chiffres du sondage d’intention d’arrachage de FranceAgriMer en dessous des prévisions. Ce manque de vision ne permet pas d’être serein pour repartir. » Malgré les incertitudes, les adhérents et permanents de la cave sont « combatifs et soudés. On se mobilise pour agir positivement, sans cacher nos problèmes. Ce n’est que le début, il y a un risque d’effet domino qui va fragiliser toutes les structures de la filière (fournisseurs, prestataires…). »