’est sans trop de surprises que la campagne 2022-2023 s’achève en vallée du Rhône par une baisse globale des sorties de chai. Accompagné de stocks globaux en hausse et de prix du vrac qui se tassent, ce constat global diverge entre nord et sud, ainsi qu'entre appellations. Atteignant 2,38 millions hl sur la campagne, les sorties de chai sont en recul de 3% par rapport à la campagne précédente, soit le même niveau de baisse (-3%) qu’entre les campagnes 21-22 et 20-21, alors que cette dernière avait été marquée par une reprise post-confinements.
Cette année, ce sont pourtant les sorties en conditionné qui ont accusé le coup (-13%), « alors qu’elles avaient bien résisté lors des campagnes précédentes et représentent un tiers des volumes,», situe Sébastien Lacroix, responsable du service économique de l’interprofession des vins de la vallée du Rhône (Inter Rhône). Les sorties de vrac, qui constituent 62% des volumes, maintiennent une relative stabilité à +2%, contrairement aux 3 dernières années. « Nous n’arrivons pas à nous stabiliser, avec probablement encore 3 années compliquées en vallée du Rhône avant de retrouver de la stabilité », présage le courtier Christophe Pasta.
Paradoxalement, les sorties de vins rouges (76% des volumes) ne diminuent pourtant que de 2% lors de cette campagne, « avec même une stabilité (-0,3%) pour les côtes du Rhône rouge, grâce à une bonne réaction dans la grande distribution (GD) », relève Sébastien Lacroix. Cette tendance s’inscrit même à contre-courant des ventes en GMS (grandes et moyennes surfaces), « où le rayon vin global marque un recul de 4,8%, -5,7% pour les seuls vins rouges, et des AOC rhodaniennes à -2,7% dans leur ensemble », situe le responsable économie d’Inter Rhône. Ce bon maintien des côtes du Rhône en GMS est soutenu par la progression (+2,7% en volume) des marques nationales en côtes du Rhône en GD, « qui pèsent plus de 50% de l’offre côtes du Rhône rouge », leur promotion appuyée, ainsi que par le bon positionnement qualité-prix de cette appellation régionale.
Les prix d’échanges vrac de ces côtes du Rhône se sont pourtant tassés au cours de cette campagne (-12%), passant à 119€/hl en moyenne sur la campagne, contre 135€/hl lors de la précédente. La baisse des prix des rouges sur la campagne vaut pour la plupart des AOC (Ventoux, Luberon, Costières), « mais les crus se sont très bien tenus », explique Sébastien Lacroix. « Les crus ou villages nommés se tiennent bien, mais ça se complique sur les AOC régionales. Nous arrivons sur des seuils où les prix deviennent inférieurs aux prix de revient, où des vignerons démarrent une campagne sans réserves de trésorerie, au risque d’en perdre certains en cours de route », enchaîne Christophe Pasta.
Pour la première fois depuis plusieurs campagnes, les sorties de vins blancs rhodaniens baissent, très légèrement (-1%). « Sur 4 ans, depuis la campagne 18-19, les sorties de chais de ces vins blancs ont progressé de 15%, +17% sur cinq ans, soit 27 000hl de plus », recentre Sébastien Lacroix, tout en précisant que ces blancs ne pèsent qu’11% des volumes de sorties. Elles talonnent à présent les rosés et, pour la seule AOC côtes du Rhône, les sorties de blanc ont même dépassé (84 000hl) celles des rosés (79 000hl). Les sorties de chais rosés poursuivent en effet une baisse (-10%) déjà prégnante lors de la campagne précédente (-8%), mais ne représentent que 13% des volumes de sorties. Cette tendance générale est illustrée en GD « où le rayon rosé a diminué de 4,7% en volume, à -9,1% pour les rosés d’appellation et -8,2% pour les AOC rhodaniennes rosés », situe Sébastien Lacroix. Christophe Pasta juge néanmoins qu’hormis Ventoux ou Luberon, qui ont fait des efforts de communication autour des rosés, « il y a un manque de stratégie et de communication autour des rosés rhodaniens, avec une offre noyée au milieu de rosés que l’on peut trouver partout », acte-t-il. Pour lui, des choix différenciants, tels des rosés effervescents, permettraient de redynamiser cette couleur qui perd du terrain.
Pour les trois couleurs, le ralentissement général des sorties de chai, couplé à une récolte 2022 de volume moyen, fait mécaniquement augmenter le niveau de stocks dans les caves, dont le ratio est passé de 12 à 13 mois au cours de cette campagne. « C’est une tendance continue depuis 4 ans, où nous sommes passés de 9 mois, puis 10, 11, pour arriver à 13 mois en cette fin de campagne », situe Sébastien Lacroix. Certains crus du nord, tels Saint-Joseph ou Crozes-hermitage, connaissent des tensions sur les volumes et ne sont pas concernés par cette tendance, alors qu’une AOC comme Ventoux a de son côté gagné 2 mois de stocks sur cette seule campagne.
Et les acheteurs sont généralement les premiers informés de la situation. « En connaissance de cause, mais aussi parce que les marchés se sont finalisés au fil de l’eau, les négociants ne se sont pas bousculés pour passer aux achats. La campagne s’est déroulée de manière atypique car il n’y a pas eu beaucoup de marchés en début », retrace Sébastien Lacroix. La campagne a connu les pics de contractualisation habituels de fin d’année et début d’année, « mais toujours très en dessous des historiques sur 5 ou 10 ans », situe Sébastien Lacroix. Mais alors que la contractualisation se tasse habituellement à partir d’avril, des volumes de contractualisations beaucoup plus importants que l’historique ont été enregistrés. « Il y a eu des pics à 40 voire 60000 hl/semaine contre 15000 habituellement à cette période. Ça a permis de rattraper une bonne partie du retard, même si la campagne s’achève finalement à -7% de volumes contractualisés vs l’an dernier », oriente le responsable économie d’InterRhône.
Les premiers échantillons du millésime 2023 commencent à être présentés et Christophe Pasta voit le même profil de campagne attentiste se dessiner pour les semaines à venir. « En sachant qu’il y a du stock à la propriété, les acheteurs attendent des marchés fermes et consolidés avant de passer à l’action », explique-t-il. Les caves ne s’avancent donc pas trop sur les vins rosés et préfèrent les réaliser « sur-mesure, à la demande de marchés confirmés par leurs clients ». Sur les rouges, le courtier souligne « l’effort mené dans les caves, en particulier sur les maturités, pour proposer cette année des profils fruités, avec de l’équilibre, pour coller avec ce qui est attendu sur les marchés de vins rouges de cœur de gamme ». Malgré les baisses de rendements syndicales, les mises en réserve et la mesure de distillation, le courtier augure néanmoins de futurs regroupements au sein de la production. « Le négoce s’est beaucoup restructuré ces dernières années, la production risque de suivre la même voie pour traverser les difficultés », termine-t-il.