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Insécurité juridique pour toutes les entreprises comportant un nom de vin AOC
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Jurisprudence
Insécurité juridique pour toutes les entreprises comportant un nom de vin AOC

Voici une jurisprudence qui fait peser un risque d’illégalité sur des noms de sociétés dans tout le vignoble. Adoptant une stratégie de protection renforcée, à la champenoise, les vins AOC Côtes du Rhône obtiennent l’interdiction de la marque d’un négociant, qui estime servir de "bouc émissaire". D’autres dossiers sont en instruction rétorque le syndicat AOC.
Par Alexandre Abellan Le 06 juillet 2023
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Insécurité juridique pour toutes les entreprises comportant un nom de vin AOC
La marque commerciale du négoce NewRhône reste 'Romain Duvernay'. - crédit photo : NewRhône Millésime
C

’est ce qui s’appelle perdre un NewRhône en se cognant à la protection des Indications Géographiques. Dans son arrêt du 26 mai dernier, la troisième chambre de la Cour d'appel de Paris interdit le négoce NewRhône Millésimes « de faire usage du signe "Newrhône" pour désigner des vins, le commerce des vins ou leur promotion » et ce « dans un délai de 45 jours à compter de la signification du présent arrêt et sous astreinte de 300 euros par infraction constatée » pour atteinte aux appellations d'origine protégée Côtes du Rhône et Côtes du Rhône Villages, ici défendues par le Syndicat général des vignerons réunis des Côtes du Rhône et l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO).

Sont ainsi déclarées nulles pour contrefaçon et dilution de l’AOC Côtes du Rhône les marques verbale et semi-figurative "NewRhône Millésime" déposées le 2 février 2018 par la juridiction, qui s’appuie sur l'article 103 2) du Règlement européen 1308/2013 pour souligner que « l'usage de l'appellation d'origine protégée, sous une forme imitante ou évocatrice, est interdit, y compris pour un vin bénéficiant de ladite appellation » (le négociant condamné ne commercialisant que des vins du Rhône). La Cour d’appel se base également sur l’arrêt du 9 septembre 2021 de la Cour de Justice Européenne, pour qui « la notion d'"évocation" recouvre une hypothèse dans laquelle le signe utilisé pour désigner un produit incorpore une partie d'une indication géographique […] de sorte que le consommateur, en présence du nom du produit en cause, est amené à avoir à l'esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de cette indication ». Concrètement, le jugement de la cour d’appel « interdit à la société Newrhône Millésimes, dans un délai de 45 jours à compter de la signification du présent arrêt et sous astreinte de 300 euros par infraction constatée, l'astreinte courant pour une durée de six mois, de faire usage du signe "Newrhône" pour désigner des vins, le commerce des vins ou leur promotion ».

L’utilisation du Rhône est réglementée

Une victoire pour le syndicat rhodanien et l’INAO, qui se félicitent dans un communiqué commune d’une « décision de justice [qui] vient rappeler que l’utilisation du terme "Rhône" est réglementée », ajoutant qu’« il n’est pas possible d’échapper aux poursuites en ne reprenant qu’une partie de la dénomination de l’appellation » et qu’« il est inopérant de se prévaloir de dépôts ou usages de tiers illégaux pour justifier sa propre illégalité ».

Un coup dur pour Jean-Marc Pottiez, le fondateur en 2016 de NewRhône Millésimes après une carrière dans le Languedoc (création de la marque Fortant de France pour la famille Skalli) et en Champagne (à la direction de l’union coopérative des champagnes Nicolas Feuillatte puis Jacquart). Précisant avoir une activité commerciale à 100 % en Côtes du Rhône, le négociant précise à Vitisphere n’avoir « jamais utilisé NewRhône Millésime comme une marque. Je l’ai protégée comme le font toutes les sociétés. Ma marque commerciale est Romain Duvernay, pas NewRhône qui est mon nom de société ». Regrettant une procédure « invraisemblable », le négociant n’ira pas en cassation, le pourvoi étant coûteux et non-suspensif explique-t-il. Réfléchissant à un nouveau nom pour son négoce, il doit aussi gérer les étiquettes de ses bouteilles en stock (le nom apparaissant, voir image ci-dessous).

Méthode champenoise

Avec les amendes, « cette opération va nous coûter 50 000 €. La moitié du résultat d’une année normale » rapporte Jean-Marc Pottiez, qui critique « le Rhône [qui] veut faire comme la Champagne » dans la protection de son appellation. « Je connais bien le sujet, je faisais partie de la commission de protection de l’appellation. Dans mon cas, ce n’est pas une utilisation illicite de l’appellation » maintient-il, s’appuyant sur le jugement de première instance (voir encadré), pour marteler que « 150 à 200 entreprises ont le mot Rhône dans leur nom : Rhonéa, Esprit du Rhône, Eclat du Rhône… je sers de bouc émissaire. »

Interrogé, le syndicat des Côtes du Rhône précise que d’autres dossiers sont en cours d’instruction, tout en rappelant son argument : « ce n’est pas parce que d’autres sont dans l’illégalité que l’on peut l’être aussi ». Union de cave coopérative, Rhonéa indique pour sa part à Vitisphere qu’il n’y a pas de sujet pour sa marque, discutée en amont de son dépôt avec syndicat rhodanien, aboutissant à une charte. Mais ce jugement peut avoir des conséquences au-delà du territoire rhodanien.

