ttention chérie, ça va segmenter. Réuni en assemblée générale ce mardi 12 décembre, le syndicat des vins de l’Entre-deux-Mers adopte de nouvelles modifications de son cahier des charges pour mieux se différencier de l’appellation régionale Bordeaux. Alors que la création de l’Entre-deux-Mers rouge n’a été publiée qu’en août dernier au Journal Officiel, l’AOC remet l’ouvrage sur le métier avec l’adoption de trois évolutions devant désormais être validée par l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO).
D’abord « renforcer l’assemblage avec l’utilisation d’un cépage principal à 80 % maximum » en blanc et en rouge, soit l’interdiction de cuvées s’affichant monocépages, comme il faut que 85 % au moins du vin soit constitué d’une même variété pour l’étiqueter seule. Avec 99,5 % de votes exprimés pour, la motion est adoptée et marquera la fin des étiquettes avec un "Entre-deux-Mers sauvignon blanc" pour « affirmer notre identité d’assemblage par rapport à l’appellation Bordeaux » explique David Labat, le président de l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG), qui précise que « l’Entre-deux-Mers n’est pas en opposition avec l’AOC Bordeaux. Nous sommes tous producteurs des deux. Mais la segmentation n’a jamais été travaillée à Bordeaux pendant 25 ans, c’est une hérésie. Il faut que chaque AOC ait sa propre identité. » Le vigneron de Targon estimant que la complexité des vins de Bordeaux perçue par les consommateurs est créée/alimentée par la filière girondine elle-même, qui noie dans une seule masse toutes ses individualités.


Adoptée à 94 % (pour 6 % non), la deuxième motion impose l’élevage sur lies jusqu’au 15 novembre suivant la récolte. « Ce minimum de travail sur lies est qualitatif. On s’aperçoit malheureusement que quelques entre-deux-mers manquent de corps, de densité. Et en creusant, il arrive qu’ils aient été filtrés trop tôt » esquisse David Labat. « Il faut sortir du "petit vin blanc que l’on boit sous les tonnelles, quand les filles sont belles". Il faut faire un vin qui se boit bien et tient dans le temps. Ce qui se valorise, c’est le vin qui se garde » réplique Stéphane Defraine, président de l’ODG de 2004 à 2014.
Imposant un contrôle qualité renforcé pour tous les vins de l’AOC, la dernière motion a été adoptée à 89 % (avec 9 % non et 2 % d’abstention). Concrètement, le prélèvement et la dégustation de contrôles seront un préalable obligatoire à toute commercialisation (pour le vin en vrac comme en bouteilles, avec un nouveau contrôle dès qu’il y a assemblage). Donnant quatre chances à chaque vin (une première dégustation et un appel en cas de refus, doublés avec la possibilité d’un deuxième échantillonnage), la procédure peut conduire à l’obligation de replier un vin en AOC Bordeaux ou de le déclasser en vins sans indication géographique s’il n’est pas validé indique Régis Desclaux de Lescar, le directeur de Quali-Bordeaux, qui fera office d’organisme de contrôle indépendant de la mesure. Face aux inquiétudes exprimées de surcharges administratives (et d’embouteillage pour les dégustations d’agrément de fin d’année, Régis Desclaux de Lescar estime qu’il ne s’agit pas de « contrôles énormes. En Beaujolais, ils y arrivent, il n’y a pas de raison de ne pas y arriver… [même si] c’est une contrainte supplémentaire. » Et « c’est aussi une garantie supplémentaire pour le consommateur » réagit un vigneron de l’audience.


Revenant au système de labellisation des AOC bordelaises d’avant 2008, le syndicat de l’Entre-deux-Mers évoque quant à lui la possibilité d’un timbre de garantie facultatif pour faire de cette obligation un nouvel argument de vente. Car dans l’offre actuelle, « il y a une déceptivité criante pour le consommateur, qui a une mauvaise image de Bordeaux à cause de mauvaises expériences » pose frontalement David Labat, qui estime que « pendant quatre ans aujourd’hui, on peut livrer des vins défaillants sans être embêté. On considère que c’est une hérésie. Bordeaux doit proposer des vins avec un gage de qualité. » Directrice marketing du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), Florence Bossard reconnaît que « la qualité est fondamentale. S’il y a achat et déception, c’est perdu… » Ayant l’ambition de « passer du Bordeaux bashing au Bordeaux loving », l’interprofession va déployer une nouvelle plateforme de marque. Comme l’Entre-deux-Mers.
Encadrées par le cabinet AOC Conseils, les réflexions de l’ODG aboutissent à un nouveau logo : "la grande île" (photo ci-dessous). Avec des supports de communication en noir-et-blanc, ce nouveau positionnement suscite des avis tranchés dans l’auditoire : « super boulot ! », « c’est mieux que le poisson », « c’est triste, on dirait ce que j’avais choisi pour l’enterrement de mon père »… Sans oublier la critique par un vigneron de la notion d’« île » qui n’a pas de sens géographique pour le territoire de l’Entre-deux-Mers. « Le sujet de l’île m’a heurté au départ, mais je me suis fait à l’idée. C’est un concept fort de différenciation, un peu fantasmagorique, mais être dans Bordeaux entre deux rivières est poétique » explique Jacques Lurton, le président de la commission de communication de l’Entre-deux-Mers.
Se revendiquant « fiers insulaires de l’Entre-deux-Mers » comme le résume David Labat, les vignerons de l’AOC pourront porter leur nouvelle identité lors de son déploiement à l’occasion du prochain salon Wine Paris & Vinexpo Paris. L’évolution du cahier des charges pourrait être effective dès les vendanges 2024 espère l’ODG, qui prépare déjà la suite. En début d’année seront lancées des réflexions sur la hiérarchisation de l’appellation, avec un projet "Entre-deux-Mers la Bastide" : un cran supérieur dans l’AOC qui est encore à construire courant 2024.
Évoquant le territoire de l’Entre-deux-Mers, ce logo est centré sur le "e" initial du nom de l’AOC avec des ondulations rappelant vallées et vagues, une forme de pont pour symboliser la singularité et l’accessibilité, une minuscule pour représenter l’évidence et l’humilité explique la graphiste et directrice artistique Justine Van Der Schueren, qui a construit cette identité.