ix ans après, le concept de guichet unique pour les investisseurs extérieurs au vignoble est-il toujours d’actualité ?
David Lawton : Ça n’a pas changé. Nous nous sommes aperçus que notre monde travaille de plus en plus dans la spécialisation, et le monde de la viticulture n’y échappe pas. Nous connaissons les éventuels défauts et les qualités des propriétés viticoles. Et en fonction, nous conseillons un certain nombres de vérifications, de « due diligence ». Quand on achète un vignoble à Pomerol par exemple, il faut bien sûr analyser le terroir, mais vu le prix de l’hectare, il faut prendre un géomètre expert pour vérifier les surfaces. Il y a parfois des surprises. Pareil pour le bilan de l’entreprise, il faut comprendre ses équilibres et l’investisseur doit savoir où il veut aller. Nous suggérons des formations et nous aidons au recrutement.
Nous sommes 32 à Bordeaux, et 68 au total. Nous avons essaimé, avec un réseau WI&NE en Occitanie depuis 5 ans (qui va sans doute se dédoubler en Gers-Toulouse et Languedoc-Roussillon) et en Provence depuis 2 ans (et il y a d’autres projets dans les cartons)
Combien de projets ont été accompagnés par ce réseau ?
Si nous regroupons les gens accompagnés pour des missions d’expertises, nous recensons 480 audits (pour un seul sujet ou plusieurs) et 210 investisseurs ont réussi une cession via notre réseau. C’est avant toute une aventure humaine. Nous ne gagnons pas d’argent quand nous amenons un client : c’est un apport associatif sans rémunération.
Il y a dix ans à la création de ce réseau, le monde était bien différent : on débattait à Bordeaux de savoir s’il y avait trop d’achats chinois de vignobles. Désormais, de nombreux de vignerons rêveraient qu’un investisseur asiatique sonne à leur portail…
100 % des acheteurs chinois que nous avons accompagné vont bien. Ils ont suivi notre conseil de préparer un business plan pour leurs ventes. Nous avons refusé des investisseurs qui n’étaient pas capable de répondre à cette question : comment serez-vous capable de vendre ces vins ? Je peux citer le cas d’un client chinois qui vend 1,2 million de bouteilles bio chaque année. Mais la crise n’épargne personne. Aujourd’hui, le marché du vin à Bordeaux, en Occitanie, en Provence et dans toute la France est compliqué. Nous sommes dans une situation épouvantable. Je suis triste de voir qu’énormément de propriétés sont à vendre. Un grand monsieur du vin me disait récemment que « tout le monde a vécu des crises, avant et après-guerre, de tout temps. Mais je crois que l’on vit une crise sans précédent. »
Les investisseurs sont aujourd’hui méfiants, ils voient des bilans à l’état précaire. La loi du business est de s’écarter des entreprises qui gagne peu d’argent. Le vin n’a jamais fait gagner beaucoup d’argent, j’espère que vous le savez. On vit une crise sans précédent, mais je suis optimiste. Les investisseurs du monde entier continuent de frapper à notre porte. Moins frénétiquement que lors de la vague chinoise (ou japonaise, ou belge par le passé).
Comment être optimiste et croire dans la sortie de crise dans cette situation difficile pour tous ?
Le point positif, parce qu’il y en a, c’est que les jeunes boivent moins, mais mieux. De manière disparate certes, mais plus cher. Il nous faut prendre en compte ces nouveaux consommateurs qui arrivent, et les anciens qui partent. Améliorons la qualité des vins pour être à la hauteur de l’amélioration que l’on voit dans le monde entier. J’ai goûté des vins exceptionnels en Chine ! Organisons-nous pour le nouveau marché du vin. À Bordeaux, il y a inexorablement une production trop élevée. Ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les organismes de gestion qui appellent à l’arrachage. Ça va passer par des difficultés pour certains. Il faut traverser la crise, mais Bordeaux restera toujours la capitale mondiale du vin. Quand on parle de vin dans le monde, on parle de bordeaux. Nous avons les grands crus classés qui portent Bordeaux au pinacle et investissent des millions chaque année pour garder la tête haute. Ce sont des investissements énormes… et inamortissables, mais ils investissent dans la qualité du vin.
Nous allons subir la crise, il faut que l’on accompagne les gens qui sortent et les gens qui entrent. Nous analysons beaucoup d’entreprises à la vente en ce moment, et nous avons peu de clients à l’achat, mais il y en a. Nous ne sommes pas dans une période d’euphorie, mais si nous gagnions beaucoup d’argent dans notre métier, ça se serait. Nous faisons notre travail, WI&NE est un catalyseur.
Suivant le précepte boursier d’acheter quand tout le monde vend à bas prix, est-ce une période de bonnes affaires dans le vignoble bordelais pour les investisseurs ?
Nos investisseurs pensent parfois pouvoir raser gratuitement. Ce n’est pas le cas, aujourd’hui. Il y a des gens qui font des affaires, souvent au détriment du travail d’une vie, d’une famille. Bordeaux restera toujours Bordeaux, aujourd’hui il faut améliorer la qualité et que les gens se rendent compte que le marché a changé. Regardons la tendance des no/low alcohols. L’Europe a tranché, le vin désalcoolisé, c’est du vin. Le no/low a un marché, et si la France ne prend pas le train, d’autres le prendront. On trouve de bons no/low sur la côte ouest des États-Unis, en Afrique du Sud, en Nouvelle-Zélande… Au lieu d’arracher 20 000 hectares, on pourrait en mettre 5 000 ha pour le no/low. L’enjeu aujourd’hui la qualité du vin sans alcool, mais les producteurs vont y arriver.
La diversification de la production semble être une voie pour relancer commercialement le vignoble bordelais.
J’encourage les jeunes à faire des cuvées spéciales. Le technologie permet aujourd’hui d’individualiser les bouteilles, par exemple pour un mariage. C’est le marché de demain : restructurer et moderniser. Des vignobles l’ont compris, comme en Val de Loire. Bordeaux était sur son piédestal, maintenant il y a une prise de conscience. Je vois les petites cuvées se multiplier en Entre-deux-Mers. Il y a du travail à faire à l’export, sur la restauration… Ça m’agace quand il n’y a pas de vin de Bordeaux à la carte d’un restaurant bordelais. Comment voulez-vous que Bordeaux soit connu si ses vins ne sont pas distribués ? Il y a aussi un sujet avec le négoce.