es raisins de la colère aux raisons d’espérer. Cinq orateurs ont planché sur ce thème lors du congrès de VinIGP le 13 juin à Arles. A commencer par Gérard Bancillon, le président de ce syndicat que Pays d’Oc, la principale IGP de France, a quittée depuis peu. Une séparation en pleine tourmente causée par de profondes divergences de vue. Quand Gérard Bancillon clame que la crise touche tous les vins rouges et qu’il faut arracher des vignes pour alléger l’offre, Jacques Gravegeal, le président de Pays d’Oc, estime que le marché s’est surtout détourné des rouges de Bordeaux et que les difficultés du Languedoc sont liées, pour l’essentiel, aux importations de vins d’Espagne dont une bonne partie serait frauduleusement francisée. Partant de là, le Languedoc n’aurait pas besoin d’arracher. Quoiqu’il en soit, cette brouille a éclairci les congressistes qui se sont retrouvés en petit nombre au domaine de Méjanes en Camargue.
Les raisons d’espérer ? A vrai dire, Gérard Bancillon n’en a évoqué que deux : l’une physique, la désalcoolisation partielle ; l’autre psychique, l’état d’esprit au sein des IGP qui n’est ni « fataliste » ni « résigné ». Et encore avec prudence s’agissant de la désalcoolisation :« Quel public sera intéressé par des vins à 6°? s’est-il demandé. Pas nous. Il faudra intéresser une nouvelle clientèle qu’on ne connait pas ».
Avant cela, Gérard Bancillon a dressé un tableau bien sombre de la situation actuelle. « Nous sommes dans le pire moment d’une crise qui couve depuis des années. Toutes les régions viticoles du monde sont touchées par la désaffection pour le vin. » Pour alléger les stock à l’approche des vendanges, le président veut que des vins puissent être envoyés à la distillation pour les biocarburants, ce que la réglementation interdit pour le moment. « J’ai porté trois fois cette demande, sans aucune réponse du ministre, a-t-il déploré. Je suis conscient que le prix sera ridicule, mais il faut sortir des stocks à deux mois des vendanges. »
Puis il a cédé la parole à ses invités. A commencer par Florian Ceschi, directeur du bureau français du cabinet de courtage international Ciatti. « Ce qui est positif, c’est la réouverture de la Chine à l’Australie. Depuis que c’est acté, en Australie les prix remontent. » De bon augure pour le « reste du monde. »
Cet expert constate l’extrême prudence des acheteurs. « Le négoce n’a pas de visibilité. Ceux qui passaient des contrats de 2500 hl, n’achètent plus que par 250 hl quand ce n’est pas par 60 hl. » Comme ces acheteurs ne s’embarrassent plus de stocks, ils veulent être servis dès qu’ils passent commande. « Aujourd’hui, il faut répondre en moins de 24 heures à une demande, adresser des échantillons en 3 à 5 jours et être prêt à charger à J+7, J+15 au plus tard », avance Florian Ceschi.
Après lui, Xavier Jungmann a livré plusieurs observations un peu à l’emporte-pièce. Pour cet expert de la grande distribution, il faut avoir à l’esprit l’émergence d’un nouveau public : les ménages composés d’une seule personne qui n’ont rien à faire de la bouteille de 75 cl et « qui ont une répulsion à boire du vin seul, raison pour laquelle la canette ne marche pas ». Si l’on a bien compris ses propos, il faut convaincre cette population que boire un verre de vin apporte un moment de détente, au même titre que le cannabis qui concurrence de plus en plus le vin aux Etats-Unis et en Allemagne.
Et pour décrocher des marchés en GD, « il ne faut pas seulement vendre du vin, mais aussi de la logistique, des mises en avant, des remises… » Autre conseil de Xavier Jungmann : « n’augmentez pas vos prix. Pour gagner de l’argent faites des cuvées éphémères. »
Pour Marion Cornille, 29 ans, cogérante du Mas de Rey, une exploitation de 100 ha à Arles « la GD a tout ce qu’elle veut. Si vous n’avez pas quelque chose de nouveau à dire, elle ne vous prend pas. Quand on y va avec nos vins d’appellation sans grand-chose de plus à dire, on en vient vite au prix. Les acheteurs veulent du prix, de la logistique et du service. »
Cette jeune femme vient de se regrouper avec cinq autres vignerons pour créer les Vins de Marion, une gamme aux étiquettes colorées, « instagrammables » et qui indiquent au consommateur « ce qu’il y a dans la bouteille en précisant deux caractéristiques du vin, par exemple léger et fruité », détaille-t-elle.
Dernier intervenant, Nicolas Ozanam, délégué général de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux a insisté sur le poids de l’exportation. A ses yeux, les marchés traditionnels n’offrent plus de grandes perspectives d’évolution. Il faut miser sur de nouveaux marchés, comme Singapour, les Philippines ou l’Indonésie, sachant qu’ils sont petits. Nicolas Ozanam plaide aussi pour l’ouverture des marchés. Il a rappelé que le Brésil prélève 30 % de droits de douane sur les vins français et l’Inde 150 %. Autant dire que ces immenses marchés sont fermés.
De ces interventions Gérard Bancillon retient « qu’il faut s’adapter au goût du client, se remettre en question sans arrêt. Pour cela, nous n’avons pas la lourdeur des cahiers des charges |des appellations, NDLR]. Nous sommes sur un créneau plus souple, plus apte à s’adapter » Donc trois raisons d’espérer pour les IGP, en fait, et pas seulement deux. Et un regret : celui d’être dans l’impossibilité ou presque de produire des effervescents en IGP. « Il faudra reprendre ce sujet avec les crémants. Il faudra demander un arbitrage au gouvernement », prévient Gérard Bancillon.