appel des faits
Benjamin Bories et Florent Allier, deux vignerons languedociens, sont attendus en audience ce matin 16 juillet par le tribunal judiciaire de Montpellier pour violation de propriété privée le 6 avril dernier au domicile de Jacques Gravegeal, le président du syndicat de Pays d’Oc IGP, également maire de la commune où il réside, Campagne (Hérault). Figure du vignoble languedocien, Jacques Gravegeal a déposé plainte après l'intrusion de vignerons à son domicile.
Après 24 heures de garde à vue ce 22 juin avec d’autres vignerons du Gard et de l’Hérault, Benjamin Bories et Florent Allier sont sortis libres, sous contrôle judiciaire limité. Le premier a reconnu sa présence le 6 avril au petit matin, alors que Florent Allier la nie
8h30 : une manifestation de soutien devant le tribunal judiciaire
Progressivement une quarantaine de viticulteurs languedociens se réunissent devant les grilles du nouveau palais de justice pour soutenir de nouveau les deux prévenus.
8h45 : Arrivée des prévenus
Père de Benjamin Bories, Martial Bories, le président de la cave de l’Occitane, indiquait la veille protester contre des accusations ne tenant pas face à la légèreté des faits (pas de menaces ni de violence martèle-t-il). Incontournable fil rouge des contestations viticoles du début d’année autour de Béziers (après l’opération des caddies de Noël et les manifestations devant Castel et Grands Chais de France), le viticulteur héraultais dénonce un procès sans fondement, aussi vide que les aides apportées aux viticulteurs à la veille des vendanges 2024.
9h : Début de l’audience à juge unique devant la chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Montpellier
Les autres affaires examinées par la juridiction concernent des appels téléphoniques malveillants, un outrage à personne dépositaire de l’autorité publique, violence par une personne en état d’ivresse…
9h03 : Les époux Gravegeal ne se portent pas partie civile
Florent Allier et Benjamin Bories sont appelés par le président à la barre pour une violation de domicile des époux Gravegeal le 6 avril à Campagne (« introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menace, voies de fait ou contrainte »). Par leur avocate, les époux Gravegeal indiquent ne pas se porter parties civiles. Ils sont absents de l'audience.
9h06 : Demandes de nullité
Maître Chris Baptiste, l’avocat de Benjamin Bories, attaque le fait que le parquet ait avisé son client d’une audition libre le 21 mai de la gendarmerie de Saint-Georges-d’Orques pour être immédiatement placé en garde à vue « avant qu’on lui demande son identité. C’est déloyal. Le règles de la procédure pénale ont été détournées. »
Maître Gilles Gauer, l’avocat de Florent Allier, reprend ses exceptions de nullité, en les élargissant comme il estime que « la totalité de la procédure et de la poursuite est entachée de nullité. Le sujet, c’est que dès la première page de la procédure, on sait qu’il n’y a pas d’infraction qui fonde les poursuites. Dès la première ligne, on sait que certaines personnes sont rentrées sur la propriété, de celui qui ne s’est pas portée civile, sans dégradation, comme la sonnette est sur un second portail. Ce n’est pas une violation de domicile. Il n’y a pas de menace, voies de fait ou contrainte. » Pour l’avocat, « les personnes sont rentrées sans contrainte, sans dégradation. Et ceux-là repartent en refermant le portail. Ce qui est poursuivi, c’est tout autre chose. C’est la qualité d’élu de la personne concernée comme la supposée victime. » Jacques Gravegeal étant maire de Campagne (Hérault), « mais en lisant le dossier, au bout d’un long moment on voit qu’il ne s’agit pas de ça mais d’actions syndicales » Jacques Gravegeal étant président de l’ODG de Pays d’Oc. « Faute d’infraction, le fait d’avoir diligenté une procédure, y compris la décision de poursuite, est entâché de nullité » conclut l’avocat.
