Les vignerons expérimentés disent que c'est du jamais vu depuis 30 ans". Audrey Cellier, de la chambre d'agriculture de l'Yonne, retrace la saison 2024 d'une voix lasse. À Chablis, appellation locomotive du département, les chardonnays subissent les ravages du mildiou. "Les dégâts sont très variables, mais certaines vignes n'ont plus de raisin". En cause : une pluviométrie record. "On a eu 500mm depuis avril, 150mm rien que pendant la floraison. En gros, il a plu un jour sur deux", se désole la technicienne.
Une pression telle qu'aucun vigneron n'a été épargné. "Même en conventionnel, même avec une qualité de pulvérisation impeccable, on n'en sort pas indemne." Les bios sont particulièrement touchés. "Ils ne comptent ni les quantités de cuivre, ni le nombre de passages cette année... Il a parfois fallu traiter deux fois la même semaine avec un chenillard".


Laurent Pinson, viticulteur sur près de 14 ha dans l'appellation, confirme. "Avec l'humidité constante dans les parcelles, la moindre chaleur entraine un développement fulgurant. On a pas eu le temps de respirer. Je suis déjà à 12 traitements fin juillet. Je n'ai jamais fait ça". Avec le recul, ce producteur labellisé Haute Valeur Environnementale (HVE) estime "qu'il aurait fallu utiliser des produits plus robustes en début de saison", tout en reconnaissant "que ç'aurait alors été difficile de rester dans les limites réglementaires". Dans son parcellaire, il remarque que "les vignes grêlées ont subi plus d'attaques sur feuilles, tandis que dans les vignes épargnées ont a plutôt vu des attaques foudroyantes sur grappes".
Car Chablis n'en est pas à sa première calamité cette année : la grêle avait touché environ 50 % du vignoble début mai, avec des dégâts allant jusqu'à 100 % dans certains secteurs. Sans compter la coulure et le millerandage. "Deux phénomènes intenses cette année, car la floraison s'est déroulée en conditions particulièrment pluvieuses et fraîches. Les pertes de récolte ne seront seulement à attribuer au mildiou". Et ce n'est pas fini. "L'oidium peut encore se montrer. Et le risque botrytis est très élevé dans les secteurs historiques et à fort potentiel de récolte."


Difficile à ce stade d'estimer les pertes de récolte potentielles. Mais il s'agira dans tous les cas "d'une année maigre", regrette Laurent Pinson. Sans compter "l'hétérogénéité induite par la grêle, qui risque d'allonger le chantier de vendange". D'un naturel positif, le chablisien souligne que "côté stocks, nous pourrons heureusement compter sur les très généreux millésimes 2022 et 2023." Mais parmi ses confrères, certains sont abattus. "C'est dur de voir sa récolte maigrir de jour en jour alors qu'on travaille plus que d'habitude", rapporte Audrey Cellier. "Sur des parcelles à 10 ou 15% de récolte, certains ne vendangeront pas, car ils ne rentreront pas dans leurs frais". Ici, beaucoup de vignerons n'ont qu'une hâte : "partir en vacances pour voir autre chose que de la vigne".