Une aide précieuse

Rédaction de fiches techniques, communication... l'IA révolutionne le marketing du vin

J’ai été bluffé !», déclare Emmanuel Clausel, le propriétaire du domaine Uma, 42ha à Valflaunès (34). Cet ancien promoteur immobilier, converti à la viticulture en 2020, a utilisé ChatGPT pour rédiger ses posts sur Instagram et LinkedIn. En quelques jours à peine, cette intelligence artificielle lui a fourni 200 textes et 365 stories, prêts à l’emploi. Elle lui a même proposé les photos correspondant aux textes, comme cette image de bouteilles baignées de lumière pour illustrer un texte sur la créativité du domaine qu’Emmanuel Clausel a utilisée pour son post du 8février sur Instagram.

«Le plus long a été le travail en amont, explique le vigneron qui a opté pour la version payante de ChatGPT, 22€ TTC par mois. Nous avons dû alimenter la plateforme avec moult informations : en copiant-collant le contenu de notre site internet, nos fiches techniques, la liste de nos événements, des articles de presse sur nous… Nous avons aussi retracé notre histoire et notre philosophie de travail avec des mots-clés que nous souhaitions voir apparaître : le bio, la créativité, le savoir-faire, la lumière, le Pic Saint-Loup… Il est important de donner un maximum d’informations pour obtenir un résultat pertinent.»

Emmanuel Clausel s’est jeté à l’eau après une journée de présentation de ChatGPT organisée par son agence de communication. «Je suis satisfait du résultat, déclare-t-il. L’IA a bien cerné nos valeurs. Nous lui avons également demandé de nous produire un planning de nos publications, ce qu’elle a très bien réalisé. Nous ouvrons un bar à vin d’avril à septembre. Durant cette période, ChatGPT a programmé essentiellement des publications portant sur cette actualité.»

Les premiers posts sont en ligne depuis février. Trop tôt pour en mesurer les répercussions sur l’audience du domaine. Seul bémol d’après notre vigneron, les hashtags générés par ChatGPT restent trop généralistes. Mais il a fait l’économie d’un community manager. «Et nous utilisons aussi cette solution pour traduire nos fiches techniques, nos mails et nos courriers en anglais. C’est un gain de temps !», ajoute-t-il.

Avant Emmanuel Clausel, ce sont les chroniqueurs du vin que ChatGPT a bluffés. En juin dernier, Aubert & Mathieu, négoce fondé en 2019 à Carcassonne (11) par Anthony Aubert et Jean-Charles Mathieu, annonçait la sortie de The End, le premier vin créé par la fameuse intelligence artificielle. S’en est suivie une avalanche d’articles. À en croire certains de ces médias, ChatGPT avait tout imaginé depuis la vinification jusqu’au packaging. Certes, Aubert & Mathieu lui a demandé de créer un vin bio d’exception du Languedoc avec deux cépages, de la syrah et du grenache. Mais le résultat n’a pas été toujours pertinent. «ChatGPT est resté assez généraliste sur l’élaboration du vin, reconnaît Jean-Charles Mathieu. Il nous a conseillé d’assembler 60% de grenache et 40% de syrah puis de réaliser une macération préfermentaire à froid et une fermentation alcoolique suivie d’une macération postfermentaire.» Pas de quoi fouetter un chat !

«Pour la promotion de la cuvée, ChatGPT nous a dit de publier des posts sur les réseaux sociaux, de lancer une campagne d’e-mailing, d’organiser un événementiel, de contacter des influenceurs et des journalistes…», complète Jean-Charles Mathieu. Basique également. «Mais ça donne des lignes directrices», tempère-t-il. Un pense-bête en quelque sorte.

Le duo a aussi dû faire la part des choses. «Nous n’avons pas retenu toutes les propositions de la machine, avance Jean-Charles Mathieu. Elle nous avait suggéré de baptiser notre cuvée Le Clos du Chat. Nous avons préféré The End, un nom trouvé en interne.» Et pour le prix, l’IA avait poussé le bouchon trop loin, en proposant 50€ la bouteille. Le tarif a été fixé à 19,90€.

En revanche, le duo est ravi du communiqué de presse, des textes pour les réseaux sociaux et de la contre-étiquette rédigés par l’IA. «C’est un outil qui peut aider ceux qui ont peu de temps pour la rédaction», estime Anthony Aubert. La cuvée The End a été tirée à 600 exemplaires. Les trois quarts ont d’ores et déjà été vendus depuis l’e-boutique du négociant. Grâce au coup de pouce de l’IA ? Allez savoir.

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle fait partie du quotidien d’Aubert & Mathieu. «On s’en sert pour rédiger nos fiches techniques, les textes de notre blog et de nos newsletters, etc. Elle fait tout ceci mieux et plus vite que nous, mais il faut lui fournir du contenu», affirment les deux dirigeants à qui il arrive même de se servir de l’outil par diplomatie. «Avant d’envoyer un mail à un client avec lequel nous avons un point de blocage, nous le soumettons à ChatGPT en lui expliquant le contexte et en lui demandant de le réécrire sur un ton plus neutre. L’avantage, c’est qu’il ne s’emporte pas ! Il reste très factuel et emploie un ton lisse. Si le message nous convient, on l’envoie. Dans le cas contraire, on le corrige.»