9h23 : Le tribunal ouvre le dossier
Le président reprend les faits : « à 9h le 6 avril, les gendarmes ont été avisés d’une violation de domicile chez Jacques Gravegeal, maire de Campagne et président du syndicat des producteurs de Pays d’Oc. A 6h du matin, les époux ont entendu un bruit dans le jardin. Jacques Gravegeal a regardé discrètement dans la cour. Son épouse s’est adressée à eux par la fenêtre de la salle de bain, ils ont dit qu’ils voulaient parler à Jacques Gravegeal, elle leur a répondu qu’il n’était pas là, ils sont partis en fermant portail, sans dégradation. »
Notant que les images de vidéosurveillance ne permettent pas d’identifier formellement les personnes présentes, le président indique qu’il y a une dizaine d’individus présents et 5 à 6 véhicules. Interrogé, Jacques Gravegeal fait part de soupçons (concernant Jean-Marie Trémoullet et Florent Allier), ainsi que des pistes sur des délégués évincés de Pays d’Oc (Gérard Bancillon et Martial Bories notamment). Le bornage téléphonique n’excluant pas la présence de Florent Allier sur les lieux des faits, sa possession d’une voiture particulière (un pick-up orange) comme repéré sur les vidéos (ce que conteste son avocat). Pour Benjamin Bories, une vidéo de l’autoroute et un bornage indique sa présence. Que Benjamin Bories reconnaît, évoquant dans la procédure « un baron » et rappelle lors d’une discussion tendue à la coopérative que Jacques Gravegeal était « ouvert à la discussion » et s’est rendu à son domicile, a attendu au portail, est rentré et face au refus est reparti.
9h30 Interrogatoire de Benjamin Bories
Le président lui demandant qui sont les deux personnes dans le fourgon, Benjamin Bories répond : « je ne connais pas leurs noms ». Le viticulteur de 40 ans explique être venu « pour s’expliquer sur les problèmes viticoles ». Grinçant, le président demande si « venir à 6h du matin c’est le bon moment pour parler des problèmes viticoles ? » Benjamin Bories lui disant que les vignerons commençant dès potron minet leurs journées, le président répond « j’imagine bien que dans votre métier on se lève tôt. Mais ce n’est pas une heure pour discuter. »
De manière générale, « vous imaginez la personne qui ouvre sa fenêtre et voit une dizaine de personnes dans son jardin ? Ça peut impressionner. » Réponse de Benjamin Bories : « chacun a sa vision des choses ». Face à la durée du trajet depuis Servian, 2 heures aller-retour, le président se demande s’il n’aurait pas été plus pertinent de prévoir un rendez-vous. « La police le fait bien, je peux le faire » estime Benjamin Bories. « Si vous comparez vos propres pouvoirs à ceux exorbitants de la police, ça va poser problème » réagit le président, indiquant comprendre « la difficulté du monde viticole, mais si vous êtes assez motivé pour vous lever à 5h du matin pour voir M. Gravegeal à 6h… »
Interrogé par la procureure, Benjamin Bories déclare être rentré seul dans la cour, la dizaine d’accompagnateurs étant restés dehors. Pourquoi est-il rentré lui demande le ministère public ? « Il n’y avait pas de sonnette, j’ai franchi le portail : j’ai tapé à la porte. J’étais seul » précise le viticulteur. « Comment expliquez-vous qu’il y ait une dizaine de personnes dans sa cour pour madame Gravegal ? » poursuit la procureure. « Le groupe est resté à l’extérieur » maintient Benjamin Bories.
Dans son échange avec son client, maîtreChris Baptiste fait d’une « réunion imposée » une réponse à la proposition d’échanger lancée par Jacques Gravegeal. Quant à l’heure matinale, c’était pour être « sûr pour le trouver chez lui et pour faire la journée après » indique Benjamin Bories, indiquant que « c’est l’un de nos représentants, on crève et on demande des explications sans violence et sans hausser le ton ». Il n’y a pas eu de discussions houleuses valide le président.
