a filtration tangentielle gagne du terrain. En Bourgogne, Johany Chêne vient de revendre son filtre-presse. Associé avec son père sur les 50 ha du domaine familial Chêne, à Berzé-la-Ville, il l’a remplacé en 2021 par un filtre tangentiel pour traiter ses bourbes et ses lies. Et il ne reviendra pas en arrière. « Notre filtre-presse n’était pas adapté à la taille de notre structure. Nous nous sommes donc tournés vers un Della Toffola, découvert au Sitevi », relate-t-il.
Ce tangentiel, c’est un Omnia à membranes en céramique de 6 mm qui filtre les bourbes et les lies. « On a de plus en plus de mal à trouver de la main-d’Å“uvre. Le tangentiel nous permet d’économiser une personne à temps plein : tout est automatisé. »
Déjà équipé d’un filtre tangentiel Pall pour ses vins, le domaine Chêne ne fonctionne désormais qu’avec ce type d’équipements. « On rentre environ 600 hl par jour de blancs pendant les vendanges. Ce qui représente 60 hl/j de bourbes. Avec le filtre-presse et une personne dédiée, on arrivait seulement à filtrer 40 hl/j. Aujourd’hui, on filtre les bourbes de la veille avec un débit d’environ 5 hl/h. Cela nous prend 10 heures, mais tout est automatique. J’ai juste à appuyer sur le bouton. Ma sÅ“ur nous aide pendant les vendanges. Elle est capable de le mettre en route toute seule et de s’en servir alors qu’elle ne l’utilise que ponctuellement pendant la récolte », raconte Johany Chêne, qui ne tarit pas d’éloges sur la facilité d’emploi de son nouvel équipement.
Et, surprise pour ce vigneron, le coût de ce filtre sera déjà amorti l’année prochaine, soit trois ans après son acquisition. « On l’a acheté 110 000 € avec une subvention de FranceAgriMer de 30 %. On pensait l’amortir sur cinq ans. Mais il nous fait tellement gagner de temps, de main-d’Å“uvre et même de volume que trois ans auront suffi. » Car, depuis qu’il l’a acquis, le domaine Chêne filtre aussi les lies alors qu’auparavant il les livrait à la distillerie. « Aujourd’hui, on récupère jusqu’à 70 % de nos lies en les filtrant avec un débit minimum. »
À une dizaine de kilomètres de là , la cave coopérative de la Vigne Blanche, à Clessé, s’est également équipée d’un Omnia mais, cette fois, avec des membranes de 3,5 mm pour filtrer les vins et les bourbes. « Auparavant, on filtrait les vins avec un filtre à terre et les bourbes, avec un filtre à plaques par un prestataire de services, raconte Denis Mollard, chef de cave. On filtre environ 6 000 hl de vins par an. On va beaucoup plus vite désormais, tout est automatique. Avec le kieselguhr, on filtrait en plusieurs fois ; cela demandait du personnel, sans compter qu’il fallait aussi se préoccuper des déchets. »
Pour filtrer ses bourbes, cette cave déboursait entre 10 000 et 15 000 € par an de prestation en fonction du volume de jus clairs récupéré. Une dépense supprimée. « Au-delà du coût, il y a aussi une question d’organisation, ajoute Denis Mollard. On devait stocker nos bourbes jusqu’à ce que le prestataire vienne et filtre tout en une fois. Il fallait aussi les sulfiter un peu plus pour être certain qu’elles ne partent pas en fermentation. Maintenant, on est totalement autonome : on peut filtrer au jour le jour et les réincorporer à la cuve d’origine. »
En Alsace, la maison Gustave Lorentz, à Bergheim, vinifie environ 10 000 hl par an. Ici aussi le filtre-presse appartient au passé. Depuis cette année, elle l’a remplacé par un tangentiel Bucher Vaslin X-Treme 4 pour filtrer ses bourbes. « Tout s’est très bien passé. On a filtré 1 335 hl, annonce Markus Pauly, l’Å“nologue de la maison. Aujourd’hui, je vois deux avantages au tangentiel. D’une part, l’économie de personnel puisque le filtre ne mobilise plus une personne. Il suffit de brancher une cuve de 200 hl, et même si le filtre ne fonctionne qu’à 10 hl/h, tout est automatisé, même les lavages. On revient le lendemain et on peut recommencer, le filtre est propre. D’autre part, c’est un plus pour notre santé. Avant, on utilisait de la perlite, qui est très volatile. Même si nous portions un masque pour ne pas inhaler les poussières, on en retrouve encore en haut des cuves. »
Ces vignerons s’accordent également sur un autre point : la qualité des produits filtrés. « Nous utilisions de la perlite purifiée sur notre filtre-plaque. Malgré cela, les moûts avaient toujours un petit goût de poussière. Avec le tangentiel, ils sont beaucoup plus clairs et plus purs », assure Markus Pauly. Pour Johany Chêne aussi : « Les filtrats du tangentiel sont qualitativement au-dessus de ceux du filtre-presse. »
C’est le seuil de production à partir duquel un filtre tangentiel devient intéressant financièrement par rapport à un filtre à plaques, en Suisse, selon une étude de l’Ecole de Changins. Les chercheurs se sont basés sur le coût des filtres neufs, des consommables et de la main d’Å“uvre dans leur pays. Pour les exploitations produisant 700 hL, le coût de filtration à l’hecto revient pour les deux filtres à 5,70 €/hL. Les chercheurs estiment que les vignerons suisses ont tout intérêt à réfléchir à la filtration tangentielle par rapport à celle à plaques à partir de 700hL mais insistent sur le fait que cette étude n’a pas pris en compte les aspects sensoriels de ces filtres sur les vins et que chaque domaine choisit selon sa philosophie de travail. Enfin, sans surprise, pour les chais vinifiant 10 000hL, le filtre tangentiel est très nettement plus profitable. Pour affiner son étude, l’Ecole de Changins y intégrera en 2024 l’impact environnemental des filtres tenant compte de leur consommation d’énergie, d’eau et de produits de nettoyage.