ne salle comble ce jeudi 4 juillet au domaine de Manse, le siège des vins Pays d’Oc IGP à Lattes (Hérault), a réaffirmé, s’il le fallait, que la catégorie du no-low a le vent en poupe, perçue au sein du secteur comme un moyen de susciter de l’innovation dans le monde du vin et, pourquoi pas, de recruter de nouveaux consommateurs. Dans le premier cas, Jean-Philippe Braud, fondateur de la cave sans alcool Gueule de Joie à Nantes, acquiesce : « L’offre est dynamique. Le vin est très novateur alors que le marché de la bière sans alcool a tendance à s’essouffler. Nous sommes aux prémices du marché avec beaucoup d’innovation ». Un sentiment partagé par Karine Herrewyn, directrice générale de Vivelys : « Ces derniers mois, pas un mois n’est passé sans qu’il n’y ait eu de lancement d’une nouvelle marque no-low ».
Phénomène de cannibalisation ?Pour ce qui est du recrutement de consommateurs hors de la sphère vin, la réponse est moins catégorique. Si Jean-Philippe Braud affirme que « le vin sans alcool est une autre proposition de valeur, il ne s’agit pas de vin », d’autres interlocuteurs comme Mathilde Boulachin, co-fondatrice et dirigeante de la maison Pierre Chavin à Béziers, estime qu’il faut « une culture vinique pour consommer les alternatives », mais se défend du remplacement du vin par des versions sans alcool : « Nous n’avons pas vocation à prendre des parts de marché aux vins. C’est comme le choix entre un café et un décaf’ », évoquant différentes occasions et une consommation « hybride ». Sébastien Thomas, fondateur de Moderato, qui souhaite construire une marque référence dans le domaine des vins sans alcool, note que « Le cœur de cible sont ceux qui aiment le vin. 55 % des consommateurs de vins sont très intéressés par les vins sans alcool », tout en demandant qu’ils soient qualitatifs. Et dans un commentaire récent sur LinkedIn, Arnaud Calvet, fondateur de Sanzalc.com estimait même que « les consommateurs de vin désalcoolisé… ce sont à +75 % des…buveurs de vins qui veulent modérer leur consommation d’alcool et de sucre, tout en préservant les moments de convivialité ».
Positionnement difficile
Pour le sucre, ce n’est pas certain que le vin sans alcool puisse répondre aux attentes puisque selon les recherches menées à l’école d’ingénieurs de Purpan, beaucoup de vins sans alcool affichent un taux de sucre autour de 40g : « Cela peut constituer un frein, même s’il y a moins de calories », reconnaît le chercheur Olivier Geffroy. Certaines techniques, comme l’utilisation de « boisé absolu » développé par Vivelys, pourront servir à réduire la teneur en sucre tout en assurant un meilleur équilibre des différents composés du produit. Mais il y a d’autres obstacles à surmonter. Outre les questions de qualité – où il y a beaucoup de disparités au sein de l’offre – la lisibilité de la gamme nécessite d’être améliorée. Pour sa part, Jean-Philippe Braud, qui propose une centaine de vins sans alcool dans sa boutique et des corners chez V and B dans plusieurs villes de France, estime qu’il faut « s’assumer en tant que tel et ne pas proposer des boissons sans », tout en notant que « le consommateur français est encore attaché aux codes de l’alcool ».
Au-delà des débats sémantiques, voire philosophiques, certains acteurs du marché se montrent très pragmatiques dans leur démarche. C’est le cas de la maison François Lurton qui ajuste son offre en fonction des différents marchés, et attend que la catégorie fasse ses preuves. « Nous avons commencé avec des produits à 5,5 %, pour répondre à la demande de certains marchés à monopoles car la vente en supermarchés à ce taux d’alcool est possible », précise Xavier-Luc Linglin, directeur général de la société. Lorsque cette offre a stagné, et que les monopoles ont rehaussé le taux d’alcool autorisé en supermarchés à 8 %, le profil des produits a évolué. « Nous avons relancé en fin d’année un 0 %, qui représente 0,8 % soit 600 hectolitres de vins sur notre volume total de sauvignon, sous la marque Les Fumées Blanches », explique l’œnologue et responsable technique, qui souligne toutefois : « Si cela ne fonctionne pas, on arrête ».
Seuil psychologique versus premiumisation
Les Fumées Blanches, positionnées autour de 10-12 euros, se commercialisent uniquement chez les cavistes et dans le circuit CHR, à l’instar de bon nombre de marques présentes sur ce segment. « La catégorie doit passer par la premiumisation », insiste Mathilde Boulachin, dont la société commercialise plus de 2 millions de bouteilles de vins sans alcool dans 65 pays pour un chiffre d’affaires de 13 M€, en croissance à deux chiffres par an. Avec près de 15 ans de recul sur la catégorie, elle estime que « la construction de la valeur ne se fera pas en grande surface. Il faut passer par le haut de la pyramide et descendre ». C’est là aussi que le bât peut blesser : les résultats d’un focus group organisé au sein de l’école d’ingénieurs de Purpan, présentés par Maeva Podworny, montrent que le prix que les répondants étaient prêts à dépenser sur une bouteille de vins sans alcool était plus faible que pour les références classiques. Il faut dire qu’il y en a pour toutes les bourses : un exercice de benchmarking conduit par Purpan a montré que les prix s’étalent entre 3,99 € et 75 € la bouteille, dont 50 % entre 7 et 12€ et une moyenne de 10 €.
Le manque de désalcoolisateurs
Enfin, autre pierre d’achoppement : la distance parcourue par les produits en raison d’une pénurie d’installations techniques en France. « Les allers et retours à l’étranger ne sont certes pas très écologiques mais on est obligé de faire avec », confirme Mathilde Boulachin, qui cite la Belgique, l’Espagne et l’Allemagne comme précurseurs en matière de désalcoolisation. « On manque cruellement de désalcoolisateurs », confirmait récemment Frédéric Chouquet-Stringer, le fondateur de Zénothèque, sur LinkedIn, citant une « standardisation des vins désalcoolisés » comme conséquence.
Ce n’est pas l’eldorado
La situation est toutefois en train d’évoluer. A titre d’exemple, Moderato aura bientôt finalisé son centre de désalcoolisation dans le Gers en collaboration avec Vivadour : « Le centre sera prêt en octobre et sera ouvert à tous », précise Sébastien Thomas. « Les investissements et le maillage sont en cours en France », confirme Mathilde Boulachin. Certaines structures coopératives comme Rhonéa ont investi dans des installations de désacoolisation – avec des lancements de produits prévus début 2025 – et des constructeurs comme Pera-Pellenc développent du matériel. Le segment des sans alcool « n’est pas l’eldorado. On ne résoudra pas tout avec les vins désalcoolisés », a souligné Mathilde Boulachin. Mais, comme on l’a martelé Xavier-Luc Linglin : « Si le vin se vendait bien et qu’on en manquait, on serait en train de planter et pas d’arracher ».