ci, pas de bling-bling. Pas de caves neuves bâties à coups de subventions. Le vignoble de Međimurje s’épanouit loin de la côte Adriatique. Situé à 100 kilomètres au nord de Zagreb, c’est le plus septentrional de Croatie. Il est logé entre deux rivières, la Mur et la Drave, d’où son nom Medimurje, qui signifie « entre deux rivières ». Le paysage ressemble d’ailleurs à celui de l’Entre-deux-Mers bordelais, avec ses collines ondulantes couvertes de vignes.
Le climat est frais et humide. C’est donc tout naturellement que les cépages blancs s’y épanouissent, surtout le sauvignon et le pu?ipel , que l’on appelle en Hongrie « furmint à tokaj ». Les vignerons d’ici vinifient le pu?ipel en sec et, plus rarement, en effervescent. Dans les deux cas, ce cépage exprime un velouté et une suavité inhabituels pour un blanc. « C’est le fruit de notre climat, explique Viktor Dvanaj?ak-Kozol, vinificateur au domaine familial DK. Nos vins ont forte acidité mais elle est contrebalancée par de la rondeur. »
Comme ailleurs dans le pays, le renouveau de la viticulture privée a débuté en 1992, juste après l’avènement de la « Croatie moderne » en 1991. La coopérative locale, très active sous le régime de la Yougoslavie, a été reprise par des privés. Aujourd’hui, une trentaine de familles se partagent ici les 600 hectares de vignes plantés.
Le scenario est toujours le même : le grand-père livrait à la coop, ses enfants se sont lancés dans la vinification pour produire des blancs qu’ils vendaient au litre et qui se buvaient mélangés à du soda, ses petits-enfants se sont mis à faire des vins dignes de ce nom.
Dans la famille de Viktor Dvanaj?ak-Kozol, c’est ainsi que les choses se sont passées. « Grand-père possédait un hectare de vigne, explique-t-il. Maman faisait des ménages. Papa était ingénieur. Ils s’occupaient de la vigne pendant leur temps libre. Avec l’argent qu’ils ont gagné, ils ont acheté un tracteur, des cuves, un pressoir… » Ils ont ainsi développé leur domaine pour atteindre 12 hectares. « Sans luxe ni vacances », précise-t-il.
Très vite, sa mère abandonne son activité première pour se consacrer entièrement à leur vignoble. Son père, lui, reste ingénieur jusqu’à sa retraite, en 2018. Puis les enfants arrivent en renfort. Tea d’abord, née en 1988, puis Viktor, né en 1995. La grande sœur s’occupe des ventes et de l’accueil au caveau. Le petit frère est revenu à la maison dès la fin de ses études d’œnologie à Zagreb. « C’est en vinifiant qu’on devient vinificateur », dit-il en souriant. Il veille sur toute la partie technique, de la vigne à la cave.
Ce 18 mai, leur mère, Rajka (Kozol), est en cuisine et leur père, Zdravko (Dvanaj?ak), court partout. Tout le monde s’active car demain débute l’Urbanovo otvoreni podrumi, deux journées de portes ouvertes dans tout le vignoble de Međimurje. Le jour de notre passage, il fait un peu froid. Les Dvanaj?ak-Kozol espèrent que cela ne rebutera pas les visiteurs car ces deux journées sont cruciales pour leurs ventes.
Leurs vins sont excellents mais la compétition est forte. De plus, les noms croates sont compliqués à retenir à l’étranger. Les Dvanaj?ak-Kozol l’ont bien compris : ils se sont rebaptisés DK afin de simplifier les choses et réaliser des étiquettes aisément reconnaissables.
À une dizaine de kilomètres de là, dans le village de ?trigova, Bojan Stampar et son fils David ont suivi le même parcours. Leur bâtiment d’exploitation est discret. Une vieille porte s’ouvre sur une magnifique cave voûtée, construite avec la pierre du pays en 2000 mais qui semble beaucoup plus ancienne. C’est ici qu’ils vinifient leurs 14 hectares de vignes parfaitement tenues. Les vins sont à l’image du vignoble : propres et bien faits. Vinifié en méthode traditionnelle ou en sec, le pu?ipel offre rondeur et ampleur. Le sauvignon se montre aromatique et envoûtant.
Leurs voisins, les Cmrecnjak, ont également débuté dans les années 1990, alors qu’ils étaient dans l’agriculture et l’élevage de porcs. Rajko vendait ses 2 hectares de raisins à la coopérative. Sa première étiquette date de 1992. En ce jeudi de mai, sa famille prépare également l’Urbanovo. En trente ans, Rajko s’est constitué à coups de médailles une notoriété et une solide clientèle. Il a construit une cave de 1 000 m2 et complété son domaine pour atteindre 27 hectares. Son fils Marko travaille avec lui. Sur leur site internet, on peut lire : « 12 568 heures dans nos vignobles, 528 prix remportés, 9 867 clients satisfaits. » Des chiffres mis à jour en permanence.
En dépassant ?trigova, on trouve peu après la colline Madjerka, qui porte le nom d’une ballerine Hongroise née en 1889. Un lieu symbolique qui rappelle l’époque où cette partie de la Croatie était hongroise. Les Stampar et les Cmrecnjak ont racheté et remis en état les vignes qui couvraient la colline. Ils en tirent plusieurs cuvées. En 2022, ils ont bâti un belvédère à 341 m d’altitude. De là, les touristes peuvent admirer, un verre à la main, la vue sur quatre pays : le Meimurje croate, le vignoble slovène de Gorice, la grande plaine hongroise et, au loin, un bout de l’Autriche !
Cépage principal de Meimurje, le pušipel est connu en Hongrie sous le nom de furmint à tokaj. Sur ce terroir, il donne des vins tranquilles, des effervescents et des vins de glace. Les vins tranquilles secs sont classés en deux catégories : pušipel classique – léger, frais, autour de 12° d’alcool, avec des notes d’herbes et d’agrumes – et pušipel prestige – vendangé plus tard, plus complexe, vinifié et élevé en fût ou foudre. Toutefois, pour bénéficier de ces dénominations, les vins doivent être soumis à un jury de l’association des producteurs, et être embouteillés dans une bouteille aux épaules larges et au long goulot, gravée du nom et du logo de Meimurje. Si le vin n’est pas à la hauteur, il ne peut revendiquer la dénomination pušipel, il n’a le droit de prendre que le nom de furmint, comme en Hongrie, ou šipon en Slovénie.