ffrez-vous un tour de France des vignobles, vous y entendrez invariablement parler des difficultés de la déconsommation, de l'inflation et du changement climatique? Dans l'Hexagone, « il n'y a pas un vignoble, pas un segment, où il n'y a pas de gens qui vont mal. Même dans les catégories porteuses. Dans tous les bassins, les entreprises ont des défis » pose Jean-Marie Fabre, le président des Vignerons Indépendants, alors que s'ouvrent ce mardi 26 mars les rencontres nationales de la fédération des caves particulières dans les Pyrénées-Orientales. En témoigne la Bourgogne, où « tous les blancs vont très bien. Pour les rouges, ça commence à se compliquer : les indicateurs virent à l'orange avec les effets de l'inflation. Après la montée des prix, la tendance se renverse, avec des annulations et désistements d'allocations sur le haut de gamme » apporte Thierry Mothe, le secrétaire général des Vignerons Indépendants. Pour le vigneron de l'Yonne, « le marché de la bouteille va bien, mais le vrac est atone : le négoce n'est pas passé aux achats ».
Un attentisme des négociants qui revient dans de nombreux vignobles. « Aujourd'hui, les marchés des vins de Bordeaux réalisés par le négoce sont morts. Depuis le jugement Rémi Lacombe, les quelques négociants qui achetaient encore ont vu l'herbe être coupée sous leur pied » note Régis Falxa, le président des Vignerons Indépendants de Gironde, faisant état d'entreprises épuisées par l'inflation, les aléas climatiques et le repli des ventes. En Vallée du Rhône, « un tiers à 40 % des volumes sont commercialisés en vrac. Ce qui fait le volume, quand la bouteille fait la valeur ajoutée. Ce qui fragilise nos entreprises, ce sont les cours qui se sont effondrés à cause de stocks de vins n'ayant pas pris le virage des nouveaux modes de consommation » pointe Thierry Vaute, le président des Vignerons Indépendants de la vallée du Rhône. Pour le vigneron du Vaucluse, le recalibrage des surfaces est impératif : « il y a longtemps que l'on prêche pour l'arrachage différé. Il y a besoin de sortir rapidement des surfaces du marché. »
Pour rebondir, les deux leviers de développement des caves particulières sont l'export et l'œnotourisme résume Laure Dubreuil, la présidente des Vignerons Indépendants du Loir-et-Cher. Relevant que le premier marché export des vins ligériens sont les États-Unis, la vigneronne de Sologne note que les commandes sont ralenties par les tergiversations actuelles des importateurs sur l'issue des prochaines élections présidentielles (et du retour ou pas de Donald Trump, friand des mesures coercitives visant les vins). De quoi alimenter le besoin de diversification commerciale pour miser sur des marchés en développement (Asie du Sud, Amérique du Nord, Amérique du Sud?), mais nécessitant un soutien de l'Etat* pour activer ce levier pointe Laure Dubreuil. Qui ajoute que l'attractivité touristique de la Loire doit également être travaillée, que ce soit via des partenariats avec les offices de tourisme ou des projets de développement de l'interprofession, InterLoire.
« L'œnotourisme permet de bien s'en sortir, mais ce n'est pas coup de baguette magique » prévient Ludovic Walbaum, le président des Vignerons Indépendants d'Ardèche, qui note que le tourisme vigneron permet de garder le contact avec les clients, dans la continuité des salons. Saluant l'investissement de la région Auvergne Rhône Alpes dans la promotion des vins à l'export, le vigneron ardéchois en retient que si l'« on se donne les moyens et que l'on investit, on peut espérer que le modèle des Vignerons Indépendants traversent mieux la crise que d'autres ». Ou plutôt qu'« il la traverse moins mal » réagit Régis Falxa, le vigneron bordelais espérant que les mesures de soutiens de l'exécutif (rallongement des Prêts Garantis par l'État, PGE, année blanche?) « contribueront à envisager des jours meilleurs » alors que les déséquilibres : « sur 2023, la plupart des vignerons bordelais n'ont pas vendu une récolte entière. Et justement, ils n'ont pas rentré une récolte entière en 2023. Les coefficients de stocks ont baissé, passant de 24 à 12 mois de commercialisation. Il faut redorer l'image de la viticulture » pour recréer de la valeur ajoutée sur les appellations régionales en difficulté.
