e millésime 2024, des caves coopératives vendangent les difficultés financières, avec l’ouverture de procédures de sauvegarde ou de redressement. Constatez-vous une fragilité exacerbée dans la coopération viticole ?
Joël Boueilh : Tout arrive à un moment où les difficultés s’accumulent depuis plusieurs années. Les caves coopératives font le tampon et protègent au maximum les vignerons, mais finissent par se mettre elles-mêmes en danger. Il y a des problèmes aux deux bouts de la filière : les difficultés de commercialisation sont là pour les coopératives, les vignerons sont en difficulté avec leurs productions. Les caves coopératives font l’élastique entre les deux bouts. On a vu les premières grosses cassures d’élastique ce printemps et cet été. On s’y attendait, je ne vais pas faire la vierge effarouchée.
Avez-vous une vision chiffrée de ces difficultés, une cartographie de leur répartition ?
On peut dire que le Sud de la France est particulièrement fragilisé. On peut plus largement dire que tous les bassins de production en vin rouge sont fragilisés. On commence à voir apparaitre d’autres structures, d’autres régions, d’autres couleurs, qui montrent des signes inquiétants ou nous le disent en aparté. Si le marché n’évolue pas positivement, d’autres difficultés apparaîtront. C’est une période délicate d’entre-deux. Les vignerons sont nécessairement demandeurs de meilleure rémunération pour leur production, alors que les marchés ont du mal à répondre positivement. Et ce de façon générale, toute la viticulture souffre et patine. Dans tous les bassins, il y a inévitablement des structures qui ont des fragilités plus marquées par le sociétariat, l’organisation, les marchés historiques… Des signaux préoccupants apparaissent de façon régulière aujourd’hui.
Dans cet entre-deux, 2024 pourrait-il être le millésime charnière pour la relance de la filière ou devenir une année de bascule vers un plan social et de profondes restructurations ?
Traditionnellement, les vignerons ont produit des vins accrochés à un terroir dont on est fier, avec un attachement à une culture d’entreprise. Nous sommes à ce moment charnière où l’on va devoir lever certains carcans que l’on s’impose en se disant que l’on fait tout, tout seul dans sa cave. Ce sont des freins psychologiques et culturels pour être capable de se parler sur les territoires et mettre à disposition des outils. Il est dommage qu’une cave bien équipée n’arrive pas à remplir ses outils à cause de la météo ou de son sociétariat, alors qu’à côté une cave qui marche bien commercialement ait des outils vieillissants. Commençons par mutualiser les outils existants, sans forcément parler de fusion ou d’absorption. Car surinvestir à un tel moment, ça se paie.
Nous sommes à un moment de bascule ou tout un travail de fond va devoir être mené. Le sujet de l’arrachage va arriver et impacter certaines structures plus que d’autres. Le sujet de la restructuration des entreprises va devoir être pris à bras le corps : c’est possible et c’est une voie pour continuer à exister sur les territoires avec le soutien des pouvoirs publics et des conseils régionaux. Ce sont des entreprises vitales pour certains territoires. Le sujet doit être pris à bras le corps par les vignerons et leurs caves coopératives. C’est un sujet fondamental. Dieu sait qu’il existe des guerres entre villages avec un passif important, mais le sens des responsabilités est de savoir passer au-delà des divergences passées. On parle de l’avenir de la viticulture dans certaines zones. On est dans ce moment.
Vous parlez de surinvestissements. On entend des critiques de grossissements disproportionnés de structures coopératives poussés par les aides disponibles plus qu’une stratégie réalistes…
Quand on a touché l’aide, il reste 70 à 80 % des sommes à financer : l’aide ne fait pas tout, il faut autofinancer l’investissement, qui ne peut pas être inconséquent. Je crois que nous avons des gens raisonnables dans les coopératives, qui investissent au plus juste. On n’investit pas pour le plaisir des aides.
Avez-vous espoir que la petite récolte qui s’annonce permette un rétablissement des cours du vin ?
Malheureusement, ça fait 10 ans que la météo gère les marchés du vin. Quand la météo ne l’a pas réussi, ce sont des distillation et mesures de crise qui sont mises en place pour essayer de passer ces chocs. Ce dont on a manqué le plus [dans la filière], c’est d’une vision prospective pour faire évoluer pratiques les vignobles et les chais pour s’adapter à une demande qui évolue encore plus vite depuis l’après-covid. La vigne et les vignerons ne sont pas armés pour évoluer à cette vitesse, on a pris du retard sur les 3-4 dernières années. Nous devons faire évoluer le goût du vin avec le marché, où le moment de consommation change, la gastronomie évolue… Il faut être en phase de ces changements. On doit redonner envie à nos jeunes de boire du vin. Tout passera par là. Peut-être que ce sera avec des vins différents, sur d’autres moments de consommation. Ça fait partie des carcans à lever : se dire que les vins que nous produirons demain n’auront peut-être rien à voir avec ceux que nous avions l’habitude produire. Nous n’allons pas nous renier complément, il faut toujours produire le vin que l’on aime et qui plait à certains consommateurs, mais on se doit d’évoluer, sinon on va dans mur.
Alors que la filière espère une hausse des cours, on voit des prix vente en catalogues de Foire Aux Vins particulièrement bas, notamment chez Lidl.
La façon dont sont présentées les Foires Aux Vins sont indécentes et choquante. Communiquer sur le prix de la deuxième bouteille à -50 % par rapport à la première, ça me parait fou. Avec des niveaux de prix de vin qui ne permettent pas de vivre décemment alors que les charges augmentent et que les rendements baissent… L’équation ne tient plus debout. Les prix doivent remonter, ce sera un travail de longue haleine alors qu’il reste du vin dans les caves de vignerons et coopératives qui sont prêts à lâcher des volumes pour faire de la trésorerie. Ce système du bas prix est alimenté en permanence. Faire remonter les prix ne sera pas magique, ça ne se fera pas du jour au lendemain. Malgré la petite récolte, la hausse du prix ne sera pas en rapport [avec la perte de production]. Nous aurons à inventer une façon de délester le marché et les chais des volumes qui ne sont plus marchands. Qui n’ont plus de raison d’être. On connaît les bas prix de l’utilisation industrielle, un système pourrait être inventé pour créer une solidarité de filière : payer collectivement pour que certains dégagent des volumes sans peser sur le marché.
Les réserves interprofessionnelles ne permettent-elles pas de réguler les volumes excédentaires sans coût ?
Les réserves sont des volumes qui restent sur le marché et reviennent. Je parle de faire dégager des volumes. C’est un sujet complexe à mettre en œuvre pour délester certains marchés. On se doit d’y réfléchir, on ne l’évitera pas.