Forts de leur expérience, les deux jeunes gens ont poussé le bouchon un peu plus loin. Ils viennent de créer l’étiquette de leur cuvée Yard avec Canva, une intelligence artificielle génératrice d’images. «Cette cuvée est un vin de France rouge destiné à une chaîne de restaurants, commente Jean-Charles Mathieu. Nous voulions un visuel représentant le printemps pour un vin croquant, frais et digeste.» En quelques secondes à peine, Canva a conçu une étiquette illustrée de tulipes roses et jaunes qui n’a rien coûté à l’entreprise hormis l’abonnement à l’application. Le client l’a appréciée. «Le travail d’un graphiste sera toujours nécessaire pour des cuvées plus complexes», insistent cependant les deux jeunes gens.

Parallèlement à ces outils de création de contenus, des développeurs proposent des logiciels de gestion de la relation commerciale incluant de l’intelligence artificielle. Vigneronne dans le cru Saint-Chinian, Élisabeth Poux, propriétaire du domaine Pech Ménel, 55ha à Quarante (34), utilise ainsi l’outil de la start-up Wineriz depuis l’an passé. «Il nous permet de saisir nos factures, d’éditer des devis et des bons de livraison, de gérer nos stocks, etc., explique-t-elle. Tous nos canaux de clients sont centralisés sur une même ­interface. Il est aussi très interactif et donc facile à utiliser.» Encore mieux : «L’application adresse nos e-mails à leurs destinataires au moment où ils sont le plus enclins à les lire», se félicite Élisabeth Poux.

Charles Riveau, cofondateur de Wineriz, explique : «Nous nous sommes associés à un spécialiste du comportement de lecture des e-mails pour les envoyer à leurs destinataires au moment où ceux-ci ont l’habitude de les lire. Cela augmente les chances qu’ils ne passent pas à la trappe.» Élisabeth Poux a testé cette fonctionnalité pour inviter ses clients à ses portes ouvertes et à venir à des salons où elle exposait. «J’ai eu de bons taux de retour, relate-t-elle. Plus de personnes qu’à l’accoutumée nous ont confirmé avoir bien reçues nos messages.»

Wineriz prévoit d’autres évolutions. «À terme, notre solution prédira les commandes à venir pour un domaine, en fonction de son historique, et elle éditera des recommandations personnalisées pour ses clients», promet Charles Riveau.

Dans un autre registre, la start-up WineSpace a mis au point Tastee. Cette IA traite les commentaires sur un vin pour les synthétiser sous forme d’une fiche comprenant les points forts et les points faibles du vin, une roue des arômes et un radar de bouche notant la longueur, la souplesse, lastructure…

En Gironde, le laboratoire œnologique EVV (Ensemble de la Vigne au Vin) propose ce service à ses clients. Une centaine de vignerons a souscrit à cette offre dont le prix va de 70€/HT par cuvée pour une fiche à 120€/HT pour la fiche avec un commentaire de dégustation rédigé par EVV (Tastee ne rédige pas contrairement à ChatGPT).

Christian Dubergé, le propriétaire du Château Saint-Sulpice, à Saint-Sulpice-et-Cameyrac (33), a décidé d’en profiter. «J’ai fait déguster mon bordeaux rosé et mon clairet à EVV, expose-t-il. Ils m’ont rendu la fiche de Tastee avec leur commentaire qu’ils ont rédigé. Ces présentations permettent à nos clients particuliers ou professionnels de visualiser rapidement les caractéristiques de ces vins.»

«Nous nous servons de Tastee également en interne, complète Anaïs Bouchard, directrice marketing et responsable activité vin d’EVV. Aujourd’hui, nos œnologues rentrent systématiquement leur commentaire de dégustation dans l’application et utilisent la fiche de synthèse qu’elle émet quand ils se rendent chez leurs clients. L’outil permet aussi à nos clients de comparer le profil de leur vin à celui du millésime que nous établissons grâce à Tastee.»

À Margaux (34), la maison de négoce Ulysse Caza­bonne, spécialisée dans les crus et les crus classés du Bordelais, teste aussi la solution WineSpace. «Nous disposons d’un portefeuille de 500 références et dégustons des milliers de vins chaque année, annonce Paul Caldagues, acheteur. Nous avons des piles de carnets dont nous ne faisions rien jusqu’à présent.» Depuis l’an dernier, les quinze membres de l’équipe rédigent leur commentaire dans Tastee. Début février, ils avaient rentré 3 000 commentaires dans le système. «Nous utilisons les fiches de Tastee pour rédiger des commentaires de dégustation courts et concis que nous joignons aux appels d’offres auxquels nous répondons, indique Paul Caldagues. C’est un moyen de nous démarquer auprès de nos clients et, au vu des premiers retours, ils y sont sensibles.»

À terme, Paul Caldagues compte utiliser Tastee pour sélectionner les vins répondant aux attentes de ses clients. L’apport de l’intelligence artificielle dans le domaine du vin n’en est qu’à ses débuts.