our Nicolas Richard, Å“nologue à l’Institut Rhodanien, le constat est sans appel : « Au moins la moitié, voire les deux tiers des vins vinifiés sans SO2 présentent des goûts de souris. La plupart des dégustateurs ne les détectent pas car ils n’ont pas été entraînés pour cela, sans compter que l’expression de ces goûts dépend de l’état chimique et du potentiel redox du vin. » Et sans que l’on sache pourquoi, ces goûts peuvent apparaître, disparaître puis réapparaître dans le temps. Mais une chose est sûre selon l’expert : « C’est le problème numéro un des caves qui vinifient sans sulfite. » Blancs, rosés et rouges plutôt légers sont touchés.
Lucile Pic, ingénieure-Å“nologue à l’ICV, abonde : « Quand j’ai entamé ma carrière il y a plus de vingt ans, les goûts de souris, on n’en parlait que dans les manuels. Mais depuis cinq ans, on y est de plus en plus confronté. C’est lié à la réduction des doses de SO2. On ne trouve qu’exceptionnellement des goûts de souris dans des vins sulfités. »
Une enquête conduite par l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab) auprès de 255 vignerons bio confirme la recrudescence de ces défauts. Sur l’ensemble de la France, 18 % des interrogés ont déclaré avoir eu des goûts de souris en 2021 contre 12 % en 2020. En Occitanie, 30 % des caves y ont été confrontés en 2021 contre 14 % en 2020. Et la proportion est encore plus grande chez celles qui vinifient sans sulfite : 46 % en 2021 contre 27 % en 2020.
Dans le Val de Loire, l’IFV a mené une enquête auprès de 174 vignerons 2020. 62 % d’entre eux ont déclaré avoir déjà eu des goûts de souris. Là encore, la raison évoquée est la baisse du sulfitage et l’augmentation des pH en lien avec le réchauffement climatique.
« En 2020 et 2021, nous avons collecté une soixantaine de vins contaminés. Les goûts de souris y étaient souvent associés à d’autres défauts comme la présence de phénols volatils, d’amines biogènes, de piqûres lactiques… Ce qui complique leur perception », précise Emy Heguiaphal, ingénieure-microbiologiste à l’IFV Val de Loire-Centre.
Dans le Bordelais, le Laboratoire Excell a développé en 2018 une méthode d’analyse des pyridines, composés responsables des goûts de souris [voir encadré]. Depuis, il multiplie ces dosages. « En 2022, le taux de vins “sourissés” est devenu significatif. Leur trait commun : leur faible niveau en soufre et la présence d’éthanal. Et dans 100 % de ces vins, des bactéries lactiques hétérofermentaires (dont Œnococcus Å“ni) se sont développées », détaille Vincent Renouf, le directeur du laboratoire.
Aujourd’hui, les vignerons qui vinifient sans sulfites sont démunis face à ces défauts. « Si l’on compile nos essais avec ceux de l’IFV et d’Inter Rhône, nous avons testé plus d’une cinquantaine de produits et procédés en vue d’éliminer ces défauts. Nous n’avons trouvé aucun traitement efficace », déplore Lucile Pic.
Quid de la prévention ? « Même en prenant le maximum de précautions, les caves qui vinifient sans sulfites ne sont pas à l’abri, d’autant que l’on ne sait pas précisément quelles précautions elles devraient prendre », indique Nicolas Richard.
En Occitanie, à la demande de la profession, un groupe de travail piloté par SudVinBio a déposé un projet de recherche pour trois ans auprès de la Région. « L’idée est d’avoir un état des lieux précis des goûts de souris et de l’historique de vinification des vins concernés. Puis, de tester différents itinéraires techniques pour identifier ceux qui sont favorables aux goûts de souris », relate Valérie Pladeau, de SudVinBio.
Dans le Val de Loire, le programme de recherche commencé en 2020 vient de se terminer. « À l’issue de ce travail, nous avons plus de questions que de réponses », reconnaît Emy Heguiaphal. Les goûts de souris vont encore faire parler d’eux.
Peau de saucisson, eau de cuisson de riz basmati, maïs, pop-corn, tortillas, cage de rongeurs… Les descripteurs des goûts de souris sont multiples. Dans tous les cas, une famille de molécules est en cause : les pyridines. « À pH bas, comme dans le cas du vin, on a peu de chance de les sentir au nez : elles ne sont pas volatiles. En revanche, elles le deviennent lorsque le pH s’élève, comme c’est le cas dans la bouche. On peut alors les percevoir », détaille Nicolas Richard, de l’Institut Rhodanien. Cependant, le pH buccal étant variable d’une personne à l’autre et au cours de la journée pour une même personne, les goûts de souris restent difficiles à repérer lors des dégustations. Mais il existe une astuce : ajouter au vin 5 g/l de bicarbonate de soude pour atteindre un pH voisin de 5. « Cela volatilise les pyridines et on peut les percevoir au nez », indique Nicolas Richard. Autre moyen de détection : l’analyse chimique. Plusieurs laboratoires ont développé leur méthode. Problème : « Il n’y a pas de méthode officielle », précise Nicolas Richard.