9h40 : Interrogatoire de Florent Allier
Le président notant la présence d’un pick-up orange à proximité du domicile alors que le vigneron habite à quelques kilomètres, Florent Allier répond qu’il n’était même pas au courant de ce projet de discussion de Jacques Gravegeal. Mais qu’il aurait bien des revendications à porter : « les caves sont en train de couler, il faut faire quelque chose ». Si la téléphonie ne permet pas de prouver sa présence sur les lieux, elle ne l’exclut pas indique la procédure.
9h46 : Débat sur la crise viticole
« C’est la situation viticole qui pose problème plus que les personnes » relève le président de la chambre correctionnelle, alors que Jacques Gravegeal s’investit dans les instances : « ça peut être contreproductif quand on voit débarquer une dizaine de personnes chez soi pour faire un débat. C’est l’impression que j’ai quand l’investissement des gens et leur motivation sont essentiels dans le milieu associatif. » Le président les interroge sur les perspectives dans le vignoble. « La situation ne s’améliore pas, au contraire » rétorque Benjamin Bories. « L’arrachage, on y pense franchement. Plutôt que de devoir de l’argent à la banque. C’est très très compliqué » confirme Florent Allier.
9h52 : Réquisitions : relaxe pour Florent Allier, 3 mois avec sursis pour Benjamin Bories
« C’est un dossier qui a suscité et suscite aujourd’hui encore l’émoi dans la commune de campagne » amorce la procureure, demandant de sortir de l’émotion pour objectiver le dossier. Reprenant les déclarations, le ministère public indique que « le 6 avril 2024 à 6 heures du matin un groupe d’individus s’est introduit » au domicile des époux Gravegeal et que « la victime, l’épouse du maire, a entendu quatre coups à sa porte avant de constater la présence d’une trentaine d’individus dans sa cour. »
Concernant Florent Allier, la procureure considère que « les éléments ne sont pas suffisants pour soutenir la culpabilité » et « propose la relaxe ». Si des témoignages de voisins indiquent la présence d’un pick-up orange anormalement garé, « il n’y a pas d’identification possible comme il faisait encore nuit » et la section de recherche de Montpellier ne permet pas de trancher sur sa présence ou non.
Concernant Benjamin Bories, « les choses sont différentes, comme il reconnait s’être rendu à 6 heures du matin pour discuter dit-il » reprend la procureure, notant que « tout le débat porte sur la matérialité des faits d’infraction ». S’il n’y a « pas de menace, c’est certain. Il n’y a pas non plus de manœuvres, ni de voies de faits. Cela ressort des témoignages. Le portail n’était pas verrouillé, il n’y a pas de sonnette, il fallait pénétrer à l’intérieur de la cour pour sonner. Toutefois, monsieur Bories reconnait avoir pénétré dans cour. Il n’est pas concordant qu’il soit rentré seul quand l’épouse cite un groupe important d’individus dans sa cour » pointe à nouveau le parquet. Estimant que dans la jurisprudence « il est constant qu’un groupe de personnes vêtues de noir, certains munis de capuche, pénétrant dans une cour de nuit, ça constitue une intrusion de masse qui est intimidante. » Cela tient de la contrainte pour la procureure, même s’il n’y a eu aucune menace. Pour le ministère public, le tribunal « peut entrer en voie de culpabilité pour violation de domicile ». Quant à la peine applicable, la procureure requière une « peine pédagogique et d’avertissement » et propose « trois mois d’emprisonnement assortis de sursis simple » avec une « interdiction de comparaître au domicile de Jacques Gravegeal pendant trois ans ».
10h03 : Défense de Florent Allier
Validant la demande de relaxe pour son client, maître Gilles Gauer martèle qu’il est hors de cause, n’étant présent dans la procédure que parce qu’il « existe un désaccord syndical, professionnel : ce n’est pas délit, c’est droit de débattre et contredire celui qui exerce un mandat ». Relevant le manque de faits, l’avocat plaide à nouveau l’absence d’infraction comme lors de sa demande de nullité de la procédure.
