’est une polémique dont les vins nature ont le secret. Dans un message envoyé aux participants de la vingt-quatrième édition du salon de la Dive Bouteille (4 et 5 février derniers à Saumur), son organisatrice, la vigneronne Sylvie Augereau a mis le feu aux foudres : « merci encore de garder vos cuvées un peu trop barrées à la maison, pour ceux qui croient que les vins vivants c’est forcément déviant… On n’est vraiment pas là pour alimenter ce discours dangereux. Il y a des intrants qu’on préfère à certains intrus ! » De quoi alimenter des débats sans fin entre tenants du radical zéro intrant et ceux ouverts à un usage réduit de sulfites. Visible sur les réseaux sociaux, comme ici avec le vigneron Lilian Bauchet (Beaujolais), la polémique est à relativiser dans son ampleur pour Sylvie Augereau. La vigneronne angevine explique à Vitisphere avoir reçu de nombreux messages de soutien et très peu d’attaques en regard.
« Quasiment aucun vigneron n’est intervenu dans le débat, juste des consommateurs qui n’ont aucune idée de notre métier et des conditions climatiques qui nous compliquent sérieusement les vinifications depuis quelques années » indique-t-elle, faisant référence à l’augmentation des concentrations en sucre et diminution des acidités qui compliquent la conservation des vins sans déviations microbiennes. En matière de SO2, « quelques grammes n’ont jamais tué les amateurs de vin et les jeunes installés devrait se méfier des discours zéro, il faut vivre de son métier et être bu » poursuit Sylvie Augereau, ajoutant : « j’ai jeté des vins à la pelouse. C’est déchirant après un travail d acharné sur une année. »


À l’occasion des salons offs de Wine Paris & Vinexpo Paris, petit tour au salon Vignerons de Nature ce dimanche 11 février pour illustrer la diversité des pratiques et approches s’abritant, faute de reconnaissance légale, sous le mot valise de "vin nature". Une expression que n’apprécie pas particulièrement le vigneron Didier Defaix, du domaine Bernard Defaix (27 hectares à Chablis) : « on met de tout dedans, le bon et le pas bon. Et même du non bio. Le terme vin nature peut être mal interprété par certains clients » craignant des déviations. Revendiquant la production de vin sans soufre ajouté selon les caractéristiques des millésimes, Didier Defaix ne veut pas participer à des guerres entre chapelles avec ses échanges d’anathèmes. Pour lui, « il y a de la place pour tout le monde. Il faut plus convaincre ceux qui ne sont pas dans cette dynamique de faire plus d’efforts sur la réduction d’intrants. » Et de définir le vin nature comme « un vin sans intrant. Et quand on en met, il faut le marquer. »
Cette notion de transparence est chère à Julie Romanetti, du domaine corse Nicolas Mariotti Bindi (Patrimonio). Avec des bouteilles affichant par exemple sur leur contre-étiquette "moins 40 mg/l de SO2", l’objectif est d’informer les consommateurs éclairés sur les pratiques au chai : « nous avons un souci de clarté que l’on aimerait retrouver ailleurs » indique Julie Romanetti. Interrogée sur sa définition du vin nature, la vigneronne répond que tout dépend de « la philosophie de chaque vigneron. Notre philosophie est d’être le moins interventionniste à la vigne et à la cave. » Tout en se donnant la possibilité de sulfiter lors des vinifications selon les besoins, avec un travail méticuleux sur l’hygiène en cave, le contrôle des températures, la mise en bouteille au gaz inerte…


« Dans notre vision, c’est une forme de rigueur et de lâcher-prise. Nous avons toutes les conditions pour avoir un vin typé et il y a une bonne part de lâcher prise comme le vin se fait finalement tout seul » rapporte Julie Romanetti, qui reste dans le contrôle après avoir essayé de vinifier en rouge sans sulfite : « on en est revenus, après quelques déviations et soucis, pas forcément lors des vinifications. Il y a une forme d’instabilité. Dans notre vision, on essaie d’avoir du goût et du plaisir dans nos bouteilles. Parfois on est plus souple sur les défauts de vins produits par d’autres, comme l’acidité volatile. On préfère un vin nature un peu à défaut qu’un vin conventionnel très net et un peu mort. »
Très philosophique et personnelle, l’approche transparente du vin nature revient souvent parmi les producteurs rencontrés. « Nous on dit ce que l’on fait, et l’on fait ce que l’on dit » pose Ludivine Cadé, domaine Dirler-Cadé (18 ha en biodynamie, Alsace). « Pour nous le vin nature est un vin sans sulfite. On ne l’exprime pas dans toute notre gamme, mais sur un vin de macération (ressemblant à un vin orange). On fait le vin nature comme on l’aime et pas pour surfer sur une vague » explique la vigneronne, pour qui les sulfites utilisés dans le reste dans la gamme « permettent d’avoir de la précision dans l’expression. Sinon cela devient moins subtil et gomme l’effet terroir. »
Réunis derrière l’idée de respect de la vigne et du travail du vigneron avec la réduction des intrants, les vins nature n’ont pas encore abouti à une définition consensuelle partagée par tous. La dernière tentative étant celle du label "vin méthode nature". Mais à chaque tentative d’encadrement de pratiques libres répondent de nouvelles approches indépendantes. Au terme flou de vin nature, des vignerons préfèrent parler de vin vivant, de vin sauvage… De quoi animer de nouveaux débats sémantiques.