Ce millésime 2023, « le monde enregistre l'une des plus petites récoltes de vin » rappelle Laure Dubreuil, relevant que la France aura les moyens, en tant que premier pays producteur au monde, « de conquérir de parts de marché que d'autres vont perdre. Pour y arriver, il faut des outils de conquête à l'export. Et des protections climatiques pour pérenniser l'approvisionnement. » Dans les prochains moins, « il va y avoir moins de vin dans le monde que les marchés n'en aspirent. La France a plus de billes à jouer : il faut s'y inscrire » préconise Jean-Marie Fabre. D'autant plus que les signaux positifs valident l'incarnation des vins par les hommes et femmes derrière le logo des Vignerons Indépendants. Label qui est désormais recherché par des importateurs américains note Laure Dubreuil. Sur la même idée, un importateur thaïlandais a rapporté à Régis Falxa qu'un négociant lui proposait un bordeaux à 4 ?, mais que ça ne l'intéresse pas : il veut se différencier avec l'image et l'histoire de vignerons.
« La bonne nouvelle, c'est que chaque jour naît un consommateur occasionnel. C'est notre cible : c'est le modèle des Vignerons Indépendants » estime Thierry Vaute, pour qui la tournure que prend la consommation de vins va plutôt dans le sens de l'offre portée par la fédération « nos vins d'auteurs racontent une histoire. Et la valorisation est là. La bouteille à 4 ?, c'est fini, nos entrées de gamme sont souvent supérieures à 7 ?. On ne fait pas du volume, ce n'est pas un vin aliment : c'est un vin plaisir. »


Les petites rivières faisant les grands fleuves, la somme des petites caves particulières représente 60 % des volumes de vins français : « additionnées, nos entreprises forment un modèle leader » rappelle Jean-Marie Fabre. Un poids macroéconomique qui accentue la nécessité de soutenir les trésoreries pour le président des Vignerons indépendants, qui note que les caves particulières sont touchées plus tôt et plus fortement par les évolutions de marché, comme elles investissent fortement dans la commercialisation (export, tourisme?) et la production(transition agroécologique, adaptation climatique?), ce qui aboutit à un fort endettement : « la France viticole vit dans tous ses bassins la même réalité de difficultés depuis quatre ans. Nous ne sommes pas en dehors du marché, les vignerons indépendants souffrent autant que les autres » répète Jean-Marie Fabre. Et les vignerons indépendants innovent comme les autres : vin rouge à mettre au frigo, conditionnement en canette, vins désalcoolisés? « C'est un révélateur des dynamiques de la filière : les vignerons se posent des question et en face les consommateurs cherchent de l'originalité » note Thierry Vaute, pour qui ces vignerons testeurs « sont soit précurseurs, s'ils réussissent, soit fous, si ça échoue. » Une réponse qui peut arriver rapidement, comme les vignerons indépendants sont « en prise directe avec les consommateurs » illustre Thierry Mothe. Jean-Marie Fabre le confirme, « dans nos entreprises, on connaît bien les tendances de marché grâce au contact direct avec les consommateurs lors des salons ou à la propriété ». Faites le tour de France des vignobles, vous pourrez y trouver toutes les initiatives permettant d'adapter l'offre viticole aux tendances actuelles et futures de consommation.
* : L'aide attendue n'est pas seulement financière, des simplifications réglementaires étant également souhaitées, comme la création d'un guichet unique pour les droits d'accises afin d'ouvrir la commercialisation des vignerons sur tous les marchés européens. « Le jour où ce guichet unique est effectif, on exporte immédiatement vers l'Allemagne, la Belgique? » prédit Régis Falxa.