10h09 Défense de Benjamin Bories
Rappelant la crise agricole du début d’année et « une crise viticole sans précédent » toujours en cours, maître Chris Baptiste évoque une réunion du 18 mars « sans débat possible » avec de jeunes viticulteurs durant laquelle Jacques Gravegeal « lance une invitation informelle » et « leur dit si vous voulez venir parler, venez. Donnant de la valeur à la parole, auelques jeunes viticulteurs ont pris le président au mot et sont allés discuter comme convenu. Parce que les viticulteurs se lèvent tôt et que le président est aussi maire, la discussion ne peut être que matinale » plaide l’avocat montpelliérain, pointant que les viticulteurs sont repartis immédiatement comme on leur a répondu que Jacques Gravegeal était absent, alors qu’« il était là. Il s’est tapi dans l’ombre et a refusé la discussion une fois de plus » assène l’avocat. Qui remet en question « la parole d’Evangile » de madame Gravegeal concernant la tenue vestimentaire des viticulteurs venus : « un homme entendu est le propre neveu de Jacques Gravegeal, on peut douter de son objectivité. Sollicité par les gendarmes sur les tenues noires et encapuchonnées avec la présence d’armes par destination des viticulteurs, il répond que non, ils étaient habillés comme des paysans ». Pour maître Chris Baptiste, les viticulteurs « ont tenté de discuter avec le président qui ne veut pas discuter ».
Dans le fond, l’avocat relève que pour caractériser le délit de violation de domicile, il faut un moyen anormal utilisé pour s’introduire dans le domicile sans y être invité. Après les réquisitions du parquet, il ne reste que la contrainte pour accuser Benjamin Bories : « le groupe était déjà rentré comme le portail était ouvert. On lui répond Jacques Gravegeal n’est pas là, alors qu’il est là. Il n’y a pas introduction sous la contrainte. L’infraction aurait pu être constituée par la persistance dans domicile : ce n’est pas le cas » déroule maître Chris Baptiste, martelant qu’il n’y a « aucun élément pour caractériser le délit ».
10h20 La séance est levée pour le délibéré du juge unique.
10h33 Le jugement est prononcé.
Le président annonce relaxer les deux prévenus de toutes fins de poursuite.
10h35 Sortie des deux vignerons relaxés
Accueillis par des applaudissements de leurs soutiens, les deux prévenus ne cachent pas leur soulagement. Avocat de Florent Allier, maître Gilles Gauer note que « sur le fond, nous étions surpris des poursuites. Nous sommes satisfaits que le parquet ait reconnu son erreur de jugement. Rien ne pouvait être poursuivi. » Relevant « les moyens exceptionnels mobilisés » pour cette affaire, le ténor du barreau montpelliérain souligne que cela sert son client : « ce n’est pas une relaxe au bénéfice du doute, mais la démonstration de sa parfaite innocence ». Pour Florent Allier, vice-président de la cave des Vignerons du Sommiérois, il ne reste désormais plus qu’une question à poser à Jacques Gravegeal : « où va-t-on maintenant pour sortir de la crise ? Qu’est-ce qu’il faire en tant qu’élu ? »
Pour Benjamin Bories, cette relaxe valide le vide des poursuites : « on n’a pas du tout à être là. On veut débattre, et pas dans un tribunal. » Que Jacques Gravegeal ne se porte pas partie civile permet de calmer le jeu pour le vigneron, qui indique vouloir parler et pas rentrer en conflit. Désormais, « il faut que l’on se rencontre tous pour faire avancer les sujets. Ce qui va être compliqué par les incertitudes actuelles sur le gouvernement » pointe Benjamin Bories, qui s’inquiète de l’impasse vers laquelle une partie du vignoble fonce entre les stocks en cave et l’imminence de la vendange du millésime 2024 : « les négociants laissent les caves pleines et viennent retirer quand les vignerons n’ont plus de trésorerie et cassent les prix. »
Benjamin Bories après sa relaxe ce 16 juillet.
Florent Allier remercie les soutiens présents devant le tribunal.