Jurisprudence est mère de sureté

Faisant jurisprudence, l’arrêt de la cour d’appel sur l’usage de nom d’appellation dans les dénominations d’entreprises de la filière vin fait-il courir un risque d’illégalité pour des noms comme Bordeaux Families ou Loire Propriétés ? « C’est toujours du cas par cas puisque, comme le fait la Cour, il faut toujours faire une appréciation in concreto du risque de confusion aux yeux du public » analyse un avocat spécialisé dans le droit des vins, notant que le risque juridique n’est pas nul pour certaines marques. « Mais encore faut-il qu’une action judiciaire soit initiée par l’INAO et/ou un ODG, ou autre d’ailleurs » pointe l’avocat, rappelant qu’un contentieux se tient devant la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux concernant une circulaire INAO/DIRECCTE sur l’utilisation des AOC dans les marques viticoles (pour les marques domaniales, avec une circulaire attaquée par le négoce et les crus classés en 1855).

Perspective inquiétante

Le risque juridique pour les entreprises viticoles ayant une appellation dans leur nom est une « inquiétude [qui] n'est pas infondée » confirme le professeur de droit Théodore Georgopoulos (Professeur à l'Université de Reims Champagne-Ardenne), pour qui « la question ne se pose pas pour tout type d'utilisation, mais surtout quand l'appellation d'origine n'est pas accompagnée d'un nom suffisamment distinctif (tel par exemple le nom de famille de l'exploitant). Dans ce cas de figure, la lecture de l'arrêt en question ouvre une perspective inquiétante pour des pratiques déjà établies voire pour des marques enregistrées. »

Autre approche pour Éric Tesson, le directeur de la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC). « Il y a un renouveau en matière de protection qui bénéficie à l'ensemble du secteur » analyse-t-il, saluant une évolution « d'autant plus importante que le monde du vin change et que de nouveaux vins apparaissent sur le marché, y compris des vins sans indication géographique. Si la famille du vin s'agrandit, il est important de conserver à l'esprit les bornes constamment posées par le droit depuis un siècle. Cet arrêt qui ne fait que confirmer des décisions de justice antérieures déjà très claires met de fait en situation délicate toute marque commerciale enregistrée ou non qui comporterait tout ou partie d'un nom d'appellation d'origine. »

Fin d’évocation

Mais Théodore Georgopoulos s’interroge : « allons-nous interdire toute utilisation des termes géographiques contenues dans des AOP/IGP pour décrire des vins qui proviennent du vignoble désigné par un tel terme? La protection des appellations d'origine serait-elle en train de se retourner contre les appellations et leurs opérateurs ? » Pour Éric Tesson, « ces noms commerciaux ne sont pas choisis au hasard, mais très probablement à des fins d'évocation. Ou alors il faudrait admettre pour définitive l'absence de créativité de leurs initiateurs ce qui ne serait pas crédible ». Pince sans rire, le directeur de la CNAOC conclut plus sérieusement : « sans doute de nombreuses marques devraient mener une réflexion approfondie sur la pertinence de leur libellé au regard du droit d'une part mais au regard du contexte socio-économique d'autre part. Dans un environnement où l'économie se tend des actions de défense collective se font jour parfois dans les prétoires. »

 

"NewRhône Millésime" apparaissait sur les contre-étiquettes pour mentionner l’embouteilleur.

 

 

 

Jugement de 2021

Sur le dossier NewRhône, la troisième chambre du tribunal judiciaire de Paris concluait que « c’est à juste titre que la société NEWRHÔNE fait valoir que de nombreuses marques intégrant le terme "Rhône" ont été enregistrées en classe 33, pour désigner des "Vins bénéficiant des appellations d’origines protégées "Côtes du Rhône" et "Côtes du Rhône Villages" dont notamment "RIBS & RHÔNE", "Blason du Rhône", "L’exception Côtes du Rhône", "CHAP RHÔNE" ou encore "RHÔNE", sans que ni l'INAO ni le syndicat n'en sollicite l'annulation en se contentant dans la plupart des cas d’émettre des observations auprès de l’INPI ce qui laisse à penser qu’elles ne considèrent pas que l’intégration du seul terme "Rhône" dans une marque complexe est systématiquement de nature à constituer une tentative d’appropriation de l’appellation d’origine. »

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Madjek84 Le 06 décembre 2023 à 13:35:58
La décision en 1ère Instance avait été favorable. Donc cette décision en Appel et cette procédure générale, sont juste lunaires ! En clair, les établissements qui font la promotion et la commercialisation des AOC sont désormais attaqués par les AOC elles-mêmes parce que leur nom d'entreprise fait référence à leur région d'attachement (qui n'est d'ailleurs même pas le nom de l'AOC pour le coup : Rhône / AOC Côtes du Rhône). Le mot "Rhône" est d'abord le nom d'un fleuve, et aucune AOC en France est dénominée par le nom "Rhône". D'autant plus que dans ce cas précis, le problème concerne juste du nom de la "personne morale" (nom et entité de l'entreprise) et même pas du nom commercial de la marque, puisque ce dernier reste le prénom et nom de famille éponyme de l'oenologue qui les produit. Certes, je joue peut-être sur les mots, mais dans cette procédure, c'est justement le cas aussi. La bagarre commerciale des vins est mondiale, et du coup, constater qu'une entreprise qui fait la promotion des AOC, se voit attaquée par ces mêmes AOC pour l'évocation plus ou moins proche de l'AOC en question, est vraiment triste. Et surtout, un non-sens